Hans Jonas est un philosophe allemand du 20e siècle, il a publié le principe responsabilité en 1979. Dans cet ouvrage, il propose une éthique qui soit adaptée à notre civilisation technologiquement très développée. Que faut-il entendre par là ?
Hans Jonas fait un constat : pendant des millénaires, les hommes ont appris à dominer et contrôler la nature, afin de vivre dans davantage de sécurité et de confort. Mais, au XXe siècle, le développement technique de l’humanité est tel que les hommes finissent par être menacés par le développement technique lui-même. La technique n’est plus un moyen de protection, mais devient un danger à la fois pour la nature et pour les êtres humains. Selon lui, nous avons créé quelque chose qui nous échappe et pourtant, nous sommes, à ses yeux, responsables de la planète que nous allons laisser aux générations futures.
Nous possédons aujourd’hui un énorme pouvoir de destruction sur la nature et sur l’humanité. Cette destruction pourrait être immédiate si l’on pense aux armes atomiques ou progressive si l’on pense plutôt à la pollution et au réchauffement climatique.
La façon dont nous vivons aujourd’hui peut mettre en danger le bien-être de nos enfants et petits enfants c’est pourquoi, pour Hans Jonas, nous devons admettre que nous sommes responsables du futur de l’humanité et de la planète. Cela suppose, selon lui, d’anticiper les conséquences de nos actions et de nos choix notamment dans le domaine des technologies. Il nous faut apprendre à évaluer les risques et à suivre un principe de précaution.
Qu’est-ce que cette approche a de nouveau ?
Jusqu’à présent, nous n’avions de devoir moral qu’envers des êtres présents ou nous devions rendre des comptes pour des actions passées. Ici, Hans Jonas défend que nous avons aussi des devoirs moraux envers les générations futurs et la nature. Il propose donc une nouvelle règle morale qui consiste en une reformulation de l’impératif catégorique de Kant : « Agis de telle sorte que tes actions soient compatibles avec la permanence d’une vie humaine authentique sur la terre ». Cet impératif doit alors nous conduire à adopter des modes de vie qui cessent de détruire la planète. Nous devons renoncer à certaines habitudes et à un certain confort pour préserver la planète et la qualité de vie des générations futures.
Texte de Hans Jonas extrait du Principe de responsabilité
Un impératif adapté au nouveau type de l’agir humain et qui s’adresse au nouveau type de sujets de l’agir s’énoncerait à peu près ainsi : « Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre » ; ou pour l’exprimer négativement : «Agis de façon que les effets de ton action ne soient pas destructeurs pour la possibilité future d’une telle vie» ; ou simplement : « Ne compromets pas les conditions pour la survie indéfinie de l’humanité sur terre » ; ou encore, formulé de nouveau positivement : « Inclus dans ton choix actuel l’intégrité future de l’homme comme objet secondaire de ton vouloir ».
On voit sans peine que l’atteinte portée à ce type d’impératif n’inclut aucune contradiction d’ordre rationnel. Je peux vouloir le bien actuel en sacrifiant le bien futur. De même que je peux vouloir ma propre disparition, je peux aussi vouloir la disparition de l’humanité. Sans me contredire moi-même, je peux, dans mon cas personnel comme dans celui de l’humanité, préférer un bref feu d’artifice d’extrême accomplissement de soi-même à l’ennui d’une continuation indéfinie dans la médiocrité.
Or le nouvel impératif affirme précisément que nous avons bien le droit de risquer notre propre vie, mais non celle de l’humanité ; et qu’Achille avait certes le droit de choisir pour lui-même une vie brève, faite d’exploits glorieux, plutôt qu’une longue vie de sécurité sans gloire (sous la présupposition tacite qu’il y aurait une postérité qui saura raconter ses exploits), mais que nous n’avons pas le droit de choisir le non-être des générations futures à cause de l’être de la génération actuelle et que nous n’avons même pas le droit de le risquer. Ce n’est pas du tout facile, et peut-être impossible sans recours à la religion, de légitimer en théorie pourquoi nous n’avons pas ce droit, pourquoi au contraire nous avons une obligation à l’égard de ce qui n’existe même pas encore et ce qui « de soi » ne doit pas non plus être, ce qui du moins n’a pas droit à l’existence, puisque cela n’existe pas. Notre impératif le prend d’abord comme un axiome sans justification.
Hans Jonas, Le Principe responsabilité (1979), trad. Greisch, coll. Champs, Flammarion, p. 40