Ethique stoïcienne

L’éthique du stoïcisme

Le stoïcisme est une école philosophique fondée à Athènes par Zénon de Citium vers l’an 300 avant Jésus-Christ. Cette école va s’appeler l’Ecole du Portique car son fondateur enseigne sous un portique. Je vais m’intéresser plus particulièrement ici à l’éthique du stoïcisme.

Marc Aurèle : L’empereur philosophe

« Pour moi, je fais ce qui est mon devoir. Les autres choses ne me tracassent point, car ce sont, ou des objets inanimés, ou des êtres dépourvus de raison, ou des gens égarés et ne sachant pas leur chemin » Marc Aurèle, Pensées pour moi-même, XXII

« Passe à travers la vie sans violence, l’âme pleine de joie, même si tous les hommes poussent contre toi les clameurs qu’ils voudront, même si les fauves déchirent les morceaux de cette pâte que tu épaissis autour de toi » Marc Aurèle, Pensées pour moi-même, LXVIII

Ethique du stoïcisme pour Sénèque :

Sénèque, un philosophe romain (4 av. J.-C.-65 apr.) originaire de Cordoue en Espagne, est une figure emblématique du stoïcisme romain. Cette doctrine philosophique, qui a vu le jour au IVe siècle avant J.-C. en Grèce, a été importée à Rome, notamment grâce à Cicéron. Sénèque était un politicien habile et un penseur renommé qui s’est créé une réputation et une renommée. Il est devenu le précepteur, puis l’éminence grise de l’empereur sanguinaire Néron, ce qui a fait de lui un homme riche et puissant. Cependant, sa richesse considérable a jeté un discrédit sur ses théories philosophiques, en particulier sur ses idées concernant l’argent, la pauvreté et les honneurs.

Bien que Sénèque ne traite jamais directement de questions économiques, il développe une philosophie morale dont l’un des piliers majeurs est la relation à l’argent et à la matérialité. Le stoïcisme propose de considérer la richesse avec indifférence. Selon cette doctrine, il est essentiel d’être indifférent à l’argent car la fortune et la pauvreté sont soumises au hasard.

« le souverain bien, c’est une âme qui méprise les événements extérieurs et se réjouit par la vertu », Sénèque, La Vie heureuse

« les flots de l’adversité ne transforment point une âme courageuse, elle demeure la même et donne aux événements sa propre teinte ; car elle est plus forte que les accidents extérieurs », Sénèque, De la Providence

« Cette liberté consiste à ne craindre ni les hommes ni les dieux ; à fuir toute action honteuse, et tout excès ; à jouir d’un pouvoir illimité sur soi-même. C’est un avantage inappréciable d’être maître de soi. », Sénèque, Lettres à Lucilius, LXXV

Epictète :

Épictète (v. 50-125), ancien esclave, est devenu l’une des principales figures du stoïcisme. Après avoir été banni par Domitien, il a trouvé refuge à Nicopolis, où il a enseigné. Connu pour son intransigeance morale et son style d’enseignement unique, Épictète a encouragé une philosophie pratique qui visait à retrouver une harmonie avec la nature. Ses notes de cours, rassemblées dans les « Entretiens » et le « Manuel », ont été prises par l’un de ses disciples et ont contribué à la diffusion de sa pensée. Épictète a établi une distinction fondamentale dans l’éthique du stoïcisme entre ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous, un concept qui a eu une grande influence sur le stoïcisme. Il a également souligné l’importance de la liberté véritable pour atteindre le bonheur et l’adéquation avec le monde.

Epictète, Manuel, I :

1.— Parmi les choses qui existent, certaines dépendent de nous, d’autres non. De nous, dépendent la pensée, l’impulsion, le désir, l’aversion, bref, tout ce en quoi c’est nous qui agissons ; ne dépendent pas de nous le corps, l’argent, la réputation, les charges publiques, tout ce en quoi ce n’est pas nous qui agissons.

2.— Ce qui dépend de nous est libre naturellement, ne connaît ni obstacles ni entraves ; ce qui n’en dépend pas est faible, esclave, exposé aux obstacles et nous est étranger.

3.— Donc, rappelle-toi que si tu tiens pour libre ce qui est naturellement esclave et pour un bien propre ce qui t’est étranger, tu vivras contrarié, chagriné, tourmenté ; tu en voudras aux hommes comme aux dieux ; mais si tu ne juges tien que ce qui l’est vraiment — et tout le reste étranger —, jamais personne ne saura te contraindre ni te barrer la route ; tu ne t’en prendras à personne, n’accuseras personne, ne feras jamais rien contre ton gré, personne ne pourra te faire de mal et tu n’auras pas d’ennemi puisqu’on ne t’obligera jamais à rien qui pour toi soit mauvais.

5.— Donc, dès qu’une image viendra te troubler l’esprit, pense à te dire : « Tu n’es qu’image, et non la réalité dont tu as l’apparence. » Puis, examine-la et soumets-la à l’épreuve des lois qui règlent ta vie : avant tout, vois si cette réalité dépend de nous ou n’en dépend pas ; et si elle ne dépend pas de nous, sois prêt à dire : « Cela ne me regarde pas. »

III

Pour tout objet qui t’attire, te sert ou te plaît, représente-toi bien ce qu’il est, en commençant par les choses les plus petites. Si tu aimes un pot de terre, dis-toi : « J’aime un pot de terre. » S’il se casse, tu n’en feras pas une maladie. En serrant dans tes bras ton enfant ou ta femme, dis-toi : « J’embrasse un être humain. » S’ils viennent à mourir, tu n’en seras pas autrement bouleversé.

V

Ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses, mais les jugements qu’ils portent sur ces choses […] Le jugement que nous portons sur la mort en la déclarant redoutable, c’est cela qui est redoutable. Lorsque donc nous sommes traversés, troublés, chagrinés, ne nous en prenons jamais à un autre, mais à nous-même, c’est-à-dire à nos jugements propres.

VIII

N’attends pas que les événements arrivent comme tu le souhaites ; décide de vouloir ce qui arrive et tu seras heureux.

Pour en savoir davantage sur le stoïcisme et l’éthique du stoïcisme, vous pouvez consulter cet article : Qu’est-ce que le stoïcisme ? ou consulter ma chaîne youtube en cliquant ici.

Qu’est-ce que l’éthique en philosophie ?

Qu’est-ce que l’éthique en philosophie ?

Bonjour, aujourd’hui, je vais continuer cette introduction à la philosophie en répondant à la question : qu’est-ce que l’éthique ?

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Si vous avez écouté le premier épisode de ce podcast, vous savez déjà que l’éthique est une partie de la philosophie qui s’intéresse aux comportements des individus en société et s’interroge sur ce qui est bien ou mal, juste ou injuste.

Mais que fait-on lorsque l’on fait de l’éthique en philosophie ?

Pour bien comprendre, il faut d’abord avoir en tête que le terme éthique en français (ou morale, j’y reviendrai) peut avoir deux sens très différents :

L’éthique en philosophie, c’est d’abord une discipline qui réfléchit sur les principes, les règles et les normes qu’il faudrait suivre. Et qui va donc se demander que faut-il faire ? Que doit-on faire dans telle ou telle situation ? Et comment justifier rationnellement que l’on choisisse de faire ceci plutôt que cela ? Par exemple : Faut-il ne jamais mentir ? Ou bien peut-on parfois le faire et pourquoi ?

L’éthique en ce sens, c’est donc d’abord une réflexion sur ce qui doit être fait ou pas.

Mais, l’éthique ou la morale en français peut également désigner l’ensemble des règles et normes que l’on doit suivre dans un pays ou une culture spécifique. En ce sens, le terme renvoie à quelque chose de beaucoup plus descriptif : voilà comment il faut se comporter ici et il n’est nullement question de réfléchir sur le pourquoi de ces règles.

C’est à cause de cette ambiguïté du terme qu’il y a parfois une confusion dans l’esprit de mes interlocuteurs lorsqu’en tant que professeur de philosophie, je dis que je fais de l’éthique ou de la philosophie morale avec mes élèves.

Lorsque je dis cela, certains pourraient penser que j’enseigne la morale à mes élèves, c’est-à-dire ce qu’il faut faire ou ne pas faire aujourd’hui dans la société française, comme cela a pu être le cas, il y a longtemps dans l’éducation.

Mais, en réalité, ça n’est pas du tout cela que nous faisons en philosophie. Dans le cours de philosophie, faire de l’éthique cela signifie réfléchir aux raisons pour lesquelles on adopte certaines règles de conduite ou certains devoirs. Le but n’est donc pas de transmettre des règles à suivre sans réfléchir, mais au contraire d’aider les élèves à être autonomes et à déterminer pourquoi ils suivent telle règle de conduite ou non.

Deuxième point terminologique qu’il faut préciser pour bien commencer : y a-t-il une différence entre l’éthique et la morale ? Cette question pourrait faire l’objet de longs développements, mais je vais tâcher d’aller au plus simple.

Il est possible de considérer que les deux termes ont un sens similaire si l’on part de l’étymologie. Le terme éthique vient du grec ethos qui signifie l’habitude, la coutume ou le caractère. Le terme morale quant à lui vient du latin « mos » « mores » qui signifie l’habitude, la tradition, les mœurs. En d’autres termes, ces deux mots sont très proches et l’on pourrait dire que l’on désigne la même discipline lorsque l’on dit que l’on fait de la philosophie morale ou de l’éthique.

Néanmoins, si l’on observe les usages et la manière dont en France on utilise ces deux mots, on peut observer une différence intéressante.

En effet, le terme morale en français a une connotation beaucoup plus religieuse que le terme Ethique qui fait davantage penser à des philosophies eudémonistes, c’est-à-dire des philosophies qui ne cherchent pas seulement à déterminer ce qu’il faut faire pour bien agir, mais surtout ce qu’il faut faire pour être heureux. Donc des philosophies qui cherchent ce qu’il faut faire ou être pour avoir une bonne vie. On peut ainsi penser à l’Ethique d’Aristote, à l’éthique d’Epicure ou encore à l’Ethique Stoïcienne. Qui bien évidemment ne sont pas d’accord sur ce qu’est le bonheur et sur la manière de l’atteindre, j’y reviendrai.

Si l’on en croit Ernst Gunter Schumacher, cette différence d’usage entre les termes éthique et morale s’explique par les rapports difficiles des philosophes à la religion en France. Certains auraient alors préféré utiliser le terme éthique plutôt que morale afin d’insister sur le fait que cette discipline « l’éthique » cherche à déterminer ce qu’il est bien ou bon de faire de manière purement rationnelle sans se laisser influencer par des dogmes religieux.

Bien, voilà pour ces précisions terminologiques.

Maintenant : qu’est-ce que faire de l’éthique ?

Je pense que l’on peut identifier 4 manières relativement distinctes de faire de l’éthique en philosophie :

D’abord : on peut faire de l‘histoire de la philosophie, c’est-à-dire que l’on va s’intéresser à des théories philosophiques ou à des écoles de pensée qui nous conseillent d’agir de telle ou telle manière si nous souhaitons être heureux ou encore bien vivre. Ces pensées peuvent être intéressantes car elles contiennent notamment des thèses et des arguments qui peuvent nourrir notre propre réflexion. On peut ainsi parler de l’épicurisme, du stoïcisme ou de l’éthique d’Aristote.

Ensuite : on va faire de l’éthique normative, c’est-à-dire que l’on va s’intéresser à nos principes moraux, à nos règles de conduite et se demander pour quelle raison nous pensons qu’il est plus juste de faire ceci plutôt que cela.

Car, bien évidemment, faire de l’éthique c’est aussi être confronté à des dilemmes moraux. S’il était toujours facile de déterminer ce qui est bien ou le meilleur choix à faire, on n’aurait pas besoin de faire de l’éthique !

Par exemple, on pourra se demander : Faut-il ne jamais mentir par principe ? Ou bien peut-on envisager qu’il est parfois souhaitable de le faire si l’on prend en compte les conséquences ?

Autre question très souvent scénarisée : Peut-il être juste de torturer un être humain si cela permet de sauver 20 personnes ? Faut-il s’y opposer au nom de principes moraux ou bien faut-il considérer que la torture est la meilleure chose à faire car la bonne chose à faire, c’est ce qui rend heureux le plus grand nombre de personnes ? Ici donc les 20 personnes.

Dans ces deux exemples, j’ai essayé d’esquisser une opposition classique entre deux des trois grandes théories morales qui s’opposent le plus souvent en éthique. Ces théories morales concurrentes sont le déontologisme ou éthique déontologique (qui pour le dire rapidement détermine ce qui est bien en fonction du devoir et de principes a priori), le conséquentialisme ou éthique conséquentialiste (qui détermine ce qu’il faut faire en fonction des conséquences) et l’éthique des vertus qui s’intéresse davantage à la qualité morale de l’acte ou de la personne qui l’accomplit.

Ces théories morales sont concurrentes car elles vont nous donner des raisons différentes de justifier nos actions et souvent nous pousser à faire des choix différents.

Faire de l’éthique appliquée

Une fois que l’on a fait de l’éthique normative, que l’on a réfléchi sur les raisons de nos choix moraux, on va pouvoir essayer d’appliquer ces théories dans des domaines particuliers. C’est ce que l’on appelle faire de l’éthique appliquée.

On parle alors, par exemple, de bioéthique quand on s’interroge sur le bien-fondé des avancées en matière de biologie et de médecine. Les questions liées à la fin de vie sont des questions de bioéthique, mais on peut également penser aux recherches sur les embryons humains. Est-ce bien de faire de telles recherches et jusqu’à quel stade ?

Mais on parle également d’éthique de l’environnement, d’éthique animale, d’éthique de l’Intelligence artificielle et plus récemment encore d’éthique des algorithmes. Est-il souhaitable qu’il y ait dans nos rues des voitures autonomes par exemple ? Et si l’on admettait que c’est souhaitable : Comment une voiture autonome doit-elle être programmée ? Quel choix est-elle supposée faire en cas d’accidents ? Si elle ne peut pas éviter tout le monde, faut-il la programmer pour qu’elle préfère percuter une personne plutôt que trois ? Et si elle doit choisir entre un enfant et une personne âgée ?

Bien donc vous le voyez dans tous ces domaines de nombreuses questions éthiques se posent et les évolutions de la médecine, de la technique ou encore de l’état de la planète ne cessent de susciter de nouveaux problèmes moraux.

Faire de la méta-éthique :

Qu’est-ce que cela me direz-vous ? Quand on fait de la méta-éthique, on ne cherche pas à savoir ce que l’on devrait faire pour agir bien ou ce qu’est une vie bonne, mais on réfléchit sur l’éthique elle-même, sur ses concepts, sur ses fondements, sur sa valeur. Une question classique de méta-éthique serait par exemple : Y a-t-il une vérité en morale ? Ou encore Y a-t-il des jugements moraux universels ? Et en méta-éthique, on peut également se demander : qu’est-ce que le bien ? Qu’est-ce que le juste ? Ou encore qu’est-ce que l’éthique ?

Donc, vous l’avez compris, actuellement, nous sommes en pleine méta-éthique !

Voilà pour cet article, j’espère que vous avez à présent une idée un peu plus claire de ce que c’est que de faire de la philosophie morale. Si vous avez envie d’en savoir davantage, n’hésitez pas à vous inscrire à ma newsletter en cliquant ici et je vous dis à bientôt pour de nouvelles questions philosophiques.

La caverne Platon

Sur l’allégorie de la caverne de Platon

Bonjour, aujourd’hui, je vais vous parler de Platon et d’un de ses textes les plus fameux : l’allégorie de la caverne.

Dans ce texte, extrait de l’œuvre nommée La République, Platon qui fût l’élève de Socrate, prend l’image de la caverne pour nous parler de la condition humaine, de la vérité et également de la vocation de la philosophie.

Platon décrit ainsi la condition humaine :

Les hommes vivent au fond d’une caverne. Ils sont assis pieds, bras et tête enchainés. Ils sont donc contraints de regarder un mur sur lequel des ombres apparaissent. Car, dans leurs dos, se trouvent un feu et des montreurs de marionnettes qui se déplacent devant le feu afin que les hommes puissent voir des ombres danser sur le mur. Ces individus ne sont jamais sorti de la caverne et ne peuvent tourner la tête, ils prennent donc les ombres devant eux pour la réalité.

Comment comprendre ce début de l’allégorie de la caverne ?

La caverne est une métaphore de l’ignorance. Les hommes ne voient pas les choses elles-mêmes, mais seulement des apparences. Ils n’ont pas de réelles connaissances sur le monde, mais seulement des opinions c’est-à-dire de vagues idées sur les choses qui ne sont pas le résultat d’une réflexion.

Pour Platon, nos opinions sont des idées non réfléchies que nous avons simplement parce que c’est ce que tout le monde dit autour de nous ou parce qu’elles nous ont été transmises par notre famille.

Il faut comprendre que pour lui, nous devons nous méfier des informations que nous donnent les sens : ce que l’on voit, ce qui semble vrai, ce que l’on entend sur telle ou telle chose. Tout cela n’est pas réfléchi. La seule manière de sortir de l’ignorance (et ici donc de sortir de la caverne) c’est d’utiliser notre intellect ou notre raison.

Si l’on se fie à ce que l’on voit : le soleil n’est pas plus gros qu’un ballon de basket et la terre est plutôt plate. C’est par la science que nous pouvons prétendre atteindre la vérité.

Si l’on se fie à ce que l’on entend, les femmes conduisent plus mal que les hommes, pourtant ça n’est pas ce que disent les statistiques. 

Ainsi pour atteindre la vérité, il ne faut pas se fier aux apparences ou à ce que l’on dit en général, mais réfléchir, user de sa raison et de sciences.

Par ailleurs, dans cette allégorie, les hommes sont enchaînés dans un espace clos, ce qui suggère évidement que les hommes ne sont pas libres. A cela on pourrait objecter qu’en tant que citoyens d’une démocratie, nous avons beaucoup de libertés. A commencer par la liberté de mouvement, d’expression et un certain nombre de droits.

Pourquoi alors dire que nous ne sommes pas libres ?

Platon précise dans son texte je cite « ils sont là depuis leur enfance ». On comprend ici plusieurs choses. D’abord, ce qui les entrave ce sont leurs habitudes. Ils sont habitués à vivre ainsi et l’habitude est quelque chose de très dangereux pour le philosophe car être habitué c’est ne plus questionner, ne plus être curieux, ne plus s’étonner. Or, la capacité à être étonné est le point de départ de la recherche de la vérité. Ils ont une manière de vivre et ne cherche pas à savoir s’il peut en exister une meilleure. Ils sont prisonniers de leurs habitudes.

Ensuite, la période de l’enfance est aussi cette période où l’on a tendance à faire confiance à ceux, plus âgés, qui nous donnent des réponses. Ce faisant, on accepte sans doute bien des choses qui ne sont pas vérifiés ou pas vraies. Mais ces idées influent sur notre comportement et ont des effets sur ce que nous allons faire ou pas. En ce sens, les hommes de la caverne ne sont pas libres, parce qu’ils sont déterminés, c’est-à-dire influencés, à leur insu par les idées et comportements qui sont ceux de leur famille, de leur groupe social et plus largement de la culture à laquelle ils appartiennent.

Enfin, chez Platon, la caverne est aussi la métaphore du corps et le corps, pour Platon, c’est le tombeau de l’âme.

Quelle idée étrange me direz-vous et pourtant. Voilà comment Platon l’explique dans le Phédon, une autre de ses œuvres.

 « tant que nous aurons le corps associé à la raison dans notre recherche et que notre âme sera contaminée par un tel mal, nous n’atteindrons jamais complètement ce que nous désirons et nous disons que l’objet de nos désirs c’est la vérité. Car le corps nous cause mille difficultés par la nécessité où nous sommes de le nourrir ; qu’avec cela des maladies surviennent, nous voilà entravés dans notre chasse au réel. Il nous remplit d’amours, de désirs, de craintes, de chimères de toute sorte, d’innombrables sottises, si bien que, comme on dit, il nous ôte vraiment et réellement toute possibilité de penser. »

Vous le comprenez, pour Platon, le corps parce qu’il nous détourne de la réflexion est un obstacle à la philosophie et donc à notre libération. Car c’est par la pensée, par la réflexion seulement que nous pouvons nous défaire des apparences trompeuses, nous défaire aussi des préjugés et opinions hérités de notre famille ou de la société.

Pouvons-nous alors réellement nous libérer de la caverne ?

Platon dans la suite de l’allégorie raconte que l’un des hommes réussit à se détacher et sort de la caverne. Là il est d’abord ébloui par la vérité, puis prenant conscience que tous vivent dans l’illusion sans saisir la réalité des choses, il entreprend de redescendre dans la caverne pour libérer les autres.

C’est alors que les autres refusent de le croire, le traitent de fou et tentent même de le tuer. On voit communément ici une référence faite par Platon à son maître Socrate qui accusé de corrompre la jeunesse fût condamné à mort et but la ciguë.

Tout comme Socrate dérange et finit par être tué car il veut aider les hommes à sortir de l’ignorance, le philosophe qui redescend dans la caverne est mal accueilli car il est difficile de remettre en question ce que l’on croit être vrai depuis toujours. Il est difficile d’admettre que nous vivons dans l’opinion et pourtant c’est une nécessité pour s’engager sur le chemin de la connaissance.

Pour Platon, la seule manière pour les hommes de sortir de la caverne consiste à prendre conscience qu’ils vivent dans l’illusion puis à utiliser leur raison pour commencer à connaitre les choses telle qu’elles sont réellement et pas telle qu’elles apparaissent si l’on se fie aux sens ou aux opinions des autres.

Voilà pour cet épisode sur l’allégorie de la caverne de Platon, si vous avez envie d’en savoir d’avantage n’hésitez pas à me suivre également sur Instagram ou Youtube.

Texte de l’Allégorie de la caverne :

Maintenant représente toi de la façon que voici l’état de notre nature relativement à l’instruction et à l’ignorance.

  Figure toi des hommes dans une demeure souterraine, en forme de caverne, ayant sur toute sa largeur une entrée ouverte à la lumière; ces hommes sont là depuis leur enfance, les jambes et le cou enchaînés, de sorte qu’ils ne peuvent ni bouger ni voir ailleurs que devant eux, la chaîne les empêchant de tourner la tête; la lumière leur vient d’un feu allumé sur une hauteur, au loin derrière eux; entre le feu et les prisonniers passe une route élevée : imagine que le long de cette route est construit un petit mur, pareil aux cloisons que les montreurs de marionnettes dressent devant eux et au dessus desquelles ils font voir leurs merveilles. Figure toi maintenant le long de ce petit mur des hommes portant des objets de toute sorte, qui dépassent le mur, et des statuettes d’hommes et d’animaux, en pierre en bois et en toute espèce de matière; naturellement parmi ces porteurs, les uns parlent et les autres se taisent.

  Voilà, s’écria Glaucon, un étrange tableau et d’étranges prisonniers.

  Ils nous ressemblent; et d’abord, penses-tu que dans une telle situation ils n’aient jamais vu autre chose d’eux mêmes et de leurs voisins que les ombres projetées par le feu sur la paroi de la caverne qui leur fait face ? 

  Et comment, observa Glaucon, s’ils sont forcés de rester la tête immobile durant toute leur vie

  Et pour les objets qui défilent, n’en est-il pas de même ?

  Sans contredit.

  Si donc ils pouvaient s’entretenir ensemble ne penses-tu pas qu’ils prendraient pour des objets réels les ombres qu’ils verraient ?

  Il y a nécessité.

  Et si la paroi du fond de la prison avait un écho, chaque fois que l’un des porteurs parlerait, croiraient-ils entendre autre chose que l’ombre qui passerait devant eux ?

  Non, par Zeus !

  Assurément de tels hommes n’attribueront de réalité qu’aux ombres des objets fabriqués. Considère maintenant ce qui leur arrivera naturellement si on les délivre de leurs chaînes et qu’on les guérisse de leur ignorance. Qu’on détache l’un de ces prisonniers, qu’on le force à se dresser immédiatement, à tourner le cou, à marcher, à lever les yeux vers la lumière : en faisant tous ces mouvements, il souffrira et l’éblouissement l’empêchera de distinguer ces objets dont tout à l’heure il voyait les ombres. Que crois-tu donc qu’il répondra si quelqu’un lui vient dire qu’il n’a vu jusqu’alors que de vains fantômes, mais qu’à présent, plus près de la réalité et tourné vers des objets plus réels, il voit plus juste ? Si, enfin, en lui montrant chacune des choses qui passent, on l’oblige à force de questions, à dire ce que c’est ? Ne penses-tu pas qu’il sera embarrassé, et que les ombres qu’il voyait tout à l’heure lui paraîtront plus vraies que les objets qu’on lui montre maintenant ? Et si on le force à regarder la lumière elle même, ses yeux n’en seront-ils pas blessés? N’en fuira-t-il pas la vue pour retourner aux choses qu’il peut regarder, et ne croira-t-il pas que ces dernières sont réellement plus distinctes que celles qu’on lui montre?

  Assurément !

  Et si on l’arrache de sa caverne par force, qu’on lui fasse gravir la montée rude et escarpée, et qu’on ne le lâche pas avant de l’avoir traîné jusqu’à la lumière du soleil, ne souffrira-t-il pas vivement, et ne se plaindra-t-il pas de ces violences? Et lorsqu’il sera parvenu à la lumière, pourra-t-il, les yeux tout éblouis par son éclat, distinguer une seule des choses que maintenant nous appelons vraies ?

  Il ne le pourra pas, du moins dès l’abord.

  Il aura je pense besoin d’habitude pour voir les objets de la région supérieure. D’abord, ce seront les ombres qu’il distinguera le plus facilement, puis les images des hommes et des autres objets qui se reflètent dans les eaux, ensuite les objets eux-mêmes. Après cela, il pourra, affrontant la clarté des astres et de la lune, contempler plus facilement pendant la nuit les corps célestes et le ciel lui même, que pendant le jour le soleil et sa lumière. A la fin j’imagine, ce sera le soleil – non ses vaines images réfléchies dans les eaux ou en quelque autre endroit – mais le soleil lui-même à sa vraie place, qu’il pourra voir et contempler tel qu’il est.

  Nécessairement !

  Après cela, il en viendra à conclure au sujet du soleil, que c’est lui qui fait les saisons et les années, qui gouverne tout dans le monde visible, et qui, d’une certaine manière est la cause de tout ce qu’il voyait avec ses compagnons dans la caverne. Or donc, se souvenant de sa première demeure, de la sagesse que l’on y professe, et de ceux qui furent ses compagnons de captivité, ne crois-tu pas qu’il se réjouira du changement et plaindra ces derniers?

  Si, certes.

  Et s’ils se décernaient entre eux louanges et honneurs, s’ils avaient des récompenses pour celui qui saisissait de l’oeil le plus vif le passage des ombres, qui se rappelait le mieux celles qui avaient coutume de venir les premières ou les dernières, ou de marcher ensemble, et qui par là était le plus habile à deviner leur apparition, penses-tu que notre homme fût jaloux de ces distinctions, et qu’il portât envie à ceux qui, parmi les prisonniers, sont honorés et puissants? Ou bien comme ce héros d’Homère, ne préférera-t-il pas mille fois n’être qu’un valet de charrue, au service d’un pauvre laboureur, et souffrir tout au monde plutôt que de revenir à ses anciennes illusions de vivre comme il vivait ?

  Je suis de ton avis, dit Glaucon, il préfèrera tout souffrir plutôt que de vivre de cette façon là.

  Imagine encore que cet homme redescende dans la caverne et aille s’asseoir à son ancienne place : n’aura-t-il pas les yeux aveuglés par les ténèbres en venant brusquement du plein soleil? Et s’il lui faut entrer de nouveau en compétition, pour juger ces ombres, avec les prisonniers qui n’ont point quitté leurs chaînes, dans le moment où sa vue est encore confuse et avant que ses yeux ne se soient remis (or l’accoutumance à l’obscurité demandera un temps assez long), n’apprêtera-t-il pas à rire à ses dépens, et ne diront-ils pas qu’étant allé là-haut, il en est revenu avec la vue ruinée, de sorte que ce n’est même pas la peine d’essayer d’y monter? Et si quelqu’un tente de les délier et de les conduire en haut, et qu’ils le puissent tenir en leurs mains et tuer, ne le tueront-ils pas ? 

                                         Platon. La République, Livre VII.

Qu'est-ce que la philosophie ?

Épisode 15 : Qu’est-ce que la philosophie ?

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Bonjour à vous, j’ai décidé de reprendre ce podcast en commençant par le début.  Je vais donc commencer par tenter de répondre à la question : qu’est-ce que la philosophie ? Ou plutôt qu’est-ce que faire de la philosophie ?

Souvent les élèves qui découvrent la philosophie en terminale ont des présupposés sur la philosophie. Il s’agirait d’une matière plutôt ennuyeuse pratiquée par des gens un peu « perchés » et dont on se demande à quoi elle pourrait servir dans la vie. On sous-entend alors souvent qu’elle pourrait bien ne servir à rien ! Alors qu’est-ce que la philosophie ? Et à quoi sert-elle ? Parce que oui, je pense que la philosophie est non seulement une discipline passionnante mais également qu’elle peut être utile.

Qu’est-ce que la philosophie ?

A mes yeux, la philosophie est un chemin vers la connaissance de soi et du monde. En faisant de la philosophie, vous allez vous interroger sur l’être humain. Quelle est sa nature ? Et d’ailleurs peut-on réellement parler d’une nature humaine ? Quelles sont ses facultés ? De quoi parle-t-on quand on parle de conscience ? Ou d’inconscient ? La conscience de soi que l’on attribue à l’homme n’est-elle pas quelque chose que possèdent aussi certains animaux ? Peut-on dire de l’être humain qu’il est libre ou, au contraire, déterminé ?

En faisant de la philosophie, vous allez aussi vous interroger sur le monde et sur les rapports que nous entretenons avec lui. L’être humain est-il à part dans la nature ? Doit-il chercher à la maîtriser ou plutôt la respecter ?

Et vous l’avez compris, la philosophie c’est avant tout une démarche, une manière de questionner ce qui est et ce qui est dit. Faire de la philosophie c’est d’abord remettre en question ce qui semble évident, c’est douter de ce que l’on appelle l’opinion commune pour ensuite essayer de trouver des réponses en utilisant sa raison. Cela suppose de chercher à voir le monde différemment, de ne pas s’arrêter aux a priori pour élaborer des connaissances solides.

Cette démarche n’est pas toujours aisée, cela va demander de se questionner, de réfléchir, mais si vous commencez à avancer sur ce chemin, si vous êtes curieux et avide de comprendre ; alors faire de la philosophie vous apportera bien des satisfactions !

Pour commencer cette définition, je vais revenir aux origines de la philosophie. Le mot philosophie vient de la Grèce antique. Si on décompose le terme, philo vient du verbe philein : aimer, rechercher et sophia signifie la sagesse. La philosophie serait donc l’amour ou la recherche de la sagesse.

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Mead et le genre

Margaret Mead et le genre

Margaret Mead est une anthropologue américaine du XXe siècle, qui a étudié notamment les cultures traditionnelles de l’Océanie et du Sud-est asiatique. Elle s’y intéresse plus particulière à la sexualité et à la question du genre. C’est entre 1931 et 1933 qu’elle s’emploie à comparer trois sociétés de Nouvelle-Guinée : Les Arapesh, les Mundugumor et les Chambuli. Son travail sera publié sous le titre Trois sociétés primitives de Nouvelle-Guinée (1935). En 1963, une nouvelle édition sera publiée regroupant plusieurs textes dont celui-ci, il s’intitule Moeurs et sexualité en Océanie. Dans cet ouvrage, elle tend à montrer que la façon pour les hommes et les femmes de concevoir leur identité dépend grandement de la manière dont la société conçoit le rôle des hommes et des femmes. En d’autres termes, ce que l’on conçoit dans nos sociétés comme « naturellement » féminin ou « naturellement » masculin, n’aurait pas réellement de rapport avec la nature mais plutôt avec l’éducation et les distinctions de genre adoptées par telle ou telle société.

Cela signifie par exemple que si l’on considère que les hommes doivent être forts et brutaux dans une société, ils vont être élevés en accord avec cet idéal. Cela aura pour conséquence que la majorité des hommes de cette société, se considéreront comme des hommes s’ils sont forts et brutaux. Ils seront fiers de cela et veilleront à « être des hommes ».

Margaret Mead en mettant en évidence de profondes différences dans la façon de concevoir le rôle des hommes et des femmes dans les sociétés qu’elle compare, se confronte à un tabou dans la société américaine des années 30. Cette dernière considère alors que les différences entre les hommes et les femmes du point de vue de leurs comportements et de leurs rôles s’expliquent par la nature. Ce qui justifie de cantonner les femmes dans certaines tâches et concoure à leur refuser l’égalité. On voit ainsi que les études de Mead en Océanie ont aussi des conséquences sur la société américaine et donnent des arguments aux théories féministes qui défendront que le genre n’est pas naturelle, mais le résultat d’une construction sociale et qu’il relève donc de l’acquis. C’est parce que telle société élève les garçons et les filles de manière différentes que finalement ils auront à l’âge adulte des comportements, goûts et compétences différentes.

Mead avance cette théorie à partir de son travail de terrain en comparant les différentes sociétés. Selon elle, le modèle des Arapesh, chez lesquels les hommes, tout comme les femmes ont un comportement doux et aimable s’oppose aux Mundugumor, chez qui les hommes comme les femmes sont plutôt agressifs. Elle explique ces différences par la manière dont les bébés sont élevés. Chez les Arapesh, l’enfant qu’il soit fille ou garçon, est soigné par les deux parents et toujours porté près du corps. Les parents ne laissent pas pleurer les enfants et s’en inquiètent. Chez les Mundugumor, au contraire, les bébés sont gardés dans des paniers assez grossiers et loin des parents. Les soins sont réduits au minimum et les enfants sont élevés dans la compétition dès le plus jeune âge. Ce qui explique, à ses yeux, qu’hommes et femmes se montrent agressifs à l’âge adulte. Il est intéressant de noter que dans les deux cas, il n’y a pas de différences importantes dans l’éducation des hommes et des femmes.

La troisième société qu’elle étudie, les Chambuli, représente un modèle plutôt intermédiaire. Les hommes y sont rudes et agressifs, alors que les femmes y montrent du calme et de la douceur. Selon elle, c’est la différence d’éducation entre les garçons et les filles qui expliquent ces différences de comportements à l’âge adulte.

Pour davantage de cours sur la notion de la culture et de la nature, vous pouvez consulter cette page.

Texte de Magaret Mead :

« si certaines attitudes que nous considérons comme traditionnellement associées au tempérament féminin – telles que la passivité, la sensibilité, l’amour des enfants – peuvent être typiques des hommes d’une certaine tribu, et, dans une autre, au contraire, être rejetées par la majorité des hommes comme des femmes, nous n’avons plus aucune raison de croire qu’elles sont irrévocablement déterminées par le sexe de l’individu. (…) Il est maintenant permis d’affirmer que les traits de caractère que nous qualifions de masculins ou de féminins sont, pour un grand nombre d’entre eux, sinon en totalité, déterminés par le sexe d’une façon aussi superficielle que le sont les vêtements, les manières ou la coiffure qu’une époque assigne à l’un ou à l’autre sexe (…) Seule la société, pesant de tout son poids sur l’enfant, peut être l’artisan de tels contrastes (…) Nous sommes obligés de conclure que la nature humaine est éminemment malléable, obéit fidèlement aux impulsions que lui communique le corps social » 

Margaret Mead, Mœurs et sexualité en Océanie.

Hans Jonas

Le principe de responsabilité, Hans Jonas

Hans Jonas est un philosophe allemand du 20e siècle, il a publié le principe responsabilité en 1979. Dans cet ouvrage, il propose une éthique qui soit adaptée à notre civilisation technologiquement très développée. Que faut-il entendre par là ?

Hans Jonas fait un constat : pendant des millénaires, les hommes ont appris à dominer et contrôler la nature, afin de vivre dans davantage de sécurité et de confort. Mais, au XXe siècle, le développement technique de l’humanité est tel que les hommes finissent par être menacés par le développement technique lui-même. La technique n’est plus un moyen de protection, mais devient un danger à la fois pour la nature et pour les êtres humains. Selon lui, nous avons créé quelque chose qui nous échappe et pourtant, nous sommes, à ses yeux, responsables de la planète que nous allons laisser aux générations futures.

Nous possédons aujourd’hui un énorme pouvoir de destruction sur la nature et sur l’humanité. Cette destruction pourrait être immédiate si l’on pense aux armes atomiques ou progressive si l’on pense plutôt à la pollution et au réchauffement climatique.

La façon dont nous vivons aujourd’hui peut mettre en danger le bien-être de nos enfants et petits enfants c’est pourquoi, pour Hans Jonas, nous devons admettre que nous sommes responsables du futur de l’humanité et de la planète. Cela suppose, selon lui, d’anticiper les conséquences de nos actions et de nos choix notamment dans le domaine des technologies. Il nous faut apprendre à évaluer les risques et à suivre un principe de précaution.

Qu’est-ce que cette approche a de nouveau ?

Jusqu’à présent, nous n’avions de devoir moral qu’envers des êtres présents ou nous devions rendre des comptes pour des actions passées. Ici, Hans Jonas défend que nous avons aussi des devoirs moraux envers les générations futurs et la nature. Il propose donc une nouvelle règle morale qui consiste en une reformulation de l’impératif catégorique de Kant : « Agis de telle sorte que tes actions soient compatibles avec la permanence d’une vie humaine authentique sur la terre ». Cet impératif doit alors nous conduire à adopter des modes de vie qui cessent de détruire la planète. Nous devons renoncer à certaines habitudes et à un certain confort pour préserver la planète et la qualité de vie des générations futures.

Texte de Hans Jonas extrait du Principe de responsabilité

Un impératif adapté au nouveau type de l’agir humain et qui s’adresse au nouveau type de sujets de l’agir s’énoncerait à peu près ainsi : « Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre » ; ou pour l’exprimer négativement : «Agis de façon que les effets de ton action ne soient pas destructeurs pour la possibilité future d’une telle vie» ; ou simplement : « Ne compromets pas les conditions pour la survie indéfinie de l’humanité sur terre » ; ou encore, formulé de nouveau positivement : « Inclus dans ton choix actuel l’intégrité future de l’homme comme objet secondaire de ton vouloir ».

On voit sans peine que l’atteinte portée à ce type d’impératif n’inclut aucune contradiction d’ordre rationnel. Je peux vouloir le bien actuel en sacrifiant le bien futur. De même que je peux vouloir ma propre disparition, je peux aussi vouloir la disparition de l’humanité. Sans me contredire moi-même, je peux, dans mon cas personnel comme dans celui de l’humanité, préférer un bref feu d’artifice d’extrême accomplissement de soi-même à l’ennui d’une continuation indéfinie dans la médiocrité.

Or le nouvel impératif affirme précisément que nous avons bien le droit de risquer notre propre vie, mais non celle de l’humanité ; et qu’Achille avait certes le droit de choisir pour lui-même une vie brève, faite d’exploits glorieux, plutôt qu’une longue vie de sécurité sans gloire (sous la présupposition tacite qu’il y aurait une postérité qui saura raconter ses exploits), mais que nous n’avons pas le droit de choisir le non-être des générations futures à cause de l’être de la génération actuelle et que nous n’avons même pas le droit de le risquer. Ce n’est pas du tout facile, et peut-­être impossible sans recours à la religion, de légitimer en théorie pourquoi nous n’avons pas ce droit, pourquoi au contraire nous avons une obligation à l’égard de ce qui n’existe même pas encore et ce qui « de soi » ne doit pas non plus être, ce qui du moins n’a pas droit à l’existence, puisque cela n’existe pas. Notre impératif le prend d’abord comme un axiome sans justification.

Hans Jonas, Le Principe responsabilité (1979), trad. Greisch, coll. Champs, Flammarion, p. 40

Commencer la philosophie

Conseils et lectures pour débuter la philosophie

Débuter la philosophie tout seul peut s’avérer difficile car, disons le, beaucoup de textes de philosophie sont difficiles d’accès de part leur langue ou parce qu’il est nécessaire de comprendre plus généralement de quel problème il est question avant de pouvoir bien comprendre ce que dit l’auteur et pourquoi.

Afin de vous aider, je vais vous donner quelques conseils. Il y a plusieurs possibilités selon vos goûts et vos aptitudes de départ pour débuter la philosophie.

➡️ Si vous êtes étudiant, en 1er, terminale ou prépa et que vous voulez apprendre à réussir votre dissertation ou votre explication de texte en philosophie, je vous conseille de lire mon livre. Vous pouvez le demander ici gratuitement.

➡️ Si vous n’êtes plus étudiant mais néanmoins curieux de découvrir la philosophie, je vous invite à vous inscrire ici pour recevoir les épisodes de mon podcast pour débuter la philosophie.

Débuter la philosophie avec des livres généraux

Une première possibilité consiste à lire des ouvrages généraux sur l’histoire de la philosophie ou qui envisagent un peu tous les thèmes que l’on peut voir au programme de Terminale en philosophie. Vous pouvez également regarder des vidéos sur Youtube par exemple.

Voici quelques ouvrages que je trouve accessibles pour un débutant :

  • Apprendre à vivre, Tome 1 : Traité de philosophie à l’usage des jeunes générations, de Luc Ferry
  • Présentations de la philosophie, André Comte-Sponville,

Pour vous familiariser avec des thèmes et thèses de manière plus ludique :

  • La Playlist des philosophes – Marianne Chaillan
  • Le monde de sophie, Jostein Gaarder
Commencer la philosophie
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Choisir un thème en particulier

Une autre façon d’entrer dans la philosophie est sans doute de commencer par un thème qui nous attire. Peut-être avez-vous un intérêt particulier pour les questions liées au bonheur ou à la liberté. Vous vous intéressez alors plus spécifiquement à l’éthique ou à la philosophie pratique qui est cette partie de la philosophie qui se demande comment il faut vivre. Peut-être êtes-vous plutôt intéressés par des thèmes comme la technique, le temps ou le langage.

Personnellement, quand j’ai commencé la philosophie en terminale, j’étais très intéressée par l’éthique et par la question du langage. Une des particularités de la philosophie c’est qu’elle parle de tout et qu’il y a de nombreux domaines distincts à l’intérieur de la philosophie. On peut faire de la philosophie sur l’art (l’esthétique), la liberté, le bonheur, le devoir (l’éthique), les sciences, la vérité (épistémologie), la politique, le langage, l’existence et le temps (la métaphysique)…..

Je vais vous donner quelques conseils en sachant que certains thèmes sont plus accessibles que d’autres.

L’éthique (liberté, bonheur, morale)

Un auteur contemporain accessible :

  • Ruwen Ogien, La panique morale
  • Ruwen Ogien, L’influence de l’odeur des croissants chauds sur la bonté humaine

Les stoïciens peuvent être une bonne entrée :

  • Sénèque, Lettres à Lucilius
  • Epictète, Manuel : pensées sur l’homme, la vie, le bonheur
  • Marc-Aurèle, Pensées pour moi-même

Mais également :

  • Alain, Propos sur le bonheur
  • Epicure, Lettre à Ménécée

La conscience/L’inconscient

  • Freud, Cinq leçons de psychanalyse
  • Bettelheim, « Psychanalyse des contes de fées »

L’existence et le temps

  • Sénèque, Sur la brièveté de la vie
  • Camus, Le mythe de Sisyphe
  • Sartre, L’existentialisme est un humanisme

L’art ou l’esthétique

Thème plus difficile : une chaîne youtube intéressante : https://www.youtube.com/c/SOSART

La politique

  • Thoreau, De la désobéissance civile
  • La Boétie, Discours de la servitude volontaire
  • Marx, Manifeste du parti communiste

Nature/culture

  • Simone de Beauvoir, La femme indépendante (extrait du deuxième Sexe)
  • Thoreau, Walden ou la vie dans les bois
  • Claude Lévi-Strauss, Race et histoire

Le travail/La technique

  • Bertrand Russell, Eloge de l’oisiveté

La religion

  • Freud, L’avenir d’une illusion

Débuter la philosophie avec un auteur

Une autre manière de commencer la philosophie peut consister à choisir un auteur qui vous attire. Cela peut-être une bonne façon de faire, mais veillez à ne pas commencer par Hegel. Personnellement j’aime beaucoup Spinoza, mais c’est également difficile à lire pour un débutant. Si Platon vous intéresse veillez à commencer par des dialogues.

Voilà, j’espère que ces quelques conseils vous aideront à bien débuter la philosophie !

Citation de Spinoza

Citation de Spinoza
Citation de Spinoza

Pour Spinoza, nous avons tendance à nous moquer des hommes et à les juger durement car nous croyons à la toute puissance du libre arbitre. Nous pensons que l’homme est libre et donc pleinement responsable de ses choix, là où, en réalité, les hommes sont déterminés par les circonstances et par leurs passions. C’est ce que dit Spinoza dans l’Ethique, les hommes croient être libres car ils n’ont pas conscience des causes qui les déterminent. Ils ne voient pas à quel point, ils sont influencés par des causes antérieures qui agissent sur leurs choix.

La conséquence de cette illusion, pour Spinoza, est que nous avons tendance à émettre des jugements moraux sur la conduite des autres, en les louant ou en les blâmant, car nous les pensons pleinement responsables de leurs actes. Nous allons également nous indigner, pleurer ou nous moquer face à ce que nous pensons être un mauvais usage du libre arbitre. Mais, pour Spinoza, ces jugements et ces réactions émotionnelles n’ont pas grand sens et il vaut mieux philosopher et chercher à comprendre la nature humaine plutôt que de blâmer les hommes pour des comportements qu’ils n’ont pas choisi.

« Ni rire, ni pleurer, ni détester, mais comprendre ». Cette citation de Spinoza, nous enjoint donc à chercher à comprendre plutôt qu’à blâmer.

Texte pour comprendre la citation de Spinoza :

« La plupart de ceux qui ont parlé des sentiments et des conduites humaines paraissent traiter, non de choses naturelles qui suivent les lois ordinaires de la Nature, mais de choses qui seraient hors Nature. Mieux, on dirait qu’ils conçoivent l’homme dans la Nature comme un empire dans un empire. Car ils croient que l’homme trouble l’ordre de la Nature plutôt qu’il ne le suit, qu’il a sur ses propres actions une puissance absolue et qu’il n’est déterminé que par soi.

Et ils attribuent la cause de l’impuissance et de l’inconstance humaines, non à la puissance ordinaire de la Nature, mais à je ne sais quel vice de la nature humaine : et les voilà qui pleurent sur elle, se rient d’elle, la méprisent ou, le plus souvent, lui vouent de la haine ; qui sait avec plus d’éloquence ou de subtilité accabler l’impuissance de l’esprit humain passe pour divin. Sans doute n’a-t-il pas manqué d’hommes éminents (et nous avouons devoir beaucoup à leur labeur, à leur ingéniosité) pour écrire sur la droite conduite de la vie beaucoup de choses excellentes et pour donner aux mortels de sages conseils : mais la nature des sentiments, leur force impulsive et, à l’inverse, le pouvoir modérateur de l’esprit sur eux, personne, à ma connaissance, ne les a déterminés. Je sais bien que le très illustre Descartes, encore qu’il ait cru au pouvoir absolu de l’esprit sur ses actions, a tenté l’explication des sentiments humains par leurs causes premières et à montrer en même temps comment l’esprit peut dominer absolument les sentiments ; mais, à mon avis, il n’a rien montré du tout que l’acuité de sa grande intelligence, comme je le démontrerai en son lieu.

Je veux donc revenir à ceux qui préfèrent haïr ou railler les sentiments et les actions des hommes, plutôt que de les comprendre. Sans doute leur paraîtra-t-il extraordinaire que j’entreprenne de traiter des vices et de la futilité des hommes selon la méthode géométrique, que je veuille démontrer par un raisonnement rigoureux (certa) ce qu’ils proclament sans cesse contraire (repugnare) à la Raison, cela même qu’ils disent vain, absurde et horrifique. Mais voici mon argument (ratio). Il ne se produit rien dans la Nature qui puisse lui être attribué comme un vice inhérent ; car la Nature est toujours la même, et partout sa vertu et sa puissance d’action (agendi) est une et identique. Ce qui signifie que les lois et les règles de la Nature, suivant lesquelles toute chose est produite et passe d’une forme à une autre, sont partout et toujours les mêmes, et par conséquent il ne peut exister aussi qu’un seul et même moyen de comprendre la nature des choses, quelles qu’elles soient : par les lois et les règles universelles de la Nature.

Voilà pourquoi les sentiments de haine, de colère, d’envie, etc., considérés en eux-mêmes, obéissent à la même nécessité et à la même vertu de la Nature que les autres choses singulières ; et par suite ils admettent des causes rigoureuses (certas) qui les font comprendre, et ils ont des propriétés bien définies (certas) tout aussi dignes d’être connues que les propriétés d’une quelconque autre chose dont la seule considération nous satisfait. Je traiterai donc de la nature et de la force impulsive des sentiments et de la puissance de l’esprit sur eux selon la même méthode qui m’a précédemment servi en traitant de Dieu et de l’Esprit, et je considérerai les actions et les appétits humains de même que s’il était question de lignes, de plans ou de corps ».

Spinoza, Ethique, III, De l’origine et de la nature des sentiments

Citation de Tocqueville : Pourquoi un peuple ne vote plus ?

Citation de Tocqueville
Citation de Tocqueville

Alexis de Tocqueville est un philosophe très connu pour avoir mis en garde sur les risques que la démocratie ne devienne finalement une nouvelle forme de despotisme. Il s’inquiète notamment que les citoyens ne se désintéressent de la vie commune et en viennent à se refermer sur leur cercle privé sans prendre le temps de s’assurer que les politiques prennent des décisions dans le but de servir le bien commun. Il y revient plus précisément dans cette citation de Tocqueville que je vous ai déjà présenté où il parle du despotisme doux. Il reproche également aux citoyens des démocratie leur tendance à l’individualisme.

Dans la citation de Tocqueville ci-dessus, il insiste sur un autre aspect qui n’est pas moins important. Pour que le peuple continue de s’intéresser au bien commun, pour qu’il continue de participer aux votes, il faut qu’il ait le sentiment qu’il a encore effectivement le pouvoir. En d’autres termes, si quelque soit la manière dont le peuple vote, les décisions politiques de ses représentants restent toujours les mêmes. Si quelque soit son vote, sa situation ne change pas et ne s’améliore pas, alors c’est que sans doute il n’y a plus là que de « vains semblants de la liberté » selon Tocqueville.

Ainsi, selon Tocqueville, la crise de la démocratie ne vient pas réellement des citoyens qui se désintéressent du politique, mais leur désintérêt n’est que la conséquence du fait qu’on leur a, en réalité, confisqué le pouvoir. Ce qui peut être le cas, par exemple, si les représentants du peuple ne le représentent plus, mais ne servent plus que leurs propres intérêts. Alors les citoyens n’étant pas des sots, ils cessent de voter. Mais le pouvoir politique, lui, cherche à maintenir l’illusion de la liberté en continuant à leur proposer de voter.

Texte de Tocqueville :

« Le peuple, qui ne se laisse pas prendre aussi aisément qu’on se l’imagine aux vains semblants de la liberté, cesse alors partout de s’intéresser aux aires de la commune et vit dans l’intérieur de ses propres murs comme un étranger. Inutilement ses magistrats essayent de temps en temps de réveiller en lui ce patriotisme municipal qui a fait tant de merveilles dans le Moyen Âge: il reste sourd. Les plus grands intérêts de la ville ne semblent plus le toucher. On voudrait qu’il allât voter, là où on a cru devoir conserver la vaine image d’une élection libre : il s’entête à s’abstenir. Rien de plus commun qu’un pareil spectacle dans l’histoire. Presque tous les princes qui ont détruit la liberté ont tenté d’abord d’en maintenir les formes. »

Peut-on parler d’une égalité homme femme dans la famille ?

Peut-on considérer qu'il y a une égalité homme femme dans la famille ?

Peut-on considérer qu’il y a une égalité homme femme dans la famille ? Selon Pierre Bourdieu dans la Domination masculine, nous vivons dans des sociétés organisées sur le principe de la domination masculine, c’est-à-dire que la société est avant tout organisée par, autour et pour l’homme. Cette domination est dite symbolique dans la mesure où il ne s’agit pas d’un pouvoir qui s’exercerait physiquement sous forme de contrainte ou consciemment en requérant un consentement par exemple, mais inconsciemment à travers ce que Bourdieu nomme « l’incorporation de la domination ».

La domination masculine et le pouvoir au sein de la famille.

Selon Bourdieu, l’égalité homme femme n’est pas acquise. Les femmes sont dominées dans la société parce qu’elles sont éduquées d’une manière qui tend à les diminuer, elles font notamment l’apprentissage des « vertus » négatives d’abnégation, de résignation, de silence et de dispositions dites « féminines ». Elles intériorisent cette perception d’elles-mêmes et cela influence ensuite leurs pensées, leurs actions, leurs manières de se comporter et leurs habitudes. Si bien qu’elles adoptent « d’elles-mêmes » des positions subalternes dans leurs familles comme dans leurs vies professionnelles. Ainsi, une femme pourra avoir le sentiment d’avoir une vocation pour prendre soin des enfants ou pour les métiers ayant trait au soin des autres, alors qu’il ne s’agit pas réellement d’un choix, mais plutôt du résultat de l’intégration de la domination masculine.

Cette domination symbolique va ainsi avoir des effets importants au sein des familles dans la mesure où les épouses vont alors se trouver en situation d’infériorité vis-à-vis de leurs époux. Susan Moller Okin, dans Justice, Genre et Famille, montre notamment que les femmes parce qu’elles ont choisi de s’occuper de leurs familles à temps plein ou ont choisi un métier à faible revenu pour avoir plus de temps, dépendent de leurs conjoints et ne sont donc pas en position de force pour négocier un partage des tâches domestiques plus équitable ou vont hésiter à se séparer d’un conjoint quand bien même serait-il violent, car elles se trouveraient alors sans ressource.

Selon Susan Moller Okin, la famille structurée par le genre, c’est-à-dire composée d’un homme et d’une femme ayant des rôles traditionnellement distincts, est profondément injuste et il est erroné de considérer qu’il n’est pas nécessaire d’y faire régner la justice. L’égalité homme femme est ici inexistante. Cette conception d’une famille idéale cache en réalité, à ses yeux, les rapports de domination qui s’exercent au sein de la famille et empêche une véritable interrogation sur la manière dont on pourrait rendre la famille plus juste.

Moller Okin s’intéresse particulièrement à l’institution du mariage et montre qu’il est à l’origine le plus souvent d’une plus grande vulnérabilité des femmes. En effet, elle montre que les femmes envisagent d’emblée de par leur éducation qu’elles vont être dans le mariage le parent qui s’occupera principalement des enfants, elles font donc moins d’études ou s’orientent vers des métiers spécifiques aux horaires compatibles avec l’éducation d’enfants, ce qui les rend donc par la suite plus dépendantes de leurs conjoints et plus vulnérables car elles n’ont que peu ou pas de revenu. Moller Okin met alors en évidence le cercle vicieux dans lequel sont prises les femmes : au sein de la famille, elles ont le revenu le plus faible, c’est donc tout naturellement qu’elles mettent leur vie professionnelle de côté quand des enfants arrivent, renforçant ainsi le partage traditionnel des tâches qu’elles ne remettent même pas en question puisqu’il semble fait en bonne logique.

Travail rémunéré et travail non rémunéré.

Les injustices dans la famille s’expliquent également par le fait que c’est aux femmes que revient traditionnellement le travail domestique non rémunéré, ce qui nuit à leur indépendance économique et à la reconnaissance de leur rôle social. Or, cette division du travail structurée par le genre dans la famille a des conséquences importantes sur les opportunités de vie des femmes. Selon Christine Delphy, dans L’Ennemi Principal, la famille est un lieu d’oppression pour les femmes dans la mesure où dans nos sociétés patriarcales où l’autorité est détenu par le père, le travail des femmes au sein de la famille est approprié sans contrepartie par les hommes qui en profitent et n’y participent pas. Les femmes sont exploitées, selon elle, car elles effectuent la majorité des tâches domestiques et familiales (ménage, cuisine, soins aux enfants etc) alors que ces tâches ne sont pas considérées comme un réel travail productif et donc pas rémunérées. Au contraire, le travail des femmes au sein de la famille est ignoré et méprisé alors qu’il est absolument essentiel et producteur de richesse.

Dominique Méda, dans Le temps des femmes,montre notamment que si la société a changé dans la mesure où les femmes travaillent beaucoup plus hors de la maison, cela n’a pas eu d’effets sur la division du travail. Une enquête appelée « Emploi du temps » montre ainsi qu’en France au début du XXIe siècle, 80% des tâches domestiques et des soins aux enfants reposent toujours sur les femmes. Ceci car il continue à aller de soi dans la société qu’un certain nombre de tâches incombent aux femmes naturellement, mais également parce que les réformes institutionnelles qui permettraient aux femmes de travailler tout en ayant des enfants n’ont pas été faites. Or, Méda montre que cela a des conséquences importantes sur la vie des femmes. Dans le cas des femmes au foyer, le travail domestique équivaut à un emploi non rémunéré, qui peut les occuper à toute heure, qu’elles ne peuvent pas abandonner, qui n’est absolument pas reconnu socialement et qui les rend dépendantes. Dans le cas des femmes qui travaillent et s’occupent de l’essentiel du travail domestique, cela a nécessairement des conséquences importantes sur leurs carrières professionnelles dans la mesure où elles ont « une double journée ».

Pour davantage de contenus sur la notion de justice, vous pouvez consulter cette page : Cours de philosophie