Selon Elisabeth Badinter, loin d’être un instinct naturel, l’amour maternel est en réalité un fait culturel. Dans l’Amour en plus, elle soutient que l’idée d’un amour maternel est une idée relativement récente dans nos pays occidentaux. Cette idée daterait des environs de 1760. Avant cela, un trop grand nombre d’enfants mourraient en bas âge ce qui n’invitait pas à s’y attacher trop. De plus, les femmes n’avaient pas beaucoup de temps pour s’y consacrer car elle devait subvenir aux besoins de la famille. Si l’on ajoute à cela que les enfants étaient alors considérés comme une ébauche d’être humain sans réel intérêt, on comprend que l’attention que les femmes portaient aux enfants n’était pas si grande. Dans les faits, on sait que les enfants abandonnés ou laissés en nourrice étaient très nombreux, ce qui semble prouver que les mères n’étaient pas attachées plus que cela à leurs enfants. Selon Elisabeth Badinter, ça n’est que vers la fin du XVIIIe siècle que le rôle de mère devient valorisé socialement et que le regard sur l’enfance commence à changer. C’est à partir de ce moment, que l’on commence à enfermer les femmes dans le rôle de la mère nourricière qui doit se dévouer totalement à ses enfants. Elle montre ainsi, combien l’idée d’un instinct maternel est une illusion, dénonçant du même coup l’obligation faite aux femmes d’avoir des enfants et de les aimer au nom de la nature.
Extrait d’un entretien entre Elisabeth Badinter et Claude Habib
« Les magazines dissertent sur notre instinct maternel, les pédopsychiatres nous découvrent de nouvelles responsabilités, les nouveaux courants féministes font de la maternité l’expérience cruciale autour de laquelle se cristallise notre identité, des philosophes américaines font de notre aptitude au soin et à la sollicitude le socle d’une éthique spécifique. Je ne vois pas là un interdit qui se lève, mais une régression intellectuelle. À l’origine de ce retour en arrière, je constate une triple crise : la crise économique, qui a renvoyé les femmes chez elles ; la crise de l’égalité, qui fait qu’elles continuent d’assumer les tâches ménagères et de gagner moins ; la crise identitaire, qui a miné la différence des rôles et ouvert la question d’une redéfinition du féminin. Face à ces incertitudes, la tentation était grande d’en revenir à la nature. (…) Comme l’a montré Philosophie magazine dans un sondage très instructif consacré à la question « Pourquoi fait-on des enfants ? », la motivation première relève du plaisir, plutôt que du devoir ou de l’amour. On ne fait pas des enfants par obligation sociale, familiale ou religieuse, mais parce que c’est censé rendre la vie « plus belle et plus joyeuse ». Nous sommes dans une société hédoniste et individualiste. « Moi d’abord ! » comme le clame la romancière Katherine Pancol. Mais, en face de cela, il y a les devoirs maternels… S’ils sont surmontables, la contradiction s’effrite. Mais si on allonge la liste de ces devoirs en demandant aux mères de se consacrer à leurs enfants les premières années – une tendance depuis trente ans –, alors la contradiction devient invivable. Plus les devoirs maternels sont élevés, plus la grève du ventre risque de s’étendre. D’autant plus qu’on choisit, aujourd’hui, de faire des enfants. On décide consciemment d’arrêter la contraception. Du coup, une responsabilité nouvelle surgit. Puisqu’on désire des enfants, on se doit à eux. On est passé du don de la vie à la dette. Cela change la donne. » Elisabeth Badinter