Peut-on parler d’une égalité homme femme dans la famille ?

Peut-on considérer qu'il y a une égalité homme femme dans la famille ?

Peut-on considérer qu’il y a une égalité homme femme dans la famille ? Selon Pierre Bourdieu dans la Domination masculine, nous vivons dans des sociétés organisées sur le principe de la domination masculine, c’est-à-dire que la société est avant tout organisée par, autour et pour l’homme. Cette domination est dite symbolique dans la mesure où il ne s’agit pas d’un pouvoir qui s’exercerait physiquement sous forme de contrainte ou consciemment en requérant un consentement par exemple, mais inconsciemment à travers ce que Bourdieu nomme « l’incorporation de la domination ».

La domination masculine et le pouvoir au sein de la famille.

Selon Bourdieu, l’égalité homme femme n’est pas acquise. Les femmes sont dominées dans la société parce qu’elles sont éduquées d’une manière qui tend à les diminuer, elles font notamment l’apprentissage des « vertus » négatives d’abnégation, de résignation, de silence et de dispositions dites « féminines ». Elles intériorisent cette perception d’elles-mêmes et cela influence ensuite leurs pensées, leurs actions, leurs manières de se comporter et leurs habitudes. Si bien qu’elles adoptent « d’elles-mêmes » des positions subalternes dans leurs familles comme dans leurs vies professionnelles. Ainsi, une femme pourra avoir le sentiment d’avoir une vocation pour prendre soin des enfants ou pour les métiers ayant trait au soin des autres, alors qu’il ne s’agit pas réellement d’un choix, mais plutôt du résultat de l’intégration de la domination masculine.

Cette domination symbolique va ainsi avoir des effets importants au sein des familles dans la mesure où les épouses vont alors se trouver en situation d’infériorité vis-à-vis de leurs époux. Susan Moller Okin, dans Justice, Genre et Famille, montre notamment que les femmes parce qu’elles ont choisi de s’occuper de leurs familles à temps plein ou ont choisi un métier à faible revenu pour avoir plus de temps, dépendent de leurs conjoints et ne sont donc pas en position de force pour négocier un partage des tâches domestiques plus équitable ou vont hésiter à se séparer d’un conjoint quand bien même serait-il violent, car elles se trouveraient alors sans ressource.

Selon Susan Moller Okin, la famille structurée par le genre, c’est-à-dire composée d’un homme et d’une femme ayant des rôles traditionnellement distincts, est profondément injuste et il est erroné de considérer qu’il n’est pas nécessaire d’y faire régner la justice. L’égalité homme femme est ici inexistante. Cette conception d’une famille idéale cache en réalité, à ses yeux, les rapports de domination qui s’exercent au sein de la famille et empêche une véritable interrogation sur la manière dont on pourrait rendre la famille plus juste.

Moller Okin s’intéresse particulièrement à l’institution du mariage et montre qu’il est à l’origine le plus souvent d’une plus grande vulnérabilité des femmes. En effet, elle montre que les femmes envisagent d’emblée de par leur éducation qu’elles vont être dans le mariage le parent qui s’occupera principalement des enfants, elles font donc moins d’études ou s’orientent vers des métiers spécifiques aux horaires compatibles avec l’éducation d’enfants, ce qui les rend donc par la suite plus dépendantes de leurs conjoints et plus vulnérables car elles n’ont que peu ou pas de revenu. Moller Okin met alors en évidence le cercle vicieux dans lequel sont prises les femmes : au sein de la famille, elles ont le revenu le plus faible, c’est donc tout naturellement qu’elles mettent leur vie professionnelle de côté quand des enfants arrivent, renforçant ainsi le partage traditionnel des tâches qu’elles ne remettent même pas en question puisqu’il semble fait en bonne logique.

Travail rémunéré et travail non rémunéré.

Les injustices dans la famille s’expliquent également par le fait que c’est aux femmes que revient traditionnellement le travail domestique non rémunéré, ce qui nuit à leur indépendance économique et à la reconnaissance de leur rôle social. Or, cette division du travail structurée par le genre dans la famille a des conséquences importantes sur les opportunités de vie des femmes. Selon Christine Delphy, dans L’Ennemi Principal, la famille est un lieu d’oppression pour les femmes dans la mesure où dans nos sociétés patriarcales où l’autorité est détenu par le père, le travail des femmes au sein de la famille est approprié sans contrepartie par les hommes qui en profitent et n’y participent pas. Les femmes sont exploitées, selon elle, car elles effectuent la majorité des tâches domestiques et familiales (ménage, cuisine, soins aux enfants etc) alors que ces tâches ne sont pas considérées comme un réel travail productif et donc pas rémunérées. Au contraire, le travail des femmes au sein de la famille est ignoré et méprisé alors qu’il est absolument essentiel et producteur de richesse.

Dominique Méda, dans Le temps des femmes,montre notamment que si la société a changé dans la mesure où les femmes travaillent beaucoup plus hors de la maison, cela n’a pas eu d’effets sur la division du travail. Une enquête appelée « Emploi du temps » montre ainsi qu’en France au début du XXIe siècle, 80% des tâches domestiques et des soins aux enfants reposent toujours sur les femmes. Ceci car il continue à aller de soi dans la société qu’un certain nombre de tâches incombent aux femmes naturellement, mais également parce que les réformes institutionnelles qui permettraient aux femmes de travailler tout en ayant des enfants n’ont pas été faites. Or, Méda montre que cela a des conséquences importantes sur la vie des femmes. Dans le cas des femmes au foyer, le travail domestique équivaut à un emploi non rémunéré, qui peut les occuper à toute heure, qu’elles ne peuvent pas abandonner, qui n’est absolument pas reconnu socialement et qui les rend dépendantes. Dans le cas des femmes qui travaillent et s’occupent de l’essentiel du travail domestique, cela a nécessairement des conséquences importantes sur leurs carrières professionnelles dans la mesure où elles ont « une double journée ».

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Citation d’Olympe de Gouges

Olympe de Gouges est l'auteure de la "Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne" publiée en 1791. Elle revendique la stricte égalité entre les hommes et les femmes.

Olympe de Gouges est l’auteure de la « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne » publiée en 1791. Elle revendique la stricte égalité entre les hommes et les femmes. Son oeuvre est en cela calquée sur le Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui ne concerne que les hommes et pas les êtres humains, puisqu’elle exclut les femmes de la citoyenneté. Olympe de Gouges revendique des droits égaux pour tous. Elle fût à travers ses écrits une avocate des pauvres, des esclaves et des femmes. On peut considérer Olympe de Gouges comme une des premières figures du féminisme libéral qui revendique l’égalité entre hommes et femmes dans les textes c’est-à-dire dans le droit. Elle milite pour changer la loi et donner des droits égaux aux femmes. Elle termine ses jours sur l’échafaud le 2 novembre 1793.

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Texte d’Olympe de Gouges

Homme, es-tu capable d’être juste ? C’est une femme qui t’en fait la question ; tu ne lui ôteras pas moins ce droit. Dis-moi ? Qui t’a donné le souverain empire d’opprimer mon sexe ? Ta force ? Tes talents ? Observe le créateur dans sa sagesse ; parcours la nature dans sa grandeur, dont tu sembles vouloir te rapprocher, et donne-moi, si tu l’oses, l’exemple de cet empire tyrannique. Remonte aux animaux, consulte les éléments, étudie les végétaux, jette enfin un coup d’œil sur toutes les modifications de la matière organisée ; et rends-toi à l’évidence quand je t’en offre les moyens. Cherche, fouille et distingue, si tu le peux, les sexes dans l’administration de la nature. Partout, tu les trouveras confondus, partout ils coopèrent avec un ensemble harmonieux à ce chef-d’œuvre immortel. L’homme seul s’est fagoté un principe de cette exception. Bizarre, aveugle, boursouflé de sciences et dégénéré, dans ce siècle de lumières et de sagacité, dans l’ignorance la plus crasse, il veut commander en despote sur un sexe qui a reçu toutes les facultés intellectuelles ; il prétend jouir de la Révolution, et réclamer ses droits à l’égalité, pour ne rien dire de plus.

Olympe de Gouges, Début de la déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, 1791

Notion du programme concernée : La justice et le droit

Citation d’Elisabeth Badinter

Selon Elisabeth Badinter, loin d'être un instinct naturel, l'amour maternel est en réalité un fait culturel.

Selon Elisabeth Badinter, loin d’être un instinct naturel, l’amour maternel est en réalité un fait culturel. Dans l’Amour en plus, elle soutient que l’idée d’un amour maternel est une idée relativement récente dans nos pays occidentaux. Cette idée daterait des environs de 1760. Avant cela, un trop grand nombre d’enfants mourraient en bas âge ce qui n’invitait pas à s’y attacher trop. De plus, les femmes n’avaient pas beaucoup de temps pour s’y consacrer car elle devait subvenir aux besoins de la famille. Si l’on ajoute à cela que les enfants étaient alors considérés comme une ébauche d’être humain sans réel intérêt, on comprend que l’attention que les femmes portaient aux enfants n’était pas si grande. Dans les faits, on sait que les enfants abandonnés ou laissés en nourrice étaient très nombreux, ce qui semble prouver que les mères n’étaient pas attachées plus que cela à leurs enfants. Selon Elisabeth Badinter, ça n’est que vers la fin du XVIIIe siècle que le rôle de mère devient valorisé socialement et que le regard sur l’enfance commence à changer. C’est à partir de ce moment, que l’on commence à enfermer les femmes dans le rôle de la mère nourricière qui doit se dévouer totalement à ses enfants. Elle montre ainsi, combien l’idée d’un instinct maternel est une illusion, dénonçant du même coup l’obligation faite aux femmes d’avoir des enfants et de les aimer au nom de la nature.

Extrait d’un entretien entre Elisabeth Badinter et Claude Habib

« Les magazines dissertent sur notre instinct maternel, les pédopsychiatres nous découvrent de nouvelles responsabilités, les nouveaux courants féministes font de la maternité l’expérience cruciale autour de laquelle se cristallise notre identité, des philosophes américaines font de notre aptitude au soin et à la sollicitude le socle d’une éthique spécifique. Je ne vois pas là un interdit qui se lève, mais une régression intellectuelle. À l’origine de ce retour en arrière, je constate une triple crise : la crise économique, qui a renvoyé les femmes chez elles ; la crise de l’égalité, qui fait qu’elles continuent d’assumer les tâches ménagères et de gagner moins ; la crise identitaire, qui a miné la différence des rôles et ouvert la question d’une redéfinition du féminin. Face à ces incertitudes, la tentation était grande d’en revenir à la nature. (…) Comme l’a montré Philosophie magazine dans un sondage très instructif consacré à la question « Pourquoi fait-on des enfants ? », la motivation première relève du plaisir, plutôt que du devoir ou de l’amour. On ne fait pas des enfants par obligation sociale, familiale ou religieuse, mais parce que c’est censé rendre la vie « plus belle et plus joyeuse ». Nous sommes dans une société hédoniste et individualiste. « Moi d’abord ! » comme le clame la romancière Katherine Pancol. Mais, en face de cela, il y a les devoirs maternels… S’ils sont surmontables, la contradiction s’effrite. Mais si on allonge la liste de ces devoirs en demandant aux mères de se consacrer à leurs enfants les premières années – une tendance depuis trente ans –, alors la contradiction devient invivable. Plus les devoirs maternels sont élevés, plus la grève du ventre risque de s’étendre. D’autant plus qu’on choisit, aujourd’hui, de faire des enfants. On décide consciemment d’arrêter la contraception. Du coup, une responsabilité nouvelle surgit. Puisqu’on désire des enfants, on se doit à eux. On est passé du don de la vie à la dette. Cela change la donne. » Elisabeth Badinter