Henri Bergson : le bonheur ou la joie de s’accomplir ?

Quand on parle du bonheur, on a communément tendance à l’envisager comme un état de satisfaction stable et durable qu’aucune peine de ne viendrait gâcher. Le problème qui se pose pourrait alors être : cet état est-il vraiment atteignable ? C’est la question que peuvent par exemple se poser Kant ou encore Epicure. Mais une autre question peut être posée : le bonheur est-il vraiment ce que nous recherchons le plus ? Ou encore est-ce qu’être constamment satisfait est réellement ce que nous recherchons ? Henri Bergson, dans L’Energie spirituelle, semble défendre une autre proposition.

A ses yeux, il faut plutôt rechercher la joie que le bonheur. Qu’entend-il par « joie » ? La joie est, selon lui, un sentiment d’intense satisfaction qu’un être humain ressent quand il parvient à s’augmenter lui-même ou encore à créer quelque chose ou quelqu’un dont il est fier. Henri Bergson fait du sentiment de joie un signe que nous avons réussi à progresser et à nous améliorer. Or quand nous nous améliorons, on peut considérer que nous nous créons nous-mêmes soit parce que par exemple nous développons nos compétences soit parce que nous devenons le créateur d’une oeuvre, d’une entreprise etc …Nous voyons donc que pour Bergson ce qui est peut-être plus important que la satisfaction constante c’est la progression. Nous devons progresser pour atteindre la joie. Or, est-il réellement possible de progresser sans jamais souffrir ?

L’effort est nécessaire pour atteindre la joie

Pour Bergson ça n’est qu’en faisant des efforts que nous nous accomplissons. L’effort est pénible, mais il est aussi très précieux car il nous amène à nous dépasser. Selon lui, nous ressentons une joie intense quand nous réussissons quelque chose qui nous à demandé beaucoup d’efforts. La joie est un état profond qui survient lorsque l’individu parvient à surmonter des épreuves. Elle est le signe que l’individu est capable de se dépasser lui-même dans un élan créateur qui lui a donné l’énergie de transformer le monde et de se transformer. Nous voyons ici qu’Henri Bergson est loin de défendre l’idée qu’il faudrait rechercher un bonheur constant et durable, au contraire, il semble défendre que le seul sentiment qui nous donne une véritable satisfaction est la joie, mais c’est un sentiment qui est éphémère. En ce sens, on pourrait défendre que le bonheur n’est pas accessible à l’être humain mais que la joie l’est.

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Texte d’Henri Bergson :

« L’effort est pénible, mais il est aussi précieux, plus pré­cieux encore que l’œuvre où il aboutit, parce que, grâce à lui, on a tiré de soi plus qu’il n’y avait, on s’est haussé au-dessus de soi-même. […] Les philosophes qui ont spéculé sur la signification de la vie et sur la destinée de l’homme n’ont pas assez remarqué que la nature a pris la peine de nous renseigner là-dessus elle-même. Elle nous avertit par un signe précis que notre destination est atteinte. Ce signe est la joie. Je dis la joie, je ne dis pas le plaisir. Le plaisir n’est qu’un artifice imaginé par la nature pour obtenir de l’être vivant la conservation de la vie ; il n’indique pas la direction où la vie est lancée. Mais la joie annonce toujours que la vie a réussi, qu’elle a gagné du terrain, qu’elle a remporté une victoire : toute grande joie a un accent triomphal. Or, si nous tenons compte de cette indication et si nous suivons cette nouvelle ligne de faits, nous trouvons que partout où il y a joie, il y a création : plus riche est la création, plus profonde est la joie. La mère qui regarde son enfant est joyeuse, parce qu’elle a conscience de l’avoir créé, phy­siquement et moralement. Le commerçant qui développe ses affaires, le chef d’usine qui voit prospérer son industrie, est-il joyeux en —raison de l’argent qu’il gagne et de la notoriété qu’il acquiert ? Richesse et considération entrent évidemment pour beaucoup dans la satisfaction qu’il ressent, mais elles lui apportent des plaisirs plutôt que de la joie, et ce qu’il goûte de joie vraie est le sentiment d’avoir monté une entreprise qui marche, d’avoir appelé quelque chose à la vie. Prenez des joies exceptionnelles, celle de l’artiste qui a réalisé sa pensée, celle du savant qui a découvert ou inventé. […]  Si donc, dans tous les domaines, le triomphe de la vie est la création, ne devons-nous pas supposer que la vie humaine a sa raison d’être dans une création qui peut, à la différence de celle de l’artiste et du savant, se poursuivre à tout moment chez tous les hommes : la création de soi par soi, l’agrandissement de la personnalité par un effort qui tire beaucoup de peu, quelque chose de rien, et ajoute sans cesse à ce qu’il y avait de richesse dans le monde ? »

Bergson, L’Énergie spirituelle, « La conscience et la vie »

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