langage philosophie

Le langage en philosophie – Cours de philosophie

Dans cet article, je vais vous présenter la notion de langage qui est une des dix-sept notions du programme de philosophie en terminale. Je vais d’abord faire un point sur la manière dont on peut définir cette notion. Puis, je vais passer en revue quelques grandes questions possibles sur le langage en montrant comment on pourrait y répondre à l’aide d’auteurs classiques.

On peut définir le langage comme un système de signes ou ensemble de signes que l’on utilise pour communiquer ou exprimer des idées, des informations, des sentiments…

Mais qu’est-ce qu’un signe ?

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Ferdinand de Saussure, linguiste suisse, montre qu’un signe est constitué de deux éléments complémentaires. Pour qu’il y ait un signe il faut, d’une part, un signifié et, d’autre part, un signifiant.

Le signifié c’est l’idée que nous avons en tête. Par exemple l’idée de chat ou de table.

Le signifiant c’est la forme sensible ou l’aspect matériel qui renvoie au signifié. Par exemple, le mot « chat » écrit sur le tableau, ou l’ensemble de son qui donne chat ou encore le geste qui renvoie à l’idée de chat en langue des signes.

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Donc, vous l’avez compris, pour qu’il y ait réellement un signe, il faut qu’un signifiant (par exemple le mot « chat ») renvoie dans votre esprit à une idée correspondante. (l’idée de chat)

Si vous ne savez pas à quelle idée (ou signifié) le signifiant renvoie alors vous ne comprenez pas ce que votre interlocuteur essaie de vous dire. Par exemple si votre interlocuteur est allemand est vous parle de « Katze » ce signifiant fait signe pour vous vers l’idée ou signifié chat si et seulement si vous avez l’idée de chat et vous savez que ce signifiant « Katze » renvoie à l’idée de chat.

Imaginons que vous disiez quelque chose d’inintelligible en français du genre « dedulou ». Ceci n’est pas un signe car même s’il y a un élément matériel (quelque chose d’écrit ou un ensemble de sons) cela ne renvoie pas à une idée ou signifié dans votre esprit. Cela ne fait donc pas signe.

Mais, et j’en viens à la deuxième définition importante, il est très possible que cette ensemble de son « dédulou » ne soit pas un signe en français mais qu’il en soit un dans une autre langue.

Une langue c’est un système de signes propre à une communauté spécifique. Les humains ont tous un système de signes, mais ils n’ont pas le même. Ils ont des langues différentes.

Enfin, quand on use de la parole, c’est que l’on utilise une langue ponctuellement.

Quels sont les grands problèmes en philosophie qui peuvent être posés sur la question du langage ?   

– Premier sujet très classique : « Peut-on penser sans langage ? »

Petit rappel méthodologique au passage : sur ce sujet il y a trois éléments à définir lors de l’analyse du sujet.

  • « Langage » évidement, que j’ai déjà défini.
  • Le verbe, et ici plus précisément la forme en « Peut-on », est intéressante, j’en parlerai un peu après.
  • Mais surtout ici vous ne devez pas oublier de vous interroger sur le sens du verbe « penser » car en fonction du sens que vous donnez à ce terme la réponse au sujet peut être très différente.

Qu’est-ce que penser ? Si vous l’envisagez au sens large penser c’est avoir une activité psychique. Descartes définit la  pensée comme « tout ce que ce qui se fait en nous de telle sorte que nous l’apercevons immédiatement en nous-mêmes ».

Alors, selon cette définition de Descartes, « penser », cela peut désigner toutes sortes d’activités psychiques comme avoir une idée, un sentiment, un doute, une volonté, une intuition ou encore une émotion qui serait accompagné de conscience. Donc, si on prend « penser » en ce sens, il va être plutôt facile de défendre que l’on peut penser sans langage.

En revanche, si vous prenez plutôt la définition de Platon qui va dire que la pensée c’est « le dialogue de l’âme avec elle-même » alors, en ce sens, il va être difficile de réellement penser ou dialoguer sans langage car pour dialoguer il faut des mots.

Voilà maintenant comment peut-on répondre à cette question ?

Une première manière de répondre pourrait être de dire avec Locke qu’il est effectivement possible de penser sans langage, car finalement le langage est essentiellement un moyen de communication.

Locke, philosophe anglais du 17e siècle, défend ainsi dans l’Essai sur l’entendement humain que les mots ne font qu’exprimer ou rendre publique des pensées qui existent déjà dans notre esprit. Le langage n’ajouterait rien à la pensée et ne jouerait aucun rôle dans sa formation. Ce serait en ce sens seulement un moyen.

A cette première thèse, on pourrait opposer la thèse de Hegel, philosophe allemand du 18e-19e siècle, qui au contraire défend qu’on ne peut penser sans langage car le langage est nécessaire pour former la pensée.

Hegel écrit ainsi : « C’est dans les mots que nous pensons. Nous n’avons conscience de nos pensées déterminées et réelles que lorsque nous leur donnons la forme objective, que nous les différencions de notre intériorité, et par suite nous les marquons d’une forme externe ».

On comprend ainsi que selon Hegel, Il n’y a pas de pensée sans mot car c’est le mot qui nous permet de clarifier notre pensée.

Ainsi le fait de ne pas réussir à formuler ses idées ne signifierait alors pas que nous manquons de mots mais que notre pensée est encore mal formée. Si nous cherchons nos mots c’est que l’idée n’est pas clairement formée.

Hegel s’oppose à l’idée qu’il y aurait une pensée ineffable c’est-à-dire qu’on ne pourrait pas dire ou nommer. Pour lui, la pensée qui ne trouve pas de mots est confuse et n’est pas encore à proprement parler une pensée.

Pour illustrer cette thèse, on peut penser au roman 1984 de George Orwell. Dans ce roman, Orwell dépeint une société soumise à un État totalitaire qui cherche à priver les individus de toute liberté. Or, précisément pour leur retirer toute liberté, le parti a décidé la création d’une nouvelle langue soi-disant simplifiée appelée « Novlangue ».

La thèse derrière la création de cette nouvelle langue est que si l’on fait disparaître certains mots (évidemment des mots plutôt subversifs comme liberté, justice ou encore révolte) en les regroupant sous un même mot commun, dans le roman il s’agit du terme « crimepensée », alors il sera peu à peu impossible d’avoir la moindre réflexion sur la liberté et la justice car il sera impossible d’en parler clairement.

Il serait alors nécessaire d’avoir des mots distincts pour pouvoir réellement penser certaines idées. Voilà pour ce premier sujet sur le langage en philosophie.

– Deuxième sujet sur le langage :  » Peut-on tout dire ? »

Ici, vous avez un sujet en « Peut-on » où les deux sens possibles du verbe vont être exploitables. En effet, on pourra à la fois traiter « Est-il possible » de tout dire ? et « A-t-on le droit ou est-ce bien de tout dire ?

Donc, dans un cas, on posera la question de la possibilité ; dans l’autre, on posera plutôt une question éthique : du type, est-ce bien de toujours tout dire ?

Bergson, philosophe français du 19e-20e siècle, montre pour sa part que le langage a des limites et qu’il ne nous permet pas réellement de tout dire.

Il dit ainsi :

« Nous ne voyons pas les choses mêmes; nous nous bornons, le plus souvent, à lire des étiquettes collées sur elles. » Bergson, Le Rire

En effet, pour Bergson, le langage, parce qu’il a d’abord pour fonction de communiquer des informations, utilise des idées générales.

Par exemple, si je parle de ma colère, de mon amour ou de ma tristesse, il s’agit toujours d’un ressenti singulier qui peut être très différent de la colère d’une autre personne ou même de ma tristesse d’il y a 15 jours. Pourtant, je vais utiliser le même mot générique pour me faire comprendre. Je vais dire « je suis en colère ».

Or, pour Bergson, et c’est pour cela qu’il parle d’étiquettes, ce mot colère que j’utilise ne me permet pas de faire clairement comprendre à l’autre la singularité de mon ressenti. C’est en ce sens qu’on peut dire qu’il n’est pas possible de tout dire. Comment dire un ressenti singulier avec des mots par nature généraux ?

De même, si je parle de mon chien ou de mon bateau, ce sont pour l’autre des idées générales, il comprend « en gros » ce dont je parle, mais en utilisant ce mot, je ne dis rien de tout ce que ce chien ou ce bateau ont de singulier et de vraiment différents des autres pour moi.

Bergson montre ainsi que le langage a des limites et exprime souvent mal notre pensée, car pour être compris, nous devons sacrifier une bonne partie de ce que nos idées ou sentiments ont de singulier.

Néanmoins, on pourrait s’opposer à cette  thèse  en défendant que si les mots sont effectivement généraux, lors d’une conversation nous pouvons utiliser d’autres mots pour préciser ce que nous voulons dire.

Par exemple, dire « je suis en colère » peut effectivement sembler générique, mais cela peut conduire à un échange où des détails spécifiques peuvent être ajoutés, permettant ainsi de mieux saisir la singularité de mon émotion.

De  plus, on pourrait défendre à nouveau avec Hegel que si nous avons le sentiment de ne pas réussir à dire certaines choses,  même en précisant et développant nos pensées longuement c’est peut-être parce que nos idées sont confuses. Alors on pourrait défendre qu’il nous est possible de dire tout ce que nous pensons clairement.

Enfin, nous pourrions finalement défendre que quand bien même il serait possible de tout dire, il n’est peut-être pas souhaitable ou bien de le faire toujours.

Benjamin Constant, philosophe français du 18e-19e siècle, défend ainsi qu’il n’est pas toujours de notre devoir de dire la vérité. Selon lui, parfois, il faudrait même ne rien dire, voire mentir.

Vous l’avez compris la question sous-jacente ici est : Faut-il toujours dire la vérité ? Benjamin Constant défend sur ce point que même s’il est généralement mal de mentir, cela devient finalement un devoir si la personne qui nous interroge à de mauvaises intentions.

Faudrait-il dire la vérité à un assassin qui cherche une personne qui s’est réfugiée chez nous ? par exemple

Sans doute pas, car pour Benjamin Constant, « nul homme n’a droit à la vérité qui nuit à autrui. »

– Troisième sujet sur le langage : « Que peuvent les mots ? »

Ici c’est un sujet difficile et assez technique car c’est un sujet ouvert. C’est-à-dire que vous ne pouvez pas simplement répondre par oui ou par non. Il faut alors proposer des réponses et idéalement il faut que ces réponses s’opposent afin qu’il y ait un réel problème dans votre dissertation.

Ici, vous pourriez défendre avec Aristote que les mots permettent aux hommes de débattre, s’entendre et pourquoi pas de vivre en harmonie.

Aristote développe une philosophie finaliste. À ses yeux, chaque être par nature a une fin (un but) et la nature ne fait rien en vain. L’homme a donc par nature pour fin d’être un animal politique, c’est-à-dire qu’il est à la fois un être sensible animé par le désir, mais également un être rationnel qui possède le logos (la raison ou le discours) dans le but de pouvoir organiser la cité. L’homme est donc dit « politique » parce qu’il peut discuter du juste et de l’injuste, du bien et du mal afin de trouver un accord avec les autres. Cette capacité de débattre, et parfois de trouver un accord, est une condition nécessaire à l’instauration d’une vie en commun harmonieuse, et notamment à l’instauration d’une démocratie, car cela nécessite débat et possibilité d’accord par les mots.

A cela, on pourrait opposer, la thèse d’Hannah Arendt qui défend dans La Crise de la Culture, que le pouvoir des mots dépend de la place de celui qui parle dans la hiérarchie sociale. En ce sens, les mots en eux-mêmes n’auraient pas réellement de pouvoir, mais ce serait plutôt la hiérarchie sociale et donc celui qui les utilise qui leur donnerait du pouvoir. Avoir de l’autorité ce serait obtenir l’obéissance de l’autre sans violence et sans persuasion, simplement parce qu’il reconnaît que ma place supérieure dans la hiérarchie sociale est légitime

Voilà pour cet article, j’espère qu’il vous permettra de mieux cerner les grandes questions que vous allez rencontrer sur la notion de langage en philosophie.

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Le langage trahit-il la pensée ?

Bergson : Le langage trahit-il la pensée ?

Selon Bergson, le langage a un défaut important. Certes, il permet de s’exprimer et de communiquer, mais il trahit ce que nous voulons dire.

Selon Bergson, le langage a un défaut important. Certes, il permet de s’exprimer et de communiquer, donc de dévoiler aux autres, en le rendant public, ce qu’il y a de plus personnel et individuel, nos pensées, nos désirs etc. Mais, selon lui, ce n’est néanmoins pas sans transformer, appauvrir, falsifier ce qui est à transmettre.

Loin d’être une indispensable traduction de nos pensées, le langage ne ferait que trahir ce que nous voulons dire véritablement.

Ainsi, selon Bergson, la langue déforme la pensée car elle consiste en un ensemble de mots, donc d’idées générales, qui appauvrissent nécessairement ce que nous voulons dire. Pourquoi peut-il parler d’un appauvrissement ? Car les mots que nous utilisons sont généraux, ils renvoient à une idée générale. Par exemple, le mot « chat » renvoie à une idée générale de chat, un petit mammifère de type félin. Si je parle donc de « mon chat », ce à quoi je pense est très précis, je pense à mon chat singulier avec ses caractéristiques, sa couleur, ses rondeurs … mais je ne dis que « mon chat » mon interlocuteur ne reçoit pas toute la singularité de ce que je mets derrière ces mots, il a simplement à l’esprit une idée générale de chat. De la même façon si je parle de ma colère, de mon amour, de ma tristesse, il s’agit toujours d’un ressenti singulier qui peut être très différent de la colère d’une autre personne ou de ma tristesse d’il y a 15 jours. Pourtant, quand nous parlons nous utilisons un terme générique « colère », « amour », « tristesse » pour qualifier ce que nous ressentons. De ce fait notre interlocuteur comprend vaguement ce que nous ressentons, mais pas précisément. Le langage ne nous permet pas de transmettre la singularité de nos pensées et de nos ressentis.

Selon Bergson, le langage dresse sur notre vie une simplification pratique qui ampute le réel de toute sa complexité et de sa pluralité pour n’en laisser qu’une vision superficielle et générale qui est la négation des choses elles-mêmes.

Pourquoi le langage est-il simplificateur ?

En effet, les différences spécifiques propres à chaque objet ou ressenti sont niées et vouées à être inaperçues en raison d’un impératif pratique qui impose d’en rester à des vues générales. Bergson parle d’impératif pratique parce que le langage n’a pas pour objectif premier de transmettre la singularité de nos pensées ou émotions, son objectif premier est de nous permettre de communiquer, de nous comprendre. Or, pour que nous puissions nous comprendre et parfois nous comprendre vite, il faut que les mots renvoient à des idées simples et comprises de tous. Si je veux prévenir quelqu’un d’un danger imminent, il faut que je puisse le lui dire vite et que cette personne me comprenne vite, sans cela je serai encore en train de préciser ma pensée et le danger sera sur nous. Il y a donc effectivement un objectif pratique du langage c’est-à-dire que le langage sert l’action, il nous permet d’agir et de faire agir les autres rapidement.

Bergson comprend cette fonction du langage mais il regrette que, de ce fait, le langage ne fasse que déposer des « étiquettes sur le monde entier ». Par étiquette, il entend des idées générales collées sur des choses singulières.

Cet argument de Bergson peut être utilisé dans un sujet sur le langage comme « le langage trahit-il la pensée ? » ou encore « Peut-on tout exprimer ? ». Vous pouvez retrouver ce sujet avec quelques autres sujets classés par thème ici.

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Texte de Bergson :

Nous ne voyons pas les choses mêmes; nous nous bornons, le plus souvent, à lire des étiquettes collées sur elles. Cette tendance, issue du besoin, s’est encore accentuée sous l’influence du langage. Car les mots (à l’exception des noms propres) désignent des genres. Le mot, qui ne note de la chose que sa fonction la plus commune et son aspect banal, s’insinue entre elle et nous, et en masquerait la forme à nos yeux si cette forme ne se dissimulait déjà derrière les besoins qui ont créé le mot lui-même.

Et ce ne sont pas seulement les objets extérieurs, ce sont aussi nos propres états d’âme qui se dérobent à nous dans ce qu’ils ont de personnel, d’originellement vécu. Quand nous éprouvons de l’amour ou de la haine, quand nous nous sentons joyeux ou tristes, est-ce bien notre sentiment lui-même qui arrive à notre conscience avec les mille nuances fugitives et les mille résonances profondes qui en font quelque chose d’absolument nôtre ? Nous serions alors tous romanciers, tous poètes, tous musiciens. Mais le plus souvent, nous n’apercevons de notre état d’âme que son déploiement extérieur. Nous ne saisissons de nos sentiments que leur aspect impersonnel, celui que le langage a pu noter une fois pour toutes parce qu’il est à peu près le même, dans les mêmes conditions, pour tous les hommes. Ainsi, jusque dans notre propre individu, l’individualité nous échappe. Nous nous mouvons parmi des généralités et des symboles […], nous vivons dans une zone mitoyenne entre les choses et nous, extérieurement aux choses, extérieurement aussi à nous-mêmes.

Bergson (1859-1941), Le rire.

Schopenhauer : Faut-il rechercher le bonheur ?

Schopenhauer le bonheur ne peut être atteint.

Schopenhauer peut être considéré comme un philosophe plutôt pessimiste quant à notre capacité à être heureux. Paradoxalement, selon lui, c’est notamment parce que nous recherchons constamment le bonheur que nous ne l’atteignons jamais. En d’autres termes, le désir apparaît pour Schopenhauer comme un obstacle au bonheur. Nous allons voir ici ce qu’il répondrait au sujet « Faut-il rechercher le bonheur ? » qui est un sujet de dissertation classique. Pour en savoir plus sur la manière de bien réussir votre problématique et votre introduction de dissertation, c’est dans cet article.

Le désir nous rend constamment insatisfaits

Schopenhauer, inspiré en cela par le bouddhisme, considère que le désir est cause de souffrance et que désirer être heureux nous garantit de ne jamais l’être en réalité. Pourquoi cela ? Car tout désir est inquiétude et manque, si nous désirons quelque chose c’est que nous ne l’avons pas ou craignons de le perdre, alors le désir est souffrance. Selon Schopenhauer, « la vie oscille sans cesse de la souffrance à l’ennui ». Cela signifie que dans notre vie nous sommes constamment soit en train de désirer c’est-à-dire de souffrir pour Schopenhauer, soit en train de nous ennuyer car finalement nous avons tendance à être rapidement lassés de ce que nous avons finalement obtenu. Cet ennui laisse alors place à un nouveau désir qui nous fait souffrir jusqu’à ce qu’il soit satisfait et alors rapidement nous retombons dans l’ennui. C’est ce qu’il explique plus longuement dans le texte ci-dessous.

Texte de Schopenhauer sur le bonheur et le désir

« Tout vouloir procède d’un besoin, c’est-à-dire d’une privation, c’est-à-dire d’une souffrance. La satisfaction y met fin ; mais pour un désir qui est satisfait, dix au moins sont contrariés ; de plus le désir est long et ses exigences tendent à l’infini ; la satisfaction est courte et elle est parcimonieusement mesurée. Mais ce contentement suprême n’est lui-même qu’apparent ; le désir satisfait fait place aussitôt à un nouveau désir ; le premier est une déception reconnue, le second est une déception non encore reconnue. La satisfaction d’aucun souhait ne peut procurer de contentement durable et inaltérable. C’est comme l’aumône qu’on jette à un mendiant : elle lui sauve aujourd’hui la vie pour prolonger sa misère jusqu’à demain. – Tant que notre conscience est remplie par notre volonté, tant que nous sommes asservis à la pulsion du désir, aux espérances et aux craintes continuelles qu’il fait naître, tant que nous sommes sujets du vouloir, il n’y a pour nous ni bonheur durable, ni repos. Poursuivre ou fuir, craindre le malheur ou chercher la jouissance, c’est en réalité tout un ; l’inquiétude d’une volonté toujours exigeante, sous quelque forme qu’elle se manifeste, emplit et trouble sans cesse la conscience ; or sans repos le véritable bonheur est impossible. Ainsi le sujet du vouloir ressemble à Ixion attaché sur une roue qui ne cesse de tourner, aux Danaïdes qui puisent toujours pour emplir leur tonneau, à Tantale éternellement altéré ».

A.Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation(1818), trad.A.Burdeau, éd. PUF,1966, pp.252-253.

Alors faut-il désirer le bonheur ? Si notre désir est d’être heureux, alors nous allons nous dire que nous serons heureux quand nous aurons ce travail ou cette maison ou rencontré la bonne personne… Dans tous les cas, ne reportons le moment d’être heureux à plus tard quand nous aurons ceci ou cela et une fois que nous l’avons, nous n’en sommes plus satisfait et il nous faut encore autre chose pour être heureux. Si bien que finalement désirer le bonheur, espérer atteindre plus tard le bonheur, est un leurre qui nous garantit de ne jamais l’atteindre. Il faudrait sans doute mieux ce satisfaire de ce que nous avons et trouver des raisons d’être heureux aujourd’hui. Mais là encore c’est une chose difficile, selon Schopenhauer, car nous avons tendance à sentir beaucoup plus la douleur que le bonheur.

Nous ne sentons pas le bonheur quand nous l’avons atteint

Selon Schopenhauer, notre organisme est conçu pour sentir la douleur car elle est une alerte qui nous maintient en vie. En revanche, le bonheur passe rapidement inaperçu car il doit plutôt être défini négativement comme une absence de douleur. Cette absence nous ne la remarquons plus très rapidement. C’est pourquoi nous nous rendons souvent compte que nous étions heureux quand nous perdons ce bonheur. Alors la douleur que nous ressentons est d’autant plus grande que nous nous étions habitués à ce bonheur.

« Que notre vie était heureuse, c’est ce dont nous ne nous apercevons qu’au moment où ces jours heureux ont fait place à des jours malheureux. Autant les jouissances augmentent, autant diminue l’aptitude à les goûter : le plaisir devenu habitude n’est plus éprouvé comme tel. Mais par là même grandit la faculté de ressentir la souffrance ; car la disparition d’un plaisir habituel cause une impression douloureuse. Ainsi la possession accroit la mesure de nos besoins, et du même coup la capacité de ressentir la douleur. – Le cours des heures est d’autant plus rapide qu’elles sont agréables, d’autant plus lent qu’elles sont plus pénibles ; car le chagrin, et non le plaisir, est l’élément positif, dont la présence se fait remarquer. De même nous avons conscience du temps dans les moments d’ennui, non dans les instants agréables. Ces deux faits prouvent que la partie la plus heureuse de notre existence est celle où nous la sentons le moins. » SCHOPENHAUER

50 règles de Schopenhauer pour une vie moins pénible.

Schopenhauer considère que le bonheur n’est pas quelque chose que l’on peut atteindre et qu’il est donc vain de le rechercher. En revanche, il pense qu’il est possible de rendre sa vie moins pénible en suivant certaines règles qui nous garantissent de limiter les souffrances que nous infligeons aux autres et à nous-mêmes.

Ces carnets contenaient 50 règles, en voici quelques unes :

Il conseille dans la règle 2 d’éviter d’être jaloux et de susciter la jalousie. « Tu ne seras jamais heureux tant que tu seras torturé par un plus heureux. ». La jalousie est un poison qui nous rend toujours malheureux.

Schopenhauer conseille ensuite de faire ce que nous avons naturellement envie de faire. On ne peut pas longtemps forcer sa nature, mieux vaut se consacrer à un domaine dans lequel nous avons des facilités et un certain enthousiasme. « En effet, de même que les poissons ne sont bien que dans l’eau, l’oiseau seulement dans l’air, la taupe uniquement sous terre, ainsi chaque homme ne se sent bien que dans l’atmosphère appropriée pour lui. ». Règle 3.

Règle 6 : « Faire de bon cœur ce qu’on peut et souffrir de bon cœur ce qu’on doit. »

Règle 8 : « Limiter le cercle de ses relations : on offre ainsi moins de prise au malheur. »

Règle 48 : « Le bonheur appartient à ceux qui se suffisent à eux-mêmes. »