Hans Jonas

Le principe de responsabilité, Hans Jonas

Hans Jonas est un philosophe allemand du 20e siècle, il a publié le principe responsabilité en 1979. Dans cet ouvrage, il propose une éthique qui soit adaptée à notre civilisation technologiquement très développée. Que faut-il entendre par là ?

Hans Jonas fait un constat : pendant des millénaires, les hommes ont appris à dominer et contrôler la nature, afin de vivre dans davantage de sécurité et de confort. Mais, au XXe siècle, le développement technique de l’humanité est tel que les hommes finissent par être menacés par le développement technique lui-même. La technique n’est plus un moyen de protection, mais devient un danger à la fois pour la nature et pour les êtres humains. Selon lui, nous avons créé quelque chose qui nous échappe et pourtant, nous sommes, à ses yeux, responsables de la planète que nous allons laisser aux générations futures.

Nous possédons aujourd’hui un énorme pouvoir de destruction sur la nature et sur l’humanité. Cette destruction pourrait être immédiate si l’on pense aux armes atomiques ou progressive si l’on pense plutôt à la pollution et au réchauffement climatique.

La façon dont nous vivons aujourd’hui peut mettre en danger le bien-être de nos enfants et petits enfants c’est pourquoi, pour Hans Jonas, nous devons admettre que nous sommes responsables du futur de l’humanité et de la planète. Cela suppose, selon lui, d’anticiper les conséquences de nos actions et de nos choix notamment dans le domaine des technologies. Il nous faut apprendre à évaluer les risques et à suivre un principe de précaution.

Qu’est-ce que cette approche a de nouveau ?

Jusqu’à présent, nous n’avions de devoir moral qu’envers des êtres présents ou nous devions rendre des comptes pour des actions passées. Ici, Hans Jonas défend que nous avons aussi des devoirs moraux envers les générations futurs et la nature. Il propose donc une nouvelle règle morale qui consiste en une reformulation de l’impératif catégorique de Kant : « Agis de telle sorte que tes actions soient compatibles avec la permanence d’une vie humaine authentique sur la terre ». Cet impératif doit alors nous conduire à adopter des modes de vie qui cessent de détruire la planète. Nous devons renoncer à certaines habitudes et à un certain confort pour préserver la planète et la qualité de vie des générations futures.

Texte de Hans Jonas extrait du Principe de responsabilité

Un impératif adapté au nouveau type de l’agir humain et qui s’adresse au nouveau type de sujets de l’agir s’énoncerait à peu près ainsi : « Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre » ; ou pour l’exprimer négativement : «Agis de façon que les effets de ton action ne soient pas destructeurs pour la possibilité future d’une telle vie» ; ou simplement : « Ne compromets pas les conditions pour la survie indéfinie de l’humanité sur terre » ; ou encore, formulé de nouveau positivement : « Inclus dans ton choix actuel l’intégrité future de l’homme comme objet secondaire de ton vouloir ».

On voit sans peine que l’atteinte portée à ce type d’impératif n’inclut aucune contradiction d’ordre rationnel. Je peux vouloir le bien actuel en sacrifiant le bien futur. De même que je peux vouloir ma propre disparition, je peux aussi vouloir la disparition de l’humanité. Sans me contredire moi-même, je peux, dans mon cas personnel comme dans celui de l’humanité, préférer un bref feu d’artifice d’extrême accomplissement de soi-même à l’ennui d’une continuation indéfinie dans la médiocrité.

Or le nouvel impératif affirme précisément que nous avons bien le droit de risquer notre propre vie, mais non celle de l’humanité ; et qu’Achille avait certes le droit de choisir pour lui-même une vie brève, faite d’exploits glorieux, plutôt qu’une longue vie de sécurité sans gloire (sous la présupposition tacite qu’il y aurait une postérité qui saura raconter ses exploits), mais que nous n’avons pas le droit de choisir le non-être des générations futures à cause de l’être de la génération actuelle et que nous n’avons même pas le droit de le risquer. Ce n’est pas du tout facile, et peut-­être impossible sans recours à la religion, de légitimer en théorie pourquoi nous n’avons pas ce droit, pourquoi au contraire nous avons une obligation à l’égard de ce qui n’existe même pas encore et ce qui « de soi » ne doit pas non plus être, ce qui du moins n’a pas droit à l’existence, puisque cela n’existe pas. Notre impératif le prend d’abord comme un axiome sans justification.

Hans Jonas, Le Principe responsabilité (1979), trad. Greisch, coll. Champs, Flammarion, p. 40

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Conseils et lectures pour débuter la philosophie

Débuter la philosophie tout seul peut s’avérer difficile car, disons le, beaucoup de textes de philosophie sont difficiles d’accès de part leur langue ou parce qu’il est nécessaire de comprendre plus généralement de quel problème il est question avant de pouvoir bien comprendre ce que dit l’auteur et pourquoi.

Afin de vous aider, je vais vous donner quelques conseils. Il y a plusieurs possibilités selon vos goûts et vos aptitudes de départ pour débuter la philosophie.

➡️ Si vous êtes étudiant, en 1er, terminale ou prépa et que vous voulez apprendre à réussir votre dissertation ou votre explication de texte en philosophie, je vous conseille de lire mon livre. Vous pouvez le demander ici gratuitement.

➡️ Si vous n’êtes plus étudiant mais néanmoins curieux de découvrir la philosophie, je vous invite à vous inscrire ici pour recevoir les épisodes de mon podcast pour débuter la philosophie. Je publie également chaque semaine une histoire sur un auteur, une oeuvre ou une idée et je vous l’envoie par mail.

  • Histoires philosophiques

Débuter la philosophie avec des livres généraux

Une première possibilité consiste à lire des ouvrages généraux sur l’histoire de la philosophie ou qui envisagent un peu tous les thèmes que l’on peut voir au programme de Terminale en philosophie. Vous pouvez également regarder des vidéos sur Youtube par exemple.

Voici quelques ouvrages que je trouve accessibles pour un débutant :

  • Apprendre à vivre, Tome 1 : Traité de philosophie à l’usage des jeunes générations, de Luc Ferry
  • Présentations de la philosophie, André Comte-Sponville,

Pour vous familiariser avec des thèmes et thèses de manière plus ludique :

  • La Playlist des philosophes – Marianne Chaillan
  • Le monde de sophie, Jostein Gaarder
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Choisir un thème en particulier

Une autre façon d’entrer dans la philosophie est sans doute de commencer par un thème qui nous attire. Peut-être avez-vous un intérêt particulier pour les questions liées au bonheur ou à la liberté. Vous vous intéressez alors plus spécifiquement à l’éthique ou à la philosophie pratique qui est cette partie de la philosophie qui se demande comment il faut vivre. Peut-être êtes-vous plutôt intéressés par des thèmes comme la technique, le temps ou le langage.

Personnellement, quand j’ai commencé la philosophie en terminale, j’étais très intéressée par l’éthique et par la question du langage. Une des particularités de la philosophie c’est qu’elle parle de tout et qu’il y a de nombreux domaines distincts à l’intérieur de la philosophie. On peut faire de la philosophie sur l’art (l’esthétique), la liberté, le bonheur, le devoir (l’éthique), les sciences, la vérité (épistémologie), la politique, le langage, l’existence et le temps (la métaphysique)…..

Je vais vous donner quelques conseils en sachant que certains thèmes sont plus accessibles que d’autres.

L’éthique (liberté, bonheur, morale)

Un auteur contemporain accessible :

  • Ruwen Ogien, La panique morale
  • Ruwen Ogien, L’influence de l’odeur des croissants chauds sur la bonté humaine

Les stoïciens peuvent être une bonne entrée :

  • Sénèque, Lettres à Lucilius
  • Epictète, Manuel : pensées sur l’homme, la vie, le bonheur
  • Marc-Aurèle, Pensées pour moi-même

Mais également :

  • Alain, Propos sur le bonheur
  • Epicure, Lettre à Ménécée

La conscience/L’inconscient

  • Freud, Cinq leçons de psychanalyse
  • Bettelheim, « Psychanalyse des contes de fées »

L’existence et le temps

  • Sénèque, Sur la brièveté de la vie
  • Camus, Le mythe de Sisyphe
  • Sartre, L’existentialisme est un humanisme

L’art ou l’esthétique

Thème plus difficile : une chaîne youtube intéressante : https://www.youtube.com/c/SOSART

La politique

  • Thoreau, De la désobéissance civile
  • La Boétie, Discours de la servitude volontaire
  • Marx, Manifeste du parti communiste

Nature/culture

  • Simone de Beauvoir, La femme indépendante (extrait du deuxième Sexe)
  • Thoreau, Walden ou la vie dans les bois
  • Claude Lévi-Strauss, Race et histoire

Le travail/La technique

  • Bertrand Russell, Eloge de l’oisiveté

La religion

  • Freud, L’avenir d’une illusion

Débuter la philosophie avec un auteur

Une autre manière de commencer la philosophie peut consister à choisir un auteur qui vous attire. Cela peut-être une bonne façon de faire, mais veillez à ne pas commencer par Hegel. Personnellement j’aime beaucoup Spinoza, mais c’est également difficile à lire pour un débutant. Si Platon vous intéresse veillez à commencer par des dialogues.

Voilà, j’espère que ces quelques conseils vous aideront à bien débuter la philosophie !

Citation de Spinoza

Citation de Spinoza
Citation de Spinoza

Pour Spinoza, nous avons tendance à nous moquer des hommes et à les juger durement car nous croyons à la toute puissance du libre arbitre. Nous pensons que l’homme est libre et donc pleinement responsable de ses choix, là où, en réalité, les hommes sont déterminés par les circonstances et par leurs passions. C’est ce que dit Spinoza dans l’Ethique, les hommes croient être libres car ils n’ont pas conscience des causes qui les déterminent. Ils ne voient pas à quel point, ils sont influencés par des causes antérieures qui agissent sur leurs choix.

La conséquence de cette illusion, pour Spinoza, est que nous avons tendance à émettre des jugements moraux sur la conduite des autres, en les louant ou en les blâmant, car nous les pensons pleinement responsables de leurs actes. Nous allons également nous indigner, pleurer ou nous moquer face à ce que nous pensons être un mauvais usage du libre arbitre. Mais, pour Spinoza, ces jugements et ces réactions émotionnelles n’ont pas grand sens et il vaut mieux philosopher et chercher à comprendre la nature humaine plutôt que de blâmer les hommes pour des comportements qu’ils n’ont pas choisi.

« Ni rire, ni pleurer, ni détester, mais comprendre ». Cette citation de Spinoza, nous enjoint donc à chercher à comprendre plutôt qu’à blâmer.

Texte pour comprendre la citation de Spinoza :

« La plupart de ceux qui ont parlé des sentiments et des conduites humaines paraissent traiter, non de choses naturelles qui suivent les lois ordinaires de la Nature, mais de choses qui seraient hors Nature. Mieux, on dirait qu’ils conçoivent l’homme dans la Nature comme un empire dans un empire. Car ils croient que l’homme trouble l’ordre de la Nature plutôt qu’il ne le suit, qu’il a sur ses propres actions une puissance absolue et qu’il n’est déterminé que par soi.

Et ils attribuent la cause de l’impuissance et de l’inconstance humaines, non à la puissance ordinaire de la Nature, mais à je ne sais quel vice de la nature humaine : et les voilà qui pleurent sur elle, se rient d’elle, la méprisent ou, le plus souvent, lui vouent de la haine ; qui sait avec plus d’éloquence ou de subtilité accabler l’impuissance de l’esprit humain passe pour divin. Sans doute n’a-t-il pas manqué d’hommes éminents (et nous avouons devoir beaucoup à leur labeur, à leur ingéniosité) pour écrire sur la droite conduite de la vie beaucoup de choses excellentes et pour donner aux mortels de sages conseils : mais la nature des sentiments, leur force impulsive et, à l’inverse, le pouvoir modérateur de l’esprit sur eux, personne, à ma connaissance, ne les a déterminés. Je sais bien que le très illustre Descartes, encore qu’il ait cru au pouvoir absolu de l’esprit sur ses actions, a tenté l’explication des sentiments humains par leurs causes premières et à montrer en même temps comment l’esprit peut dominer absolument les sentiments ; mais, à mon avis, il n’a rien montré du tout que l’acuité de sa grande intelligence, comme je le démontrerai en son lieu.

Je veux donc revenir à ceux qui préfèrent haïr ou railler les sentiments et les actions des hommes, plutôt que de les comprendre. Sans doute leur paraîtra-t-il extraordinaire que j’entreprenne de traiter des vices et de la futilité des hommes selon la méthode géométrique, que je veuille démontrer par un raisonnement rigoureux (certa) ce qu’ils proclament sans cesse contraire (repugnare) à la Raison, cela même qu’ils disent vain, absurde et horrifique. Mais voici mon argument (ratio). Il ne se produit rien dans la Nature qui puisse lui être attribué comme un vice inhérent ; car la Nature est toujours la même, et partout sa vertu et sa puissance d’action (agendi) est une et identique. Ce qui signifie que les lois et les règles de la Nature, suivant lesquelles toute chose est produite et passe d’une forme à une autre, sont partout et toujours les mêmes, et par conséquent il ne peut exister aussi qu’un seul et même moyen de comprendre la nature des choses, quelles qu’elles soient : par les lois et les règles universelles de la Nature.

Voilà pourquoi les sentiments de haine, de colère, d’envie, etc., considérés en eux-mêmes, obéissent à la même nécessité et à la même vertu de la Nature que les autres choses singulières ; et par suite ils admettent des causes rigoureuses (certas) qui les font comprendre, et ils ont des propriétés bien définies (certas) tout aussi dignes d’être connues que les propriétés d’une quelconque autre chose dont la seule considération nous satisfait. Je traiterai donc de la nature et de la force impulsive des sentiments et de la puissance de l’esprit sur eux selon la même méthode qui m’a précédemment servi en traitant de Dieu et de l’Esprit, et je considérerai les actions et les appétits humains de même que s’il était question de lignes, de plans ou de corps ».

Spinoza, Ethique, III, De l’origine et de la nature des sentiments

Citation de Tocqueville : Pourquoi un peuple ne vote plus ?

Citation de Tocqueville
Citation de Tocqueville

Alexis de Tocqueville est un philosophe très connu pour avoir mis en garde sur les risques que la démocratie ne devienne finalement une nouvelle forme de despotisme. Il s’inquiète notamment que les citoyens ne se désintéressent de la vie commune et en viennent à se refermer sur leur cercle privé sans prendre le temps de s’assurer que les politiques prennent des décisions dans le but de servir le bien commun. Il y revient plus précisément dans cette citation de Tocqueville que je vous ai déjà présenté où il parle du despotisme doux. Il reproche également aux citoyens des démocratie leur tendance à l’individualisme.

Dans la citation de Tocqueville ci-dessus, il insiste sur un autre aspect qui n’est pas moins important. Pour que le peuple continue de s’intéresser au bien commun, pour qu’il continue de participer aux votes, il faut qu’il ait le sentiment qu’il a encore effectivement le pouvoir. En d’autres termes, si quelque soit la manière dont le peuple vote, les décisions politiques de ses représentants restent toujours les mêmes. Si quelque soit son vote, sa situation ne change pas et ne s’améliore pas, alors c’est que sans doute il n’y a plus là que de « vains semblants de la liberté » selon Tocqueville.

Ainsi, selon Tocqueville, la crise de la démocratie ne vient pas réellement des citoyens qui se désintéressent du politique, mais leur désintérêt n’est que la conséquence du fait qu’on leur a, en réalité, confisqué le pouvoir. Ce qui peut être le cas, par exemple, si les représentants du peuple ne le représentent plus, mais ne servent plus que leurs propres intérêts. Alors les citoyens n’étant pas des sots, ils cessent de voter. Mais le pouvoir politique, lui, cherche à maintenir l’illusion de la liberté en continuant à leur proposer de voter.

Texte de Tocqueville :

« Le peuple, qui ne se laisse pas prendre aussi aisément qu’on se l’imagine aux vains semblants de la liberté, cesse alors partout de s’intéresser aux aires de la commune et vit dans l’intérieur de ses propres murs comme un étranger. Inutilement ses magistrats essayent de temps en temps de réveiller en lui ce patriotisme municipal qui a fait tant de merveilles dans le Moyen Âge: il reste sourd. Les plus grands intérêts de la ville ne semblent plus le toucher. On voudrait qu’il allât voter, là où on a cru devoir conserver la vaine image d’une élection libre : il s’entête à s’abstenir. Rien de plus commun qu’un pareil spectacle dans l’histoire. Presque tous les princes qui ont détruit la liberté ont tenté d’abord d’en maintenir les formes. »

Peut-on parler d’une égalité homme femme dans la famille ?

Peut-on considérer qu'il y a une égalité homme femme dans la famille ?

Peut-on considérer qu’il y a une égalité homme femme dans la famille ? Selon Pierre Bourdieu dans la Domination masculine, nous vivons dans des sociétés organisées sur le principe de la domination masculine, c’est-à-dire que la société est avant tout organisée par, autour et pour l’homme. Cette domination est dite symbolique dans la mesure où il ne s’agit pas d’un pouvoir qui s’exercerait physiquement sous forme de contrainte ou consciemment en requérant un consentement par exemple, mais inconsciemment à travers ce que Bourdieu nomme « l’incorporation de la domination ».

La domination masculine et le pouvoir au sein de la famille.

Selon Bourdieu, l’égalité homme femme n’est pas acquise. Les femmes sont dominées dans la société parce qu’elles sont éduquées d’une manière qui tend à les diminuer, elles font notamment l’apprentissage des « vertus » négatives d’abnégation, de résignation, de silence et de dispositions dites « féminines ». Elles intériorisent cette perception d’elles-mêmes et cela influence ensuite leurs pensées, leurs actions, leurs manières de se comporter et leurs habitudes. Si bien qu’elles adoptent « d’elles-mêmes » des positions subalternes dans leurs familles comme dans leurs vies professionnelles. Ainsi, une femme pourra avoir le sentiment d’avoir une vocation pour prendre soin des enfants ou pour les métiers ayant trait au soin des autres, alors qu’il ne s’agit pas réellement d’un choix, mais plutôt du résultat de l’intégration de la domination masculine.

Cette domination symbolique va ainsi avoir des effets importants au sein des familles dans la mesure où les épouses vont alors se trouver en situation d’infériorité vis-à-vis de leurs époux. Susan Moller Okin, dans Justice, Genre et Famille, montre notamment que les femmes parce qu’elles ont choisi de s’occuper de leurs familles à temps plein ou ont choisi un métier à faible revenu pour avoir plus de temps, dépendent de leurs conjoints et ne sont donc pas en position de force pour négocier un partage des tâches domestiques plus équitable ou vont hésiter à se séparer d’un conjoint quand bien même serait-il violent, car elles se trouveraient alors sans ressource.

Selon Susan Moller Okin, la famille structurée par le genre, c’est-à-dire composée d’un homme et d’une femme ayant des rôles traditionnellement distincts, est profondément injuste et il est erroné de considérer qu’il n’est pas nécessaire d’y faire régner la justice. L’égalité homme femme est ici inexistante. Cette conception d’une famille idéale cache en réalité, à ses yeux, les rapports de domination qui s’exercent au sein de la famille et empêche une véritable interrogation sur la manière dont on pourrait rendre la famille plus juste.

Moller Okin s’intéresse particulièrement à l’institution du mariage et montre qu’il est à l’origine le plus souvent d’une plus grande vulnérabilité des femmes. En effet, elle montre que les femmes envisagent d’emblée de par leur éducation qu’elles vont être dans le mariage le parent qui s’occupera principalement des enfants, elles font donc moins d’études ou s’orientent vers des métiers spécifiques aux horaires compatibles avec l’éducation d’enfants, ce qui les rend donc par la suite plus dépendantes de leurs conjoints et plus vulnérables car elles n’ont que peu ou pas de revenu. Moller Okin met alors en évidence le cercle vicieux dans lequel sont prises les femmes : au sein de la famille, elles ont le revenu le plus faible, c’est donc tout naturellement qu’elles mettent leur vie professionnelle de côté quand des enfants arrivent, renforçant ainsi le partage traditionnel des tâches qu’elles ne remettent même pas en question puisqu’il semble fait en bonne logique.

Travail rémunéré et travail non rémunéré.

Les injustices dans la famille s’expliquent également par le fait que c’est aux femmes que revient traditionnellement le travail domestique non rémunéré, ce qui nuit à leur indépendance économique et à la reconnaissance de leur rôle social. Or, cette division du travail structurée par le genre dans la famille a des conséquences importantes sur les opportunités de vie des femmes. Selon Christine Delphy, dans L’Ennemi Principal, la famille est un lieu d’oppression pour les femmes dans la mesure où dans nos sociétés patriarcales où l’autorité est détenu par le père, le travail des femmes au sein de la famille est approprié sans contrepartie par les hommes qui en profitent et n’y participent pas. Les femmes sont exploitées, selon elle, car elles effectuent la majorité des tâches domestiques et familiales (ménage, cuisine, soins aux enfants etc) alors que ces tâches ne sont pas considérées comme un réel travail productif et donc pas rémunérées. Au contraire, le travail des femmes au sein de la famille est ignoré et méprisé alors qu’il est absolument essentiel et producteur de richesse.

Dominique Méda, dans Le temps des femmes,montre notamment que si la société a changé dans la mesure où les femmes travaillent beaucoup plus hors de la maison, cela n’a pas eu d’effets sur la division du travail. Une enquête appelée « Emploi du temps » montre ainsi qu’en France au début du XXIe siècle, 80% des tâches domestiques et des soins aux enfants reposent toujours sur les femmes. Ceci car il continue à aller de soi dans la société qu’un certain nombre de tâches incombent aux femmes naturellement, mais également parce que les réformes institutionnelles qui permettraient aux femmes de travailler tout en ayant des enfants n’ont pas été faites. Or, Méda montre que cela a des conséquences importantes sur la vie des femmes. Dans le cas des femmes au foyer, le travail domestique équivaut à un emploi non rémunéré, qui peut les occuper à toute heure, qu’elles ne peuvent pas abandonner, qui n’est absolument pas reconnu socialement et qui les rend dépendantes. Dans le cas des femmes qui travaillent et s’occupent de l’essentiel du travail domestique, cela a nécessairement des conséquences importantes sur leurs carrières professionnelles dans la mesure où elles ont « une double journée ».

Pour davantage de contenus sur la notion de justice, vous pouvez consulter cette page : Cours de philosophie

Episode 12 : Sénèque : Peut-on maîtriser le temps ?

dans cet épisode nous allons expliquer la citation de Sénèque extraite de de la briéveté de la vie.

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Bonjour, bienvenue dans ce nouveau podcast d’Apprendre la philosophie, dans cet épisode je vais expliquer la citation de Sénèque extraite de De la brièveté de la vie. « Nous n’avons point reçu une vie brève, nous l’avons faite telle ». Cette thèse de Sénèque pourrait notamment être intéressante sur un sujet comme « Peut-on maîtriser le temps ? »

Sénèque est un philosophe latin né en -4 av. J-C et mort en 65 ap. J-C. Il appartient à l’école stoïcienne fondée par Zénon de Citium. Il a écrit notamment Des Bienfaits, De la brièveté de la vie, De la clémence, Lettres à Lucilius, De la tranquillité de l’âme et De la vie heureuse. De la Brièveté de la vie date de 49 ap. J-C environ. Sénèque écrit alors au préfet Paulinus. Il s’agit d’une oeuvre sur la manière de se réapproprier le temps qui semble nous échapper et sur le sens que l’on donne à sa vie.

Le titre peut laisser penser que Sénèque énonce une évidence : la vie est brève. Mais c’est précisément le contraire que va défendre Sénèque. « Nous n’avons point reçu une vie brève, nous l’avons faite telle » dit-il. Pour lui, notre vie est brève ou non en fonction de la manière dont nous vivons. Soit nous arrivons à maitriser le temps que nous avons et alors ce temps est suffisant, soit nous ne le maitrisons pas et alors notre vie nous semble effectivement brève. L’enjeu est donc de savoir ce que nous faisons de notre temps. Sénèque critique notamment la manière de vivre des « gens occupés » qui dilapident leur temps et s’activent sans cesse sans réelle raison, tout en ignorant que leur temps est compté. Pour ces personnes là, la vie est effectivement brève, mais c’est parce qu’ils perdent beaucoup de leur temps. Sénèque considère que ça n’est pas parce qu’on est sans cesse occupé ou que l’on agit beaucoup que l’on utilise bien son temps. On peut très bien s’agiter beaucoup et pourtant perdre son temps car on ne fait rien qui a du sens pour nous.

Deux erreurs humaines selon Sénèque

Sénèque, dans De la Brièveté de la vie, commence par regretter deux erreurs humaines très courantes. D’abord les hommes ont tendance à considérer que la nature leur donne une vie trop courte. Pour Sénèque c’est une folie de se plaindre d’avoir reçu trop peu de temps et d’accabler l’injuste nature car ce temps que la nature nous donne ne dépend pas de nous. Il est donc vain de vouloir changer cela et de s’en plaindre. Pour les stoïciens, il est inutile de vouloir que les choses arrivent comme nous le désirons, dans les domaines où cela ne dépend pas de nous, il faut vouloir ce qui arrive.

Sénèque relève ensuite une deuxième erreur. Les hommes se plaignent d’avoir reçu une vie courte mais, en réalité, ils vivent comme s’ils étaient immortels, c’est-à-dire qu’ils dilapident leur temps comme s’il n’était pas précieux. Il va alors énumérer les façons diverses dont les hommes peuvent perdre leur temps, cela va de celui qui perd son temps en s’abrutissant par l’alcool ou la nourriture, à celui qui uniquement soucieux du regard des autres cherche à réussir à leurs yeux à tous prix sans réaliser quoi que ce soit de vraiment important pour lui-même. Perdre son temps pour Sénèque, cela peut donc être par exemple, s’inquiéter constamment de sa beauté ou de celle des autres, chose qui de toute façon ne dure pas, ou encore éparpiller ses actions dans différents projets sans jamais se fixer sur un et l’amener à terme.

Vivre et non simplement exister

Comment alors bien vivre ? Pour Sénèque mener une vie véritable consiste à entreprendre des actions qui ne sont pas gratuites et irréfléchies, mais au contraire réfléchies et conscientes. Des actions que nous avons donc réellement choisies et qui sont maîtrisées au sens où nous savons pourquoi nous les faisons et elles sont importantes pour nous. C’est ainsi que l’homme peut réellement vivre au lieu de simplement « passer du temps ».

La métaphore du bateau qui se laisse emporter est ici éclairante. Si ce bateau sans direction se laisse emporter et tourne sans cesse en rond, pourra-t-on dire qu’il a beaucoup navigué ? On pourrait dire qu’il a navigué longtemps, mais pas beaucoup navigué car il n’est arrivé nul part.

De même, pour Sénèque, un individu qui n’a pas de projet précis, vagabonde sans cesse ou perd son temps, devient peut-être une personne âgé, mais, pour autant, on ne peut pas dire qu’il a beaucoup vécu. Seul celui qui utilise son temps intelligemment a beaucoup vécu.

Par ailleurs, cette métaphore illustre bien aussi le côté néfaste des passions qui nous détournent de nos projets réfléchis : plus il y a eu de vent ( le vent est alors symbole des passions qui peuvent nous emporter), moins le bateau a pu accomplir sa fonction, sa mission. Il importe donc de retenir la distinction de cet ouvrage entre vivre et passer du temps. « Rien n’est moins le fait d’un homme occupé que de vivre » dit Sénèque car si ce à quoi il s’occupe, il ne l’a pas réellement choisi de manière éclairé alors en réalité il s’agite et perd son temps.

Voilà pour cet épisode j’espère qu’il vous aura aidé à comprendre un peu la pensée de Sénèque sur le temps, si vous voulez davantage de contenu sur le thème du temps, je vous invite à vous rendre sur la page Cours de Philosophie.

Très bonne journée à vous

Episode 9 : Mentir peut-il être moral ?

Episode 9 : Mentir peut-il être moral ?

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La question du mensonge et de son caractère moral est une question philosophique abordée notamment par des auteurs comme Kant, Rousseau ou Benjamin Constant. Peut-il être moral de mentir ? Je vais ici vous présenter certains éléments du problèmes et arguments sur cette question.

Le mensonge peut-il être moral si c’est pour une bonne raison ? Ou bien doit-on dire que mentir est toujours moralement condamnable quelque soit la raison pour laquelle nous pourrions être amené à mentir ? Mais si l’on admet que mentir est toujours immoral, en est-il de même du mensonge par omission ou plus généralement du fait de cacher la vérité sans pour autant dire le faux ?

Le mensonge est généralement très largement condamné dans notre culture judéo-chrétienne qui suit en cela les principes de Saint Augustin d’Hippone, philosophe et théologien du IIIe-IVe siècle après J-C. En effet, Saint Augustin contre Saint Jérôme, condamne dans Du mensonge toute idée qu’il pourrait y avoir de « bons mensonges». A ses yeux, le mensonge est mauvais par nature quelque soit la situation ou la fin du mensonge car il consiste à « parler contre sa pensée avec l’intention de tromper ». Ce faisant, le menteur est donc un homme au cœur double qui sait le vrai et dit le faux. Ainsi, pour Augustin, le menteur pèche contre Dieu du fait de sa duplicité et pèche contre son semblable par son désir de le tromper.

Néanmoins, si Saint Augustin condamne le mensonge sans équivoque, il distingue le mensonge du secret au sens strict car « cacher la vérité n’est pas mentir ». Ainsi, quand le devoir de dire vrai et la charité chrétienne entrent en conflit le devoir est de déclarer : « Je sais mais je ne parlerai pas ». Il admet néanmoins que cette solution est extrêmement risquée et coûteuse pour celui qui garde le secret et indique donc qu’il est possible d’avoir recours à des expressions équivoques afin d’induire l’interlocuteur malintentionné en erreur sans que cela soit un mensonge franc. Ce procédé peut être utilisé dès lors que ce qui est dit est en partie vrai. Saint Augustin prend ainsi l’exemple d’Abraham qui craignant pour la vie de Sarah déclare au Pharaon que Sarah est sa sœur et non sa femme. La réponse n’est pas fausse car Sarah est bien sa demi-sœur, mais elle est aussi son épouse. Saint Augustin distingue ainsi le mensonge franc du fait de garder un secret en utilisant l’ambiguïté.

Le mensonge met en danger la société

La question de savoir si l’on peut ou non ne pas dire toute la vérité à un homme est traitée notamment dans une controverse qui oppose Emmanuel Kant à Benjamin Constant.

Kant condamne tout mensonge délibéré. Selon lui, il n’est absolument pas moral de mentir même pour garder un secret. L’homme a pour devoir de dire la vérité ou plus exactement de dire ce qu’il croit vrai. Si le Sujet vient à mentir alors il enfreint le premier impératif catégorique exposé en ces termes  par Kant dans les Fondements de la métaphysique des mœurs : « Agis de telle sorte que la maxime de ton action puisse être érigée en loi universelle de la nature ». Cela signifie que l’individu doit pouvoir rationnellement vouloir que chacun agisse comme lui de telle sorte que cela devienne la norme. Or, selon Kant, nous ne pouvons pas rationnellement vouloir que tout le monde mente car cela rendrait toute vie en société impossible. Il n’y aurait, en effet, plus aucun lien entre des personnes qui se mentent constamment et mutuellement. De plus, selon Kant, celui qui ment doit ensuite endosser la responsabilité morale de tout ce qui peut arriver du fait de son mensonge car il est intervenu dans le cours des événements.

« Si je dis quelque chose de faux dans des affaires d’importance où le mien et le tien sont en jeu, dois-je répondre de toutes les conséquences qui peuvent suivre de mon mensonge ? Par exemple, un maître a donné l’ordre de répondre, si quelqu’un le demandait, qu’il n’est pas à la maison. Le domestique suit la consigne reçue, mais il est cause par-là que son maître, après être sorti, commet un grand crime, ce qui aurait été empêché par la force armée envoyée pour l’appréhender. Sur qui retombe ici la faute, selon les principes de l’éthique ? A n’en pas douter sur le domestique également qui, par le mensonge a enfreint un devoir envers lui-même : sa propre conscience doit lui reprocher les conséquences. » (Kant ; Doctrine de la vertu Ch. 1, Art. 1 Du mensonge, 1797)

Aux yeux de Kant, il n’est donc pas moral de mentir pour garder un secret même si cela semble être dans l’intérêt d’autrui. C’est sur ce point notamment que Benjamin Constant s’oppose à la thèse de Kant dans ses Réactions politiques.

Le débat entre Kant et Constant porte notamment sur la situation suivante : si un assassin vient vous demander si votre ami s’est réfugié chez vous, n’est-il pas moral de lui mentir ? Un ami ne peut-il pas attendre légitiment de vous que vous gardiez son secret si sa vie est menacée ? Pour Kant, le mensonge est toujours condamnable car vous prenez alors la responsabilité de ce qui va se passer ensuite. Si vous mentez en disant que votre ami n’est pas là, et que l’assassin retournant dans la rue y trouve votre ami qui était sorti de la maison entre temps, alors c’est votre faute. Constant remarque lui, au contraire, que le lien social et la moralité même se trouvent menacés si l’on ne peut faire confiance à personne même pas à un ami pour garder un secret vital. Il va donc chercher à trouver une règle qui permette de justifier le mensonge dans ce cas.

« Dire la vérité est un devoir. Qu’est-ce qu’un devoir ? L’idée de devoir est inséparable de celle de droits : un devoir est ce qui, dans un être, correspond aux droits d’un autre. Là où il n’y a pas de droits, il n’y a pas de devoirs. Dire la vérité n’est donc un devoir qu’envers ceux qui ont droit à la vérité. Or nul homme n’a droit à la vérité qui nuit à autrui. » (Benjamin Constant, Des réactions politiques, Paris, Flammarion, 2013)

Mentir peut être moral car tout homme n’a pas droit à la vérité

Benjamin Constant voit donc les conséquences terribles que pourraient avoir l’obligation morale de toujours dire la vérité et cherche à montrer que l’idée qu’il y aurait un devoir de dire la vérité est infondée car il n’existe pas de droit à la vérité dès lors que cette vérité peut nuire à autrui. En effet, dans un Etat de droit, chaque individu peut faire usage de sa liberté dès lors que celle-ci ne menace pas la liberté d’autrui. En d’autres termes, chacun a des libertés garanties par l’Etat que l’on appelle des droits et donc des devoirs car il doit respecter les droits des autres. Par exemple, si un individu a le droit de s’exprimer alors les autres ont le devoir de le laisser s’exprimer et s’ils ne le font pas, ils peuvent être sanctionnés par la loi. Ainsi, avoir un droit c’est avoir l’autorisation de faire quelque chose que les autres n’ont pas le droit de m’empêcher de faire. Constant défend ici l’idée que ce système de droits et devoirs ne peut fonctionner et être respecté que si les droits qui sont donnés aux individus sont des droits qui ne nuisent pas à autrui. En effet, l’objectif du droit en général est bien la coexistence pacifique des individus. Or, si l’on donne des droits à certains qui sont nuisibles pour les autres alors il semble légitime d’en dénoncer l’injustice.

Pour conclure, on pourrait en suivant Constant défendre que garder un secret en mentant est même un devoir moral si la personne qui demande la vérité a pour but de nuire à autrui et n’a donc pas droit à la vérité. On pourrait alors nous objecter avec Saint Augustin qu’il est préférable de refuser de répondre plutôt que de mentir ou de donner une réponse équivoque qui trompe l’interlocuteur, mais comme lui-même l’admet c’est là s’exposer soi-même à biens des risques sans certitude d’aider notre ami car notre interlocuteur peut interpréter notre silence comme un aveu. Ainsi, par notre silence, nous pouvons aussi trahir autrui. En revanche, mentir délibérément à autrui si la réponse ne présente pas de danger pour les autres, reste sans nul doute une faute morale.

Voilà pour cet épisode j’espère qu’il vous aura aidé à mieux comprendre les enjeux sur cette question, si vous voulez davantage de contenu sur le thème de la morale, je vous invite à vous rendre sur mon blog apprendre la philosophie.

Episode 8 : Une citation de Schopenhauer sur la difficulté d’atteindre le bonheur

Episode 8 : Une citation de Schopenhauer sur la difficulté d’atteindre le bonheur

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Bonjour, bienvenue dans ce nouveau podcast d’Apprendre la philosophie, dans cet épisode nous allons nous demander s’il faut rechercher le bonheur et je vais vous expliquer une citation de Schopenhauer extraite de son oeuvre Le Monde comme volonté et comme représentation. Pour davantage de références sur le bonheur, vous pouvez consulter cette page.

Dans cette citation de Schopenhauer, « La vie oscille, comme un pendule, de la souffrance à l’ennui »

Que veut-il dire par là ?

Schopenhauer peut être considéré comme un philosophe plutôt pessimiste quant à notre capacité à être heureux. Paradoxalement, selon lui, c’est notamment parce que nous recherchons constamment le bonheur que nous ne l’atteignons jamais. En d’autres termes, le désir apparaît pour Schopenhauer comme un obstacle au bonheur.

Et ce, parce que le désir nous rend constamment insatisfaits.

En effet, Schopenhauer, inspiré en cela par le bouddhisme, considère que le désir est cause de souffrance et que désirer être heureux nous garantit de ne jamais l’être en réalité. Pourquoi cela ? Car tout désir est inquiétude et manque, si nous désirons quelque chose c’est que nous ne l’avons pas ou craignons de le perdre, alors on peut considérer que le désir est souffrance. Schopenhauer dit « la vie oscille comme un pendule de la souffrance à l’ennui ». Cela signifie que dans notre vie nous sommes constamment soit en train de désirer c’est-à-dire de souffrir pour Schopenhauer, soit en train de nous ennuyer car finalement nous avons tendance à être rapidement lassés de ce que nous avons obtenu. Cet ennui laisse alors place à un nouveau désir qui nous fait souffrir jusqu’à ce qu’il soit satisfait et alors rapidement nous retombons dans l’ennui. C’est ce qu’il explique plus longuement dans un texte dont je vais vous lire un extrait.

« Tout vouloir procède d’un besoin, c’est-à-dire d’une privation, c’est-à-dire d’une souffrance. La satisfaction y met fin ; mais pour un désir qui est satisfait, dix au moins sont contrariés ; de plus le désir est long et ses exigences tendent à l’infini ; la satisfaction est courte et elle est parcimonieusement mesurée.   Mais ce contentement suprême n’est lui-même qu’apparent ; le désir satisfait fait place aussitôt à un nouveau désir ; le premier est une déception reconnue, le second est une déception non encore reconnue. La satisfaction d’aucun souhait ne peut procurer de contentement durable et inaltérable. C’est comme l’aumône qu’on jette à un mendiant : elle lui sauve aujourd’hui la vie pour prolonger sa misère jusqu’à demain. – Tant que notre conscience est remplie par notre volonté, tant que nous sommes asservis à la pulsion du désir, aux espérances et aux craintes continuelles qu’il fait naître, tant que nous sommes sujets du vouloir, il n’y a pour nous ni bonheur durable, ni repos. ».

Alors faut-il désirer ou rechercher le bonheur pour Schopenhauer ? Si notre désir est d’être heureux, alors nous allons nous dire que nous serons heureux quand nous aurons ce travail ou cette maison ou rencontré la bonne personne… Dans tous les cas, nous reportons le moment d’être heureux à plus tard quand nous aurons ceci ou cela et une fois que nous l’avons, nous n’en sommes plus satisfait et il nous faut encore autre chose pour être heureux.

 Si bien que finalement désirer le bonheur ou espérer atteindre plus tard le bonheur, est un leurre qui nous garantit de ne jamais l’atteindre. Il faudrait sans doute mieux pour Schopenhauer se satisfaire de ce que nous avons et trouver des raisons d’être heureux aujourd’hui. Mais là encore c’est une chose difficile, selon Schopenhauer, car nous avons tendance à sentir beaucoup plus la douleur que le bonheur. Pourquoi défend-il cette idée ?

Selon Schopenhauer, notre organisme est conçu pour sentir la douleur car elle est une alerte qui nous maintient en vie. En revanche, le bonheur passe rapidement inaperçu car il doit plutôt être défini négativement comme une absence de douleur. Cette absence nous ne la remarquons plus très rapidement. C’est pourquoi nous nous rendons souvent compte que nous étions heureux quand nous perdons ce bonheur. Alors la douleur que nous ressentons est d’autant plus grande que nous nous étions habitués à ce bonheur.

Il le dit notamment dans ce texte : « Que notre vie était heureuse, c’est ce dont nous ne nous apercevons qu’au moment où ces jours heureux ont fait place à des jours malheureux. Autant les jouissances augmentent, autant diminue l’aptitude à les goûter : le plaisir devenu habitude n’est plus éprouvé comme tel. Mais par là même grandit la faculté de ressentir la souffrance ; car la disparition d’un plaisir habituel cause une impression douloureuse. Ainsi la possession accroit la mesure de nos besoins, et du même coup la capacité de ressentir la douleur. – Le cours des heures est d’autant plus rapide qu’elles sont agréables, d’autant plus lent qu’elles sont plus pénibles ; car le chagrin, et non le plaisir, est l’élément positif, dont la présence se fait remarquer. De même nous avons conscience du temps dans les moments d’ennui, non dans les instants agréables. Ces deux faits prouvent que la partie la plus heureuse de notre existence est celle où nous la sentons le moins. » SCHOPENHAUER

Ainsi, pour Schopenhauer, nous ne pouvons pas réellement atteindre le bonheur d’une part car le désir est plutôt un obstacle au bonheur et d’autre part, car notre nature même nous incline à ne pas ressentir réellement la satisfaction quand nous l’avons.

Néanmoins, il pense qu’il est possible de rendre sa vie moins pénible en suivant certaines règles qui nous garantissent de limiter les souffrances que nous infligeons aux autres et à nous-mêmes.

Ces carnets contenaient 50 règles, en voici quelques unes :

Il conseille dans la règle 2 d’éviter d’être jaloux et de susciter la jalousie. « Tu ne seras jamais heureux tant que tu seras torturé par un plus heureux. ». La jalousie est un poison qui nous rend toujours malheureux.

Schopenhauer conseille ensuite dans la règle 3 de faire ce que nous avons naturellement envie de faire. On ne peut pas longtemps forcer sa nature, mieux vaut se consacrer à un domaine dans lequel nous avons des facilités et un certain enthousiasme. « En effet, de même que les poissons ne sont bien que dans l’eau, l’oiseau seulement dans l’air, la taupe uniquement sous terre, ainsi chaque homme ne se sent bien que dans l’atmosphère appropriée pour lui. ».

Règle 6 : « Faire de bon cœur ce qu’on peut et souffrir de bon cœur ce qu’on doit. »

Règle 8 : « Limiter le cercle de ses relations : on offre ainsi moins de prise au malheur. »

Règle 48 : « Le bonheur appartient à ceux qui se suffisent à eux-mêmes. »

Voilà pour cet épisode j’espère qu’il vous aura aidé à comprendre cette citation de Schopenhauer , si vous voulez davantage de contenu sur le thème du bonheur, je vous invite à vous rendre sur mon blog apprendre la philosophie.

Très bonne journée à vous

Bertrand Russell : ce qu’est la philosophie

Dans ce texte, Bertrand Russell fait un éloge de la philosophie en commençant par une affirmation qui peut paraître paradoxale.

Dans ce texte, Bertrand Russell fait un éloge de la philosophie en commençant par une affirmation qui peut paraître paradoxale. La valeur de la philosophie ne vient pas essentiellement de sa capacité à répondre aux questions quelle pose, comme cela peut être le cas de la science. La valeur de la philosophie vient notamment de sa capacité à susciter l’incertitude. Cela peut sembler étonnant car, en tant qu’humain, nous avons plutôt tendance à fuir l’incertitude et à chercher des certitudes. Pourquoi pourrait-on alors dire que l’incertitude est une bonne chose ?

Pour Bertrand Russell, l’incertitude n’est pas la seule valeur de la philosophie, mais elle est essentielle car être incertain c’est être travaillé par le doute, c’est refuser d’adhérer à une idée sans s’interroger. En somme, c’est donc être le contraire d’un esprit dogmatique qui accepte les idées sans les remettre en question. Ainsi, pour Russell, un homme qui ne fait pas de philosophie aura tendance à être aveuglé et prisonnier des préjugés et croyances de son époques et de son pays. Ne pas faire de philosophie c’est donc ne pas être libre car c’est être conditionné par les opinions communes et rester toujours dans les mêmes idées et les mêmes habitudes.

A ses yeux, la philosophie a une grande valeur car elle nous sort de l’habitude et l’habitude est un grand mal. Selon lui, une âme habituée est une âme morte, c’est une âme où il ne se passe plus rien de nouveau, où tout ce qui nous entoure a toujours le même sens et n’a rien de surprenant. Au contraire, faire de la philosophie c’est questionner le réel pour tenter de le voir différemment, c’est peut-être refuser ce qui est pour dire ce qui devrait être, c’est envisager les possibles.

Texte de Bertrand Russell :

« En fait, c’est dans son incertitude même que réside largement la valeur de la philosophie. Celui qui ne s’y est pas frotté traverse l’existence comme un prisonnier : prisonnier des préjugés du sens commun, des croyances de son pays ou de son temps, de convictions qui ont grandi en lui sans la coopération ni le consentement de la raison. Tout dans le monde lui paraît aller de soi, tant les choses sont pour lui comme ceci et pas autrement, tant son horizon est limité; les objets ordinaires ne le questionnent pas, les possibilités peu familières sont refusées avec mépris. Mais nous l’avons vu dès le début de ce livre : à peine commençons-nous à philosopher que même lés choses de tous les jours nous mettent sur la piste de problèmes qui restent finalement sans réponse. Sans doute la philosophie ne nous apprend-elle pas de façon certaine la vraie solution aux doutes qu’elle fait surgir : mais elle suggère des possibilités nouvelles, elle élargit le champ de la pensée en la libérant de la tyrannie de l’habitude. Elle amoindrit notre impression de savoir ce que sont les choses; mais elle augmente notre connaissance de ce qu’elles pourraient être; elle détruit le dogmatisme arrogant de ceux qui n’ont jamais traversé le doute libérateur, et elle maintient vivante notre faculté d’émerveillement en nous montrant les choses familières sous un jour inattendu. »

Bertrand Russell, Problèmes de philosophie

Citation de Baruch Spinoza

Baruch Spinoza ne pense pas comme Platon que le désir est quelque chose qui nous éloigne de notre nature d’être humain rationnel. Au contraire, à ses yeux, l’homme est par nature un être de désir c’est-à-dire un être qui vise « à persévérer dans son être » ou encore qui cherche à croître constamment. Pour Spinoza, l’homme désire devenir plus fort, créer, s’améliorer, ceci est dans sa nature. Il affirme que c’est là son essence ou sa nature car alors l’homme ressent la joie.

Texte de Baruch Spinoza :

Toute chose s’efforce – autant qu’il est en son pouvoir – de persévérer dans son être. L’effort par lequel toute chose s’efforce de persévérer dans son être n’est rien d’autre que l’essence actuelle de cette chose. Cet effort, en tant qu’il a rapport à l’âme seule, s’appelle : Volonté. Mais lorsqu’il a rapport en même temps à l’Âme et au Corps, il se nomme : Appétit. L’appétit, par conséquence, n’est pas autre chose que l’essence même de l’homme, de la nature de laquelle les choses qui servent à sa propre conservation résultent nécessairement ; et par conséquent, ces mêmes choses, l’homme est déterminé à les accomplir. En outre, entre l’appétit et le désir il n’existe aucune différence, sauf que le désir s’applique, la plupart du temps, aux hommes lorsqu’ils ont conscience de leur appétit et, par suite, le désir peut être ainsi défini : « Le désir est un appétit dont on a conscience. » Il est donc constant, en vertu des théorèmes qui précèdent, que nous ne nous efforçons pas de faire une chose, que nous ne voulons pas une chose, que nous n’avons non plus l’appétit ni le désir de quelque chose parce que nous jugeons que cette chose est bonne ; mais qu’au contraire nous jugeons qu’une chose est bonne parce que nous nous efforçons vers elle, que nous la voulons, que nous en avons l’appétit et le désir.
Spinoza, Éthique (1675).