Le langage trahit-il la pensée ?

Bergson : Le langage trahit-il la pensée ?

Selon Bergson, le langage a un défaut important. Certes, il permet de s’exprimer et de communiquer, mais il trahit ce que nous voulons dire.

Selon Bergson, le langage a un défaut important. Certes, il permet de s’exprimer et de communiquer, donc de dévoiler aux autres, en le rendant public, ce qu’il y a de plus personnel et individuel, nos pensées, nos désirs etc. Mais, selon lui, ce n’est néanmoins pas sans transformer, appauvrir, falsifier ce qui est à transmettre.

Loin d’être une indispensable traduction de nos pensées, le langage ne ferait que trahir ce que nous voulons dire véritablement.

Ainsi, selon Bergson, la langue déforme la pensée car elle consiste en un ensemble de mots, donc d’idées générales, qui appauvrissent nécessairement ce que nous voulons dire. Pourquoi peut-il parler d’un appauvrissement ? Car les mots que nous utilisons sont généraux, ils renvoient à une idée générale. Par exemple, le mot « chat » renvoie à une idée générale de chat, un petit mammifère de type félin. Si je parle donc de « mon chat », ce à quoi je pense est très précis, je pense à mon chat singulier avec ses caractéristiques, sa couleur, ses rondeurs … mais je ne dis que « mon chat » mon interlocuteur ne reçoit pas toute la singularité de ce que je mets derrière ces mots, il a simplement à l’esprit une idée générale de chat. De la même façon si je parle de ma colère, de mon amour, de ma tristesse, il s’agit toujours d’un ressenti singulier qui peut être très différent de la colère d’une autre personne ou de ma tristesse d’il y a 15 jours. Pourtant, quand nous parlons nous utilisons un terme générique « colère », « amour », « tristesse » pour qualifier ce que nous ressentons. De ce fait notre interlocuteur comprend vaguement ce que nous ressentons, mais pas précisément. Le langage ne nous permet pas de transmettre la singularité de nos pensées et de nos ressentis.

Selon Bergson, le langage dresse sur notre vie une simplification pratique qui ampute le réel de toute sa complexité et de sa pluralité pour n’en laisser qu’une vision superficielle et générale qui est la négation des choses elles-mêmes.

Pourquoi le langage est-il simplificateur ?

En effet, les différences spécifiques propres à chaque objet ou ressenti sont niées et vouées à être inaperçues en raison d’un impératif pratique qui impose d’en rester à des vues générales. Bergson parle d’impératif pratique parce que le langage n’a pas pour objectif premier de transmettre la singularité de nos pensées ou émotions, son objectif premier est de nous permettre de communiquer, de nous comprendre. Or, pour que nous puissions nous comprendre et parfois nous comprendre vite, il faut que les mots renvoient à des idées simples et comprises de tous. Si je veux prévenir quelqu’un d’un danger imminent, il faut que je puisse le lui dire vite et que cette personne me comprenne vite, sans cela je serai encore en train de préciser ma pensée et le danger sera sur nous. Il y a donc effectivement un objectif pratique du langage c’est-à-dire que le langage sert l’action, il nous permet d’agir et de faire agir les autres rapidement.

Bergson comprend cette fonction du langage mais il regrette que, de ce fait, le langage ne fasse que déposer des « étiquettes sur le monde entier ». Par étiquette, il entend des idées générales collées sur des choses singulières.

Cet argument de Bergson peut être utilisé dans un sujet sur le langage comme « le langage trahit-il la pensée ? » ou encore « Peut-on tout exprimer ? ». Vous pouvez retrouver ce sujet avec quelques autres sujets classés par thème ici.

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Texte de Bergson :

Nous ne voyons pas les choses mêmes; nous nous bornons, le plus souvent, à lire des étiquettes collées sur elles. Cette tendance, issue du besoin, s’est encore accentuée sous l’influence du langage. Car les mots (à l’exception des noms propres) désignent des genres. Le mot, qui ne note de la chose que sa fonction la plus commune et son aspect banal, s’insinue entre elle et nous, et en masquerait la forme à nos yeux si cette forme ne se dissimulait déjà derrière les besoins qui ont créé le mot lui-même.

Et ce ne sont pas seulement les objets extérieurs, ce sont aussi nos propres états d’âme qui se dérobent à nous dans ce qu’ils ont de personnel, d’originellement vécu. Quand nous éprouvons de l’amour ou de la haine, quand nous nous sentons joyeux ou tristes, est-ce bien notre sentiment lui-même qui arrive à notre conscience avec les mille nuances fugitives et les mille résonances profondes qui en font quelque chose d’absolument nôtre ? Nous serions alors tous romanciers, tous poètes, tous musiciens. Mais le plus souvent, nous n’apercevons de notre état d’âme que son déploiement extérieur. Nous ne saisissons de nos sentiments que leur aspect impersonnel, celui que le langage a pu noter une fois pour toutes parce qu’il est à peu près le même, dans les mêmes conditions, pour tous les hommes. Ainsi, jusque dans notre propre individu, l’individualité nous échappe. Nous nous mouvons parmi des généralités et des symboles […], nous vivons dans une zone mitoyenne entre les choses et nous, extérieurement aux choses, extérieurement aussi à nous-mêmes.

Bergson (1859-1941), Le rire.

Schopenhauer : Faut-il rechercher le bonheur ?

Schopenhauer le bonheur ne peut être atteint.

Schopenhauer peut être considéré comme un philosophe plutôt pessimiste quant à notre capacité à être heureux. Paradoxalement, selon lui, c’est notamment parce que nous recherchons constamment le bonheur que nous ne l’atteignons jamais. En d’autres termes, le désir apparaît pour Schopenhauer comme un obstacle au bonheur. Nous allons voir ici ce qu’il répondrait au sujet « Faut-il rechercher le bonheur ? » qui est un sujet de dissertation classique. Pour en savoir plus sur la manière de bien réussir votre problématique et votre introduction de dissertation, c’est dans cet article.

Le désir nous rend constamment insatisfaits

Schopenhauer, inspiré en cela par le bouddhisme, considère que le désir est cause de souffrance et que désirer être heureux nous garantit de ne jamais l’être en réalité. Pourquoi cela ? Car tout désir est inquiétude et manque, si nous désirons quelque chose c’est que nous ne l’avons pas ou craignons de le perdre, alors le désir est souffrance. Selon Schopenhauer, « la vie oscille sans cesse de la souffrance à l’ennui ». Cela signifie que dans notre vie nous sommes constamment soit en train de désirer c’est-à-dire de souffrir pour Schopenhauer, soit en train de nous ennuyer car finalement nous avons tendance à être rapidement lassés de ce que nous avons finalement obtenu. Cet ennui laisse alors place à un nouveau désir qui nous fait souffrir jusqu’à ce qu’il soit satisfait et alors rapidement nous retombons dans l’ennui. C’est ce qu’il explique plus longuement dans le texte ci-dessous.

Texte de Schopenhauer sur le bonheur et le désir

« Tout vouloir procède d’un besoin, c’est-à-dire d’une privation, c’est-à-dire d’une souffrance. La satisfaction y met fin ; mais pour un désir qui est satisfait, dix au moins sont contrariés ; de plus le désir est long et ses exigences tendent à l’infini ; la satisfaction est courte et elle est parcimonieusement mesurée. Mais ce contentement suprême n’est lui-même qu’apparent ; le désir satisfait fait place aussitôt à un nouveau désir ; le premier est une déception reconnue, le second est une déception non encore reconnue. La satisfaction d’aucun souhait ne peut procurer de contentement durable et inaltérable. C’est comme l’aumône qu’on jette à un mendiant : elle lui sauve aujourd’hui la vie pour prolonger sa misère jusqu’à demain. – Tant que notre conscience est remplie par notre volonté, tant que nous sommes asservis à la pulsion du désir, aux espérances et aux craintes continuelles qu’il fait naître, tant que nous sommes sujets du vouloir, il n’y a pour nous ni bonheur durable, ni repos. Poursuivre ou fuir, craindre le malheur ou chercher la jouissance, c’est en réalité tout un ; l’inquiétude d’une volonté toujours exigeante, sous quelque forme qu’elle se manifeste, emplit et trouble sans cesse la conscience ; or sans repos le véritable bonheur est impossible. Ainsi le sujet du vouloir ressemble à Ixion attaché sur une roue qui ne cesse de tourner, aux Danaïdes qui puisent toujours pour emplir leur tonneau, à Tantale éternellement altéré ».

A.Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation(1818), trad.A.Burdeau, éd. PUF,1966, pp.252-253.

Alors faut-il désirer le bonheur ? Si notre désir est d’être heureux, alors nous allons nous dire que nous serons heureux quand nous aurons ce travail ou cette maison ou rencontré la bonne personne… Dans tous les cas, ne reportons le moment d’être heureux à plus tard quand nous aurons ceci ou cela et une fois que nous l’avons, nous n’en sommes plus satisfait et il nous faut encore autre chose pour être heureux. Si bien que finalement désirer le bonheur, espérer atteindre plus tard le bonheur, est un leurre qui nous garantit de ne jamais l’atteindre. Il faudrait sans doute mieux ce satisfaire de ce que nous avons et trouver des raisons d’être heureux aujourd’hui. Mais là encore c’est une chose difficile, selon Schopenhauer, car nous avons tendance à sentir beaucoup plus la douleur que le bonheur.

Nous ne sentons pas le bonheur quand nous l’avons atteint

Selon Schopenhauer, notre organisme est conçu pour sentir la douleur car elle est une alerte qui nous maintient en vie. En revanche, le bonheur passe rapidement inaperçu car il doit plutôt être défini négativement comme une absence de douleur. Cette absence nous ne la remarquons plus très rapidement. C’est pourquoi nous nous rendons souvent compte que nous étions heureux quand nous perdons ce bonheur. Alors la douleur que nous ressentons est d’autant plus grande que nous nous étions habitués à ce bonheur.

« Que notre vie était heureuse, c’est ce dont nous ne nous apercevons qu’au moment où ces jours heureux ont fait place à des jours malheureux. Autant les jouissances augmentent, autant diminue l’aptitude à les goûter : le plaisir devenu habitude n’est plus éprouvé comme tel. Mais par là même grandit la faculté de ressentir la souffrance ; car la disparition d’un plaisir habituel cause une impression douloureuse. Ainsi la possession accroit la mesure de nos besoins, et du même coup la capacité de ressentir la douleur. – Le cours des heures est d’autant plus rapide qu’elles sont agréables, d’autant plus lent qu’elles sont plus pénibles ; car le chagrin, et non le plaisir, est l’élément positif, dont la présence se fait remarquer. De même nous avons conscience du temps dans les moments d’ennui, non dans les instants agréables. Ces deux faits prouvent que la partie la plus heureuse de notre existence est celle où nous la sentons le moins. » SCHOPENHAUER

50 règles de Schopenhauer pour une vie moins pénible.

Schopenhauer considère que le bonheur n’est pas quelque chose que l’on peut atteindre et qu’il est donc vain de le rechercher. En revanche, il pense qu’il est possible de rendre sa vie moins pénible en suivant certaines règles qui nous garantissent de limiter les souffrances que nous infligeons aux autres et à nous-mêmes.

Ces carnets contenaient 50 règles, en voici quelques unes :

Il conseille dans la règle 2 d’éviter d’être jaloux et de susciter la jalousie. « Tu ne seras jamais heureux tant que tu seras torturé par un plus heureux. ». La jalousie est un poison qui nous rend toujours malheureux.

Schopenhauer conseille ensuite de faire ce que nous avons naturellement envie de faire. On ne peut pas longtemps forcer sa nature, mieux vaut se consacrer à un domaine dans lequel nous avons des facilités et un certain enthousiasme. « En effet, de même que les poissons ne sont bien que dans l’eau, l’oiseau seulement dans l’air, la taupe uniquement sous terre, ainsi chaque homme ne se sent bien que dans l’atmosphère appropriée pour lui. ». Règle 3.

Règle 6 : « Faire de bon cœur ce qu’on peut et souffrir de bon cœur ce qu’on doit. »

Règle 8 : « Limiter le cercle de ses relations : on offre ainsi moins de prise au malheur. »

Règle 48 : « Le bonheur appartient à ceux qui se suffisent à eux-mêmes. »