Apologie de Socrate

Résumé de l’apologie de Socrate

"Il me semble donc qu'en cela du moins je suis un peu plus sage, que je ne crois pas savoir ce que je ne sais point". Socrate dans l'Apologie de Socrate de Platon

Cette œuvre qui est une des plus lue de Platon se présente comme le rapport des allocutions que Socrate aurait prononcées devant ses juges avant et après sa condamnation. L’Apologie de Socrate s’inscrit dans la première partie de l’œuvre de Platon à savoir celle des dialogues socratiques. Elle est antérieure aux grands dialogues comme Le Phédon et Le Banquet. L’Apologie de Socrate n’est probablement pas un compte rendu exact des propos de Socrate mais une création philosophique inspirée du réel sauf pour le dernier discours qui est fort improbable. Il s’agit davantage de Socrate défendu par Platon que la défense de Socrate par lui-même.

►Pour apprendre à bien réussir en philosophie consultez ma chaîne Youtube Apprendrelaphilosophie.

Suivez-moi sur Instagram, je partage des fiches sur les notions du programme et des conseils de méthode !

Contexte : En l’an 399 avant notre ère, une accusation capitale fut lancée contre Socrate : elle entraîna sa condamnation puis sa mort. Il avait alors 70 ans. C’est à cette accusation qu’est censée répondre « l’Apologie de Socrate » de Platon.

L’Apologie se divise en trois parties :  

Dans la première partie, Socrate se défend contre ses accusateurs. Dans la seconde, il propose une peine qui lui paraît juste car il a été jugé coupable ; dans la troisième, il indique aux juges qui l’ont condamné les dommages que cette décision pourrait leur causer et il s’entretient avec ceux qui l’ont acquitté sur les sujets de la mort et de l’au-delà.

PREMIÈRE PARTIE : La défense de Socrate

Socrate affirme qu’il est  entièrement ignorant de la façon dont il faut parler devant les tribunaux. Il se contentera donc de dire la vérité en parlant comme il le fait habituellement. Il indique ensuite les deux grandes divisions de son propos : il répondra d’abord aux attaques  anciennes propagées depuis longtemps contre lui ; il examinera ensuite les plaintes récentes de ses accusateurs.

On l’accuse depuis des années de remettre en cause les croyances religieuses,  on l’accuse aussi de  renverser les valeurs de la société et d’enseigner aux jeunes à le faire aussi. En effet, le philosophe puisqu’il pose des questions a tendance à questionner les traditions et à les mettre en danger. Son activité ne plaît donc pas à ceux qui veulent que les traditions perdurent sans se demander si elles sont bonnes.

D’où viennent donc ces rumeurs qui se sont propagées sur son compte ? C’est qu’un jour, ayant été proclamé le plus sage des hommes par l’oracle de Delphes, il a voulu vérifier ce qui lui avait été révélé. Il se mis alors à interroger les concitoyens qui étaient considérés comme les plus sages : les hommes d’État, les poètes, puis les artisans. Il a découvert que ces personnes prétendaient avoir des connaissances mais que finalement ils étaient aussi ignorants que lui.  Il a ainsi reconnu qu’il était plus sage qu’eux puisqu’ il ne croyait pas savoir ce qu’il ignorait. C’est pour cela que l’on attribue à Socrate cette phrase devenue symbole du philosophe « je sais que je ne sais pas ». Les différents interlocuteurs de Socrate se sont sentis « ridiculisés » et ils sont à l’origine de la mauvaise réputation de Socrate.    

Socrate se défend ensuite contre les accusations récentes  de Mélétos, Anytos et Lycon.  Il entreprend de faire voir aux juges qu’il ne s’est jamais préoccupé de l’éducation de la jeunesse. Il montre ensuite que Mélétos se contredit quand il l’accuse d’athéisme. Socrate procède alors comme à son habitude en posant des questions habiles qui poussent son adversaire à se contredire.

Il apparaît alors que cette façon qu’a Socrate de poser des questions et donc de faire de la philosophie le met en danger. Néanmoins il continue à poser des questions et à remettre en question les opinions reçues car il s’est donné comme mission d’aider ses concitoyens à s’améliorer sur le plan moral. Il se compare à un « taon » qui pique les Athéniens pour les inciter à réfléchir. Cependant lui demande-t-on s’il veut servir les intérêts de ses concitoyens, pour quelle raison ne fait il pas de la politique ? Socrate répond que sa conscience l’en a détourné, et avec raison ; car avec sa franchise et son attachement aux lois, il n’aurait pas vécu longtemps.

Socrate a dit ce qu’il avait à dire pour sa défense. Il n’en dira pas plus : il ne recourra pas, comme les autres accusés, à des supplications qui sont indignes de lui et indignes des juges, lesquels ne doivent pas céder à la pitié, mais n’écouter que la justice et leur raison. Il s’en remet donc aux juges et à Dieu pour décider ce qu’il y a de mieux pour eux et pour lui.

DEUXIÈME PARTIE : la condamnation de Socrate

Après cette défense, les juges votèrent et Socrate fut déclaré coupable par une courte majorité de soixante voix. Dans les procès comme celui-ci, la loi ne fixait pas la peine, c’était donc l’accusateur qui en proposait une, et l’accusé, s’il était déclaré coupable, en proposait une autre. Le jury choisissait alors l’une ou l’autre, sans pouvoir proposer une autre peine. Ceux qui accusaient Socrate demandèrent la mort. Socrate fût invité à fixer sa peine, mais il considéra, lui, qu’au lieu d’une peine, ses services méritaient une récompense, et il demanda à être nourri gratuitement aux frais de la Cité. Néanmoins, il accepte finalement de verser une amende sous la pression de ses amis qui proposent de verser l’argent. Ces amis veulent lui éviter la mort.

TROISIÈME PARTIE : Discours après sa condamnation

Socrate est finalement condamné à mort. Socrate s’adresse alors une dernière fois aux juges. Il s’adresse d’abord à ceux qui l’ont condamné. Il considère qu’ils se rendent alors coupable d’un crime inutile. Il s’adresse ensuite à ceux qui ont voté en sa faveur et les rassure sur son sort. La mort, leur dit-il, n’est pas un mal pour lui. Pourquoi craindrait-il la mort ? Si c’est un sommeil, c’est un bonheur. Si c’est un passage dans un autre lieu, où l’on doit rencontrer les héros des temps passés, quel plaisir ce sera de converser avec eux ! Il dit donc ne pas avoir de ressentiment contre ceux qui l’ont condamné. Enfin, avant de prendre congé d’eux, il recommande aux Athéniens de traiter ses enfants comme il a traité lui-même ses concitoyens.

Dans cet article je vous donne un exemple d'explication de texte philosophique en commençant par l'introduction.

Exemple d’explication de texte philosophique

Dans cet article je vous donne un exemple d’explication de texte philosophique en commençant par l’introduction. Vous pouvez retrouver la méthode de l’introduction ici, dans ce podcast, ou encore en vidéo ici. Vous trouverez ensuite un exemple de développement d’explication de texte. Je précise à chaque fois entre parenthèses à quoi ce passage correspond par rapport à la méthode du développement de l’explication de texte que vous pouvez retrouver dans cet article.

Texte de Spinoza : «On pense que l’esclave est celui qui agit par commandement et l’homme libre celui qui agit selon son bon plaisir. Cela cependant n’est pas absolument vrai, car en réalité être captif de son plaisir et incapable de rien voir ni faire qui nous soit vraiment utile, c’est le pire esclavage, et la liberté n’est qu’à celui qui de son entier consentement vit sous la seule conduite de la Raison. Quant à l’action par commandement, c’est-à-dire à l’obéissance, elle ôte bien en quelque manière la liberté, elle ne fait cependant pas sur-le-champ un esclave, c’est la raison déterminante de l’action qui le fait. Si la fin de l’action n’est pas l’utilité de l’agent lui-même, mais de celui qui la commande, alors l’agent est un esclave, inutile à lui-même ; au contraire, dans un Etat et sous un commandement pour lesquels la loi suprême est le salut de tout le peuple, non de celui qui commande, celui qui obéit en tout au souverain ne doit pas être dit un esclave inutile à lui-même, mais un sujet. Ainsi cet Etat est le plus libre, dont les lois sont fondées en droite Raison, car dans cet Etat chacun, dès qu’il le veut, peut être libre, c’est-à-dire vivre de son entier consentement sous la conduite de la Raison.» Spinoza, Traité théologico-politique – chap. XVI §§ 9-11

Exemple d’introduction de l’explication de texte

Dans ce texte de Spinoza extrait du Traité théologico-politique, il est question des liens entre obéissance et liberté. [Thème]. Le problème auquel l’auteur entend répondre est le suivant : l’obéissance est-elle nécessairement contraire à la liberté ? En d’autres termes, est-ce qu’obéir c’est toujours être esclave ? Ou bien y a-t-il des circonstances où obéir c’est être libre ? [Formulation du problème (alternative) auquel répond l’auteur].  Dans ce texte, Spinoza cherche à démontrer que l’obéissance n’est pas toujours contraire à la liberté et que donc on peut être libre en obéissant aux commandements de l’Etat si ceux-ci sont rationnels et donc dans notre intérêt. [Thèse de l’auteur]. Dans un premier temps des lignes 1 à 4, Spinoza énonce une opinion commune qu’il va ensuite réfuter en défendant qu’être libre c’est plutôt obéir à sa propre raison. Puis dans un second temps des lignes 4 à 8, Spinoza énonce sa thèse selon laquelle l’obéissance ôte une certaine liberté, mais pas toute forme de liberté et donc ne fait pas nécessairement de celui qui obéit un esclave. Enfin des lignes 8 à la fin du texte, Spinoza conclut en montrant comment sa thèse peut être défendue au niveau politique pour justifier l’obéissance du sujet envers l’Etat. [Découpage des différentes parties du texte, précision de l’argumentation et explication rapide du contenu].

▶️ Un autre exemple d’introduction en vidéo ci-dessous:

Exemple d’explication du début du texte

Vous trouverez à chaque fois précisé entre crochets à quel élément de la méthode ce passage correspond. Pour rappel, dans le développement vous devez : 1-Clarifier, 2-Justifier, 3-Dire ce que fait l’auteur d’un point de vue argumentatif, 4-Faire une objection (facultatif). J’ai remis le détail de ces 4 opérations à la fin de cet article.

NB : Ce texte est un peu court, un sujet de bac pourrait être plus long, j’ai choisi un texte court pour que cela soit plus digeste. L’essentiel est que vous compreniez la méthode et les différentes opérations que vous devez faire pendant votre explication.

Première partie du développement :

*évidemment, vous ne mettez pas de titre dans vos copies, je le fais ici uniquement pour faciliter la lecture.

« Spinoza commence par formuler une opinion commune, c’est-à-dire ce que diraient la plupart des gens sans y avoir particulièrement réfléchi [3-Dire ce que fait l’auteur : ici il formule une opinion commune]. Nous pouvons penser qu’il s’agit d’une opinion commune car l’auteur dit « On pense que », et non « Je pense ». Le « On » ici désigne donc vraisemblablement les gens en général. Selon lui, les hommes pensent communément que « l’esclave est celui qui agit par commandement ». Il veut dire par là qu’on pense qu’un homme est un esclave, c’est-à-dire quelqu’un qui n’a aucune liberté et est soumis à un autre, s’il agit en suivant le commandement d’un autre. Celui qui  « agit par commandement » c’est celui qui agit en suivant les ordres d’un autre. [1-Clarifier : vous voyez ici que j’ai défini ce qu’est un esclave et reformulé un morceau de phrase dont le sens n’était pas évident]. De même, selon lui, on pense communément, qu’au contraire, l’homme libre est « celui qui agit selon son bon plaisir ». Cela signifie, qu’en général, on considère qu’être libre c’est faire ce qui nous plaît ou encore laisser libre cours à nos envies ou à nos désirs. Il attribue donc à l’opinion commune une définition de la liberté comme liberté d’action selon laquelle être libre c’est agir comme on veut. [1-Clarifier : j’ai précisé qu’il y a là une certaine définition de la liberté]. A première vue, une telle conception de la liberté peut sembler effectivement évidente car on peut défendre que, celui qui fait ce qui lui plaît, est effectivement plus libre qu’un esclave ou un prisonnier par exemple. L’esclave ou le prisonnier n’ont pas la liberté d’action, ils sont enfermés ou entravés. [2-Justifier – j’explique pourquoi l’opinion commune n’est pas si absurde].

[Retour à la ligne + alinéa car vous passez à une autre étape de l’argumentation] Néanmoins, Spinoza va s’opposer à cette première conception de la liberté et de l’esclavage, en proposant une autre définition de la liberté et de l’esclavage. Il réfute donc l’opinion commune : « Cela cependant n’est absolument pas vrai ». [3-Dire ce que fait l’auteur : une réfutation]. Spinoza explique donc ce qu’est, pour lui, l’esclavage véritable :  » être captif de son plaisir et incapable de rien voir ni faire qui nous soit vraiment utile, c’est le pire esclavage ».  Pour Spinoza, être esclave c’est donc avant tout être soumis à ses propres plaisirs et désirs, ne pas pouvoir y résister, au point que l’on risque de faire des choses qui finalement sont nuisibles pour nous. Par exemple, on peut penser que quelqu’un qui boit trop d’alcool et ne peut s’en passer est esclave de ce plaisir car il n’arrive pas à s’en passer et pourtant ce plaisir est mauvais pour lui. [1-Clarifier : ici j’ai reformulé la phrase et donné un exemple]. Spinoza va ensuite donner sa définition de la liberté : « et la liberté n’est qu’à celui qui de son entier consentement vit sous la seule conduite de la Raison. ». L’auteur propose donc une nouvelle conception de la liberté qui consiste en une certaine maîtrise de soi. Etre réellement libre, à ses yeux, c’est être capable de réfléchir à ce qui est le mieux pour nous et d’agir en suivant ce que nous a dit notre raison. Ainsi, nous savons qu’il est dans notre intérêt de réviser notre philo et nous le faisons. [1-Clarifier : reformulation + définition de la liberté + exemple]. En effet, nous voyons que l’homme qui satisfait toujours tous ses désirs n’est pas libre, car il n’est pas en mesure de choisir, il cède seulement à son désir. De ce fait, il ne fait pas ce qui est vraiment dans son intérêt. [2-Justifier/Argumenter en faveur de l’auteur].

Deuxième partie du développement

(A venir) – Suivez moi sur Instagram pour des fiches sur les notions et des conseils de méthode !

Troisième parti du développement

J’espère que cet exemple d’explication de texte philosophique vous aura aidé à mieux comprendre la méthode.

Si vous souhaitez voir des exemples d’introductions de dissertation de philosophie c’est ici.

Rappel de méthode : Les différentes opérations à faire dans le développement

Afin de clarifier la méthode, je vais distinguer quatre opérations principales que vous devez apprendre à faire pour bien réaliser votre explication de texte de philosophie. Attention, j’ai mis des numéros pour que vous puissiez identifier ces différentes opérations plus facilement mais cela ne signifie pas qu’il faut les faire dans cet ordre. Souvent vous aller commencer par l’étape de clarification du texte, mais ça ne sera pas toujours le cas.

1- On peut appeler cette première opération, l’étape de clarification du texte. La première chose à faire est de montrer que vous avez compris le sens de la phrase ou de l’expression que vous expliquez. Cela signifie que si c’est une phrase un peu difficile à comprendre (comme cela peut être souvent le cas dans un texte de philosophie), vous avez le droit de faire de la bonne paraphrase, c’est-à-dire reformuler le passage de manière plus claire. Il ne faut pas en rester là néanmoins, il est également très important de définir les termes importants du texte et c’est absolument nécessaire si ce sont des notions du programme comme temps, bonheur etc… Enfin, il est bienvenu afin de rendre le texte plus clair et de montrer que vous l’avez bien compris de prendre un exemple pour illustrer ce que dit l’auteur. Les passages concernés sont suivis de : (1-Clarifier)

 2- Il faut ensuite montrer pourquoi l’auteur affirme ce qu’il affirme, c’est-à-dire justifier, argumenter ses propos, montrer pourquoi il a raison de dire ce qu’il dit notamment à l’aide de connaissances acquises en cours, et donc en quelque sorte prendre sa défense face à des objections éventuelles (là, on est sûr de ne pas faire de paraphrase, mais il faut veiller à ne pas trop s’éloigner du texte). Vous pouvez même formuler une éventuelle objection et montrer comment l’auteur y répond déjà dans son texte. Les passages qui correspondent à cette opération sont suivis de (2-Justifier)

3- Quand vous expliquez un texte de philosophie, un des objectifs est de faire ressortir clairement ce que fait l’auteur, c’est-à-dire la manière dont il construit son argumentation afin de justifier la validité de sa thèse. Il est donc très important de préciser régulièrement à quel élément du texte nous avons affaire ici. Est-ce la thèse, un exemple, un premier argument, l’opinion commune et sa réfutation ? Il s’agit essentiellement de montrer comment chaque élément du texte permet à l’auteur d’avancer dans l’argumentation de sa thèse. Dans l’exemple d’explication de texte de philosophie, cette opération est notée : (3-Dire ce que fait l’auteur)

4- Enfin, dans l’explication de texte, vous avez la possibilité de faire un paragraphe d’objection qui peut être appuyé sur la référence à un autre auteur qui soutient une thèse ou une argumentation différente. Il n’est pas nécessaire de faire une objection dans chaque partie, mais il est nécessaire qu’il y ait au moins une objection dans tout le devoir. Bien entendu, cette objection doit être argumentée et il faut absolument éviter de dire que l’auteur n’a rien compris, ou se contredit, car cela montre en général que c’est l’étudiant qui n’a pas compris le texte. Cette opération est notée : (4-Objection).

Un résumé des chapitres centraux du Prince de Machiavel

Résumé de quelques chapitres du Prince de Machiavel

Un résumé des chapitres centraux du Prince de Machiavel

CHAPITRE XV

DES CHOSES PAR LESQUELLES LES HOMMES, PRINCIPALEMENT LES PRINCES, ACQUIÈRENT BLÂME OU LOUANGE.

  “Il m’a semblé plus profitable de suivre la vérité effective de la chose que son imagination.”

  “Celui qui laissera ce qui se fait pour ce qui se devrait faire, il apprend plutôt à se perdre qu’à se conserver ; car qui veut faire entièrement profession d’homme de bien, il ne peut éviter sa perte parmi tant d’autres qui ne sont pas bons.”

  “Aussi est-il nécessaire au prince qui veut se conserver qu’il apprenne à pouvoir n’être pas bon, et d’en user ou n’user pas selon la nécessité.”

Selon Machiavel, il faut que le prince ne s’abstienne absolument que des vices qui risqueraient de lui faire perdre ses états. En d’autres termes, s’il est avantageux pour le prince d’agir de manière immoral alors il a raison de le faire si cela lui permet de garder le pouvoir. Et qu’il préfère un vice qui lui donne aise et sécurité à une vertu qui causerait sa ruine. Ainsi, pour lui, le prince qui est capable d’agir à la fois moralement et immoralement aura toujours l’avantage sur un prince qui se limite en s’interdisant des actions qu’il juge immorales.

CHAPITRE XVII du Prince de Machiavel

DE LA CRUAUTÉ ET CLÉMENCE, ET QUEL EST LE MEILLEUR D’ÊTRE AIMÉ OU CRAINT.

Selon Machiavel, il vaut mieux pour un prince être cruel que trop miséricordieux, pour faire régner la paix et l’obéissance. Celles-ci sont les garant d’un pays heureux ; de plus, alors que le laxisme engendre des troubles qui nuisent à tous, une exécution ne nuit qu’à un seul.

Le nouveau prince en particulier ne peut pas faire autrement que d’user de cruauté. Mais il faut qu’il agisse avec sagesse, afin de n’être ni imprudent ni insupportable.

Vaut-il mieux être aimé ou craint ? L’idéal serait d’être les deux, mais c’est impossible. Alors, le plus sûr est d’être craint. En effet, la nature humaine veut que les hommes soient plus prêts à rendre service quand le danger est loin que lorsqu’il est imminent. Et le prince qui aura compté sur l’amitié sera déçu ; contrairement à celui qui se sera assuré des services par la crainte.

Du moins, le prince doit s’abstenir d’être haï, s’il n’est point aimé. Cela se peut s’il s’abstient de prendre le bien de ses citoyens, ou leur femmes, et s’il donne toujours une justification à ses crimes (assassinats ou autres). Il vaut mieux tuer que voler, les gens l’oublient plus vite et plus facilement.

  “Les hommes oublient plus tôt la mort de leur père que la perte de leur patrimoine.”

Un prince en campagne, lui, se doit d’être cruel ; sans quoi son armée ne sera jamais unie ni fidèle. Exemples : Annibal ; Scipion.

Donc : puisque l’amitié des gens dépend de ceux qui l’accordent ou non, mais que ceux-ci craignent selon ce que décide le prince, celui-ci doit préférer ce qui dépend de lui, et, par conséquent, se faire craindre plutôt qu’aimer, et éviter d’être haï.

CHAPITRE XVIII

COMMENT LES PRINCES DOIVENT GARDER LEUR FOI.

La loyauté est certainement une qualité très précieuse ; mais on voit que les princes qui ont utilisé la ruse ont mieux réussi que les autres.

Il y a deux façons de combattre : par les lois et par la force. La première est le propre de l’homme, et la seconde, de la bête. Mais comme la première ne marche pas toujours,

  “le prince doit savoir pratiquer la bête et l’homme.”

Comme bête, le prince doit choisir le renard et le lion, pour se défendre à la fois des rêts et des loups. Les hommes sont lâches et méchants. Leurs promesses ne tiennent pas souvent ; il n’y a pas de raison de leur tenir les tiennes, d’autant que les excuses légitimes ne manquent pas… Mais il faut savoir bien feindre et déguiser. De toutes façons,

  “les hommes sont tant simples et obéissent tant aux nécessités présentes, que celui qui trompe trouvera toujours quelqu’un qui se laissera tromper.”

Exemple : Alexandre VI.

Le mieux est de paraître  intègre, pieux, fidèle, humain, etc… et de l’être, tout en sachant, au besoin, ne l’être pas. Le prince, et en particulier le nouveau, est obligé d’agir contre la charité et l’humanité. Il doit

  “ne s’éloigner pas du bien s’il peut, mais savoir entrer au mal, s’il y a nécessité.”

Selon Machiavel, il est très important de paraître, surtout religieux. Les hommes jugent plus “aux yeux qu’aux mains” ; ils jugent sur ce qu’ils voient, mais bien peu sentent ce que tu es. Ce peu n’a pas de poids, face au nombre du vulgaire. Ils jugent sur le résultat, sur ce qui est advenu : si le but était de vaincre et de garder l’état, les moyens mis en oeuvre sembleront toujours justifiés aux yeux du peuple.

CHAPITRE XIX du Prince de Machiavel

QU’ON SE DOIT GARDER D’ÊTRE HAÏ OU MÉPRISÉ.

Pour ne pas être haï, il suffit de laisser à ses sujets leurs biens et l’honneur. Aux yeux de Machiavel, le plus grave serait d’être méprisé. Le prince respecté est moins inquiété, tant à l’intérieur, qu’à l’extérieur. De ce dernier danger il se défend par “force d’armes” et de bons amis, lesquels lui sont d’ailleurs assurés par de bonnes armes. Et la paix intérieure – sauf conjuration – lui est assurée par l’extérieure. Ex. Nabis de Sparte. Mais aussi par le respect que ses sujets ont pour lui. La conjuration se nourrit du mécontentement, de la crainte, du soupçon d’une peine à venir ; alors que le prince a pour lui la “majesté de la Principauté”, les lois, la puissance. S’il a en plus la bienveillance du peuple, il faudrait être bien fou ou bien obstiné pour essayer de se mesurer à lui.

Exemple : Messire Annibal Bentivogli et les Canneschi.

Exemple du gouvernement français : le prince doit faire tenir par d’autres que lui les rôles qui attirent la rancune, et se garder pour lui ceux qui attirent la reconnaissance.

Exemples des empereurs romains, qui semblent aller contre ce dernier précepte : Marc le philosophe (Aurèle), Commode et son fils, Pertinax, Julien, Sévère, Antonin Caracalla son fils, Macrin, Héliogabale, Alexandre et Maximin.

Remarque : les romains devaient, en plus de l’ambition des grands et des exigeances du peuple que nous connaissons, tenir compte de la crauté et la cupidité des soldats.

 “La haine s’acquière autant par les bonnes oeuvres que par les mauvaises.”

Selon Machiavel, Le prince ne doit pas tellement craindre les assassinats, sauf venant de la part de ceux qu’il pourrait offenser et qu’il garde dans son entourage. Cf. Antonin et le centurion.

Aujourd’hui, il est plus facile au prince de maîtriser l’armée, parce qu’en général elle est moins ancienne que l’administration, dans les provinces. Le peuple a, à présent, plus de pouvoir que l’armée, ce qui n’était pas le cas. La paix et la sécurité ne sont plus dans les mains des soldats, sauf pour le Grand Turc ou au Soudan.

D’une manière générale, nous pouvons définir la démocratie comme un type d’organisation politique dans lequel c’est le peuple qui détient le pouvoir. Néanmoins, nos démocraties occidentales actuelles sont-elles en tous points comparables avec la démocratie que connaissaient les athéniens ?

La démocratie n’est-elle qu’un idéal inaccessible ?

D’une manière générale, nous pouvons définir la démocratie comme un type d’organisation politique dans lequel c’est le peuple qui détient le pouvoir. Néanmoins, nos démocraties occidentales actuelles sont-elles en tous points comparables avec la démocratie que connaissaient les athéniens ? 

La démocratie des modernes

Benjamin Constant, homme politique et intellectuel français de la fin du 18e siècle, s’attache ainsi à montrer dans De la liberté des anciens comparée à celle des modernes combien ce serait une erreur de vouloir construire la démocratie moderne sur le modèle de la démocratie antique. En effet, selon Constant, le modèle antique de la démocratie directe où chaque citoyen participe effectivement aux décisions n’est plus réalisable dans nos sociétés car le nombre des citoyens est trop élevé. La démocratie moderne est donc une démocratie représentative, c’est-à-dire que les citoyens détiennent le pouvoir non directement, mais indirectement par l’intermédiaire des représentants qu’ils élisent. Ce faisant, chaque citoyen quand bien même il reste souverain, n’a plus le même poids dans les décisions collectives. C’est pourquoi, selon Constant, dans nos sociétés modernes, la sphère privilégiée de l’exercice de la liberté n’est plus la sphère politique, mais la sphère privée car c’est dans cette sphère que les individus ont le sentiment d’une réelle maîtrise.

« Le but des anciens était le partage du pouvoir social entre tous les citoyens d’une même patrie. C’était là ce qu’ils nommaient liberté. Le but des modernes est la sécurité dans les jouissances privées ; et ils nomment liberté les garanties accordées par les institutions à ces jouissances. » (Constant B., De la liberté des anciens comparée à celle des modernes in Ecrits politiques, Paris, Gallimard, 1997, p.603)

Ainsi, les citoyens des démocraties modernes ne se considèrent pas comme libres parce qu’ils ont le pouvoir politique, mais parce qu’ils sont libres et assurés de pouvoir faire ce qui leur plaît en toute tranquillité dans leur vie privée. C’est cette nouvelle conception de la liberté que Constant baptise « Liberté des modernes ». Le rôle de l’État consiste alors à garantir à chaque individu que rien ni personne ne viendra interférer dans le cercle de ses activités privées. Il oppose cette liberté des modernes à « la liberté des anciens » pour qui être libre consistait essentiellement à participer directement aux décisions qui concernaient la collectivité. Or, selon Constant, ce modèle antique de la démocratie directe ne convient pas aux sociétés modernes, notamment parce qu’indépendamment du problème du nombre trop important de citoyens, il ne laisse aucune place à la liberté individuelle. Constant s’attache à montrer que le pendant de la grande liberté politique des Anciens est une totale soumission aux règles de la communauté dans la sphère privée. Le citoyen antique n’a notamment aucune liberté de mœurs, ses actions sont soumises à une censure très stricte et il doit se conformer en tous points aux normes de la cité dans laquelle il vit.

« Vous ne trouverez chez eux [les anciens] presque aucune des jouissances que nous venons de voir faisant partie de la liberté chez les modernes. Toutes les actions privées sont soumises à une surveillance sévère. Rien n’est accordé à l’indépendance individuelle, ni sous le rapport des opinions ni sous celui de l’industrie, ni surtout sous le rapport de la religion. […] Ainsi, chez les anciens, l’individu, souverain presque habituellement dans les affaires publiques, est esclave dans tous ses rapports privés. » (Constant B., De la liberté des anciens comparée à celle des modernes dans Ecrits politiques, Paris, Gallimard, 1997, p.594-595)

Une démocratie qui ne repose pas sur la vertu des citoyens

Constant entend ainsi dénoncer l’erreur des Jacobins qui prétendaient établir une nouvelle république fondée sur la vertu. Selon lui, les révolutionnaires français influencés par la pensée de Rousseau ont cru pouvoir instaurer une démocratie comparable aux démocraties de l’Antiquité et, constatant que ce régime reposait sur la vertu des citoyens et leur dévouement à l’intérêt public, ils ont entrepris de rééduquer les Français dans ce sens. Cette violation de la liberté individuelle est inacceptable pour Constant et selon lui, elle explique l’échec de la Révolution.

« Vous savez, messieurs, ce qui en est résulté. Des institutions libres, appuyées sur la connaissance de l’esprit du siècle, auraient pu subsister. L’édifice renouvelé des anciens s’est écroulé […]. C’est que le pouvoir social blessait en tout sens l’indépendance individuelle sans en détruire le besoin. […] L’indépendance individuelle est le premier des besoins modernes. En conséquence, il ne faut jamais en demander le sacrifice pour établir la liberté politique. » (Constant B., De la liberté des anciens comparée à celle des modernes dans Ecrits politiques, 1997, p.608)

La démocratie des modernes doit donc être une démocratie qui laisse les citoyens libres de leurs opinions, de leurs religions et de leurs affaires. Le problème étant, selon Constant, que les citoyens pourraient alors se désintéresser des affaires publiques pour ne plus se soucier que de leurs affaires privées.

« Le danger de la liberté moderne, c’est qu’absorbés dans la jouissance de notre indépendance privée, et dans la poursuite de nos intérêts particuliers, nous ne renoncions trop facilement à notre de droit de partage dans le pouvoir politique. Les dépositaires de l’autorité ne manquent pas de nous y exhorter. Ils sont si disposés à nous épargner toute espèce de peine, exceptée celle d’obéir et de payer ! […] Quelque touchant que soit un intérêt si tendre, prions l’autorité de rester dans ses limites. Qu’elle se borne à être juste ; nous nous chargerons d’être heureux. » (Constant B., De la liberté des anciens comparée à celle des modernes dans Ecrits politiques, 1997, p.616-617)

La démocratie serait alors en danger dans la mesure où les citoyens pourraient paradoxalement renoncer à leurs droits politiques dès lors qu’ils ne voient plus les liens d’interdépendance entre les décisions politiques et leurs affaires privées.

La démocratie en danger

Ce risque que courent les démocraties modernes a été notamment mis en évidence par Alexis de Tocqueville, philosophe et homme politique du 19e siècle, dans son étude de la démocratie américaine. Pour davantage de précisions sur Tocqueville et la démocratie je vous renvoie à cet article. En effet, dans De la démocratie en Amérique, Tocqueville étudie les mœurs, c’est-à-dire les habitudes, idées, croyances des citoyens américains et montre comment leur amour de l’égalité et l’égalisation effective des conditions dans la société américaine, les conduisent peu à peu à se désintéresser de l’engagement politique. Un des traits caractéristiques, aux yeux de Tocqueville, des sociétés démocratique est l’essor de l’individualisme. Les individus se considèrent comme d’égale valeur, ils ne se fient plus qu’à leurs propres opinions et croyances. Ce faisant, ils s’isolent, il n’y a plus de lien social entre les individus tel qu’il existe dans une société hiérarchique où chacun doit commander ou rendre des comptes à un autre.

« L’individualisme est un sentiment réfléchi et paisible qui dispose chaque citoyen à s’isoler de la masse de ses semblables et à se retirer à l’écart avec sa famille et ses amis ; de telle sorte que, après s’être ainsi crée une petite société à son usage, il abandonne volontiers la grande société à elle-même. […] L’individualisme est d’origine démocratique, et il menace de se développer à mesure que les conditions s’égalisent. » (DA, II, 2, chap.2, p. 125)

Les individus dans les sociétés démocratiques s’intéressent de moins en moins à la politique, car ils considèrent qu’il est plus intéressant pour eux d’exercer leur liberté dans le domaine privé et ne voient pas qu’ils ne sauraient se désintéresser de la politique sans prendre le risque que d’autres prennent des décisions qui pourraient leur être défavorables. Cette tendance des citoyens à ne plus prendre part activement à la politique pourrait, selon Tocqueville,  avoir des conséquences désastreuses quoique inédites. Il annonce ainsi le risque d’avénement d’une nouvelle forme de despotisme qu’il appelle « despotisme doux ».

« Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde : je vois une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. […] Au-dessus de ceux-là s’élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternel si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l’âge viril ; mais il ne cherche au contraire qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance. » (D.A. II, p. 385)

Le despotisme que peuvent craindre les démocraties

Or, si ce despotisme est doux, il n’en est pas moins dangereux et ce pour au moins trois raisons. D’une part, c’est un despotisme qui se développe petit à petit, sans violence, et sous couvert d’intérêt commun, si bien que contrairement au despotisme violent tel que le définissait Montesquieu, ce despotisme nouveau peut se développer sans provoquer le sursaut des citoyens qui n’y voient pas une remise en cause fondamentale de leur liberté. D’autre part, une fois que les citoyens ont pris l’habitude de ne plus se soucier que de leurs petites plaisirs privés, ils sont prêts à sacrifier leur liberté si cela leur permet de conserver leur tranquillité. C’est pourquoi Tocqueville craint que les citoyens démocratiques ne soient plus capables de se révolter si l’on met en danger leur liberté. Enfin, il s’agit alors d’une société sécuritaire où tous les faits et gestes des citoyens sont contrôlés. Ainsi, le pouvoir ne cherche pas à rendre les hommes adultes et autonomes, au contraire il cherche à les rendre dépendants et uniquement préoccupés par des choses futiles.

Aux yeux de Tocqueville, c’est vers ce type de despotisme que risque de dériver la démocratie, si les citoyens ne prennent pas conscience de l’importance de l’engagement politique. Or, il montre qu’il est possible de mettre en place des institutions pour éduquer les citoyens et les rendre conscients des effets qu’ont les décisions politiques sur leurs vies. L’erreur, selon lui, serait de leur laisser croire qu’ils peuvent ne pas s’occuper de politique sans que cela ait des conséquences pour eux. Tocqueville fait à ce propos l’éloge des américains qui ont su conserver leur liberté en encourageant les citoyens à s’engager au sein de jurys ou d’associations où ils apprennent à se soucier de l’intérêt commun et à voir qu’il est lié avec leurs intérêts privés.


Un sentiment de dépossession et d’impuissance

Selon Marcel Gauchet, dans L’avènement de la démocratie II, les citoyens de nos démocraties sont en proie à un malaise profond qui a pour cause un sentiment de dépossession et d’impuissance. En effet, les citoyens ont le sentiment qu’ils ne contrôlent plus le destin collectif, que les Etats perdent de leur pouvoir et qu’il est donc relativement vain de s’engager politiquement.

« Nous sommes de plus en plus libres à titre individuel mais cette liberté compte de moins en moins dans le façonnement du destin collectif. Nous avons de moins en moins de pouvoir collectivement parlant. C’est ce en quoi la démocratie perd son sens car elle est proprement la conversion de la liberté de chacun en pouvoir de tous. » (Marcel Gauchet, L’avènement de la démocratie, II : la crise du libéralisme : 1880-1914, Paris, Folio, 2014)

Ainsi, selon lui, l’idée libérale l’a emporté sur le versant démocratique. La démocratie ne désigne alors plus que la garantie des libertés individuelles et non le gouvernement du peuple par le peuple. Nos démocraties sont des démocraties des Droits de l’homme, elles défendent les droits individuels et sont contre le politique parce qu’elles considèrent la liberté des personnes comme contradictoire avec le pouvoir. Il faut protéger les individus du pouvoir et donc faire en sorte qu’il y ait le moins de politique possible, voire plus de politique du tout grâce à un fonctionnement autorégulé. Mais n’est-ce pas alors renoncer à la démocratie ?

Pour finir, nous pourrions dire que la démocratie est aujourd’hui en crise car les citoyens ne considèrent plus la politique comme un moyen d’exercice de leur liberté, mais comme une menace pour leur liberté que ce soit par ce qu’elle peut avoir de contraignant ou parce qu’ils envisagent l’Etat comme une menace. Néanmoins, faut-il voir ici une crise qui pourrait effectivement mettre en danger la démocratie ? Au quel cas, il faudrait s’interroger sur les mesures à mettre en œuvre pour que les citoyens aient à nouveau le sentiment d’appartenir à une communauté politique souveraine. Ou bien ces inquiétudes sont-elles infondées ? Ne serait-il pas possible d’envisager une démocratie réduite à une procédure minimale (les élections), sans que cela présente un risque pour la souveraineté du peuple ? Plutôt que de s’inquiéter du désengagement des citoyens aux élections ne faut-il pas plutôt voir ici une transformation des formes d’engagements politiques, les citoyens prennant part à la vie politique, mais sous d’autres formes que la seule participation aux élections ?

Pour bien commencer son explication de texte en philosophie, il faut d'abord prendre conscience qu'un texte de philosophie n'est pas un texte que l'on va comprendre immédiatement et simplement.

Comment réussir son introduction d’explication de texte en philosophie ?

L’explication de texte est l’un des deux exercices qui sont proposés au baccalauréat en philosophie, le deuxième étant la dissertation. Sur le programme de philosophie en terminale, je vous conseille de regarder cet article. Pour bien commencer son explication de texte en philosophie, il faut d’abord prendre conscience qu’un texte de philosophie n’est pas un texte que l’on va comprendre immédiatement et simplement. Il va donc être nécessaire de le lire plusieurs fois d’abord, puis de s’arrêter précisément sur chaque phrase ou chaque expression pour en expliquer le sens.

Pour voir la méthode de l’introduction en Vidéo c’est ici.

Il n’est pas anormal de ne pas tout comprendre au début, il faut persévérer et s’appuyer sur les passages que l’on comprend pour essayer de comprendre le reste du texte.

Préparer son explication de texte en philosophie : thème et thèse

Les premières lectures du texte vont d’abord permettre d’identifier le thème du texte, c’est-à-dire que vous devez chercher de quoi parle ce texte en général. Très souvent le thème du texte correspond à une des 17 notions du programme de philosophie. Vous pouvez ainsi avoir un texte dont le thème est « la liberté ». Il peut arriver néanmoins que cela ne corresponde pas exactement à une grande notion du programme, mais plutôt à un sous-thème, par exemple, « la différence entre l’homme et l’animal » dont il peut être question dans le cours sur la nature.

Il faut ensuite chercher la thèse du texte c’est-à-dire l’affirmation centrale de l’auteur dans le texte. L’enjeu est ici de trouver que ce l’auteur défend à propos du thème. Par exemple, si le thème est « la différence entre l’homme et l’animal », la thèse du texte pourrait être « l’homme est un être doué de raison et de langage contrairement à l’animal ». Il est absolument essentiel de trouver la thèse du texte et je vous déconseille de prendre l’explication de texte au bac si au bout de quelques lectures vous n’avez pas trouvé la thèse du texte car vous risquez alors de faire de nombreux contresens.

Un problème que rencontrent souvent les étudiants vient du fait que souvent l’auteur affirme plusieurs choses dans un même texte. C’est que très souvent, il y a dans le texte, la thèse centrale que défend l’auteur et des arguments qui viennent justifier et soutenir cette thèse. Une erreur peut alors consister à prendre un argument ou une idée secondaire pour la thèse du texte, ce qui va vous faire manquer une partie du texte et sa cohérence globale.

Déterminer le plan du texte et le problème auquel le texte répond.

Une fois que vous avez identifié la thèse du texte, il faut trouver le problème auquel l’auteur répond dans ce texte. Le problème n’est donc pas le plus souvent formulé dans le texte lui-même. Il faut imaginer le problème que s’est posé l’auteur avant d’écrire son texte. Une bonne manière de trouver le problème du sujet peut consister à prendre la thèse du texte et à chercher la thèse adverse. Par exemple, si la thèse du texte est : « l’homme est constamment tourné vers le passé ou le futur », la thèse adverse est : « l’homme est tourné vers le présent ». Une fois que vous avez identifié thèse et antithèse vous pouvez formuler le problème sous forme d’alternative. Par exemple : « l’auteur s’est demandé si les hommes étaient plutôt tourné vers le futur et le passé ou bien vers le présent ».

Enfin, pour finir le travail au brouillon il faut découper le texte, c’est-à-dire identifier différentes parties dans le texte et justifier ce découpage en précisant ce que l’auteur y fait à chaque fois. Il peut par exemple, formuler sa thèse, développer un argument, proposer un exemple, formuler la thèse de l’opinion commune et y répondre etc

Une fois que vous avez trouvé le thème, la thèse, les différentes parties du texte et formulé le problème auquel peut répondre le texte, il ne vous reste plus qu’à rédiger.

Exemple d’introduction d’explication de texte

Je prends pour l’exemple le texte de Pascal ci-dessous.

« Nous ne nous tenons jamais au temps présent. Nous anticipons l’avenir comme trop lent à venir, comme pour hâter son cours ; ou nous rappelons le passé, pour l’arrêter comme trop prompt : si imprudents que nous errons dans les temps qui ne sont pas nôtres, et ne pensons point au seul qui nous appartient : et si vains que nous songeons à ceux qui ne sont rien, et échappons sans réflexion le seul qui subsiste. C’est que le présent, d’ordinaire, nous, blesse. Nous le cachons à notre vue parce qu’il nous afflige et s’il nous est agréable, nous regrettons de le voir échapper. Nous tâchons de le soutenir par l’avenir, et pensons à disposer les choses qui ne sont pas en notre puissance, pour un temps où nous n’avons aucune assurance d’arriver. Que chacun examine ses pensées, il les trouvera toutes occupées au passé et l’avenir. Nous ne pensons presque point au présent ; et, si nous y pensons, ce n’est que pour en prendre la lumière pour disposer de l’avenir. Le présent n’est jamais notre fin : le passé et le présent sont nos moyens ; le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre ; et, nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais. » Pascal, Pensées, Brunschvicg 172 / Lafuma 47.

Exemple d’introduction d’explication de texte en philosophie, pour plus de clarté je précise les différents éléments de l’introduction entre parenthèses avant :

(Présentation du texte) Dans ce texte de Pascal, extrait des Pensées, il est question de (thème du texte, ici deux notions) notre rapport au temps et des effets de ce rapport au temps sur notre bonheur. (Formulation du problème auquel le texte répond sous forme d’alternative) Pascal s’est demandé si la tendance des hommes à se focaliser le plus souvent sur le passé et sur le futur les rend plutôt heureux ou plutôt malheureux. (Formulation de la thèse c’est-à-dire de la réponse que fait l’auteur au problème dans ce texte) Dans ce texte, Pascal défend l’idée selon laquelle nous avons tendance à toujours nous tourner vers le futur (pour espérer) et vers le passé (pour regretter ce que nous avons fait ou ce que nous avons perdu) et ainsi à ne jamais vivre pleinement au présent ce qui nous rend finalement malheureux. (Formulation du plan du texte en insistant sur ce que fait l’auteur dans ce passage d’un point de vue argumentatif) Dans la première partie du texte des lignes 1 à 6, l’auteur énonce sa thèse selon laquelle les hommes ont tendance à ne pas s’intéresser au présent mais uniquement au futur et au passé. Puis dans une deuxième partie des lignes 6 à 10, il donne de raisons qui selon lui justifient que les hommes se détournent du présent. Enfin des lignes 10 à la fin, il donne d’abord un argument de fait pour justifier sa thèse puis il énonce la deuxième partie de sa thèse selon laquelle cette tendance que nous avons à nous détourner du présent nous rend malheureux.

Vous remarquez que l’introduction de l’explication de texte n’a pas besoin d’être très longue, il suffit que les éléments essentiels y soient et elle sera très réussie.

Le mensonge peut-il être moral si c’est pour une bonne raison ? Ou bien doit-on dire que mentir est toujours moralement condamnable quelque soit la raison pour laquelle nous pourrions être amené à mentir ? Mais si l’on admet que mentir est toujours immoral, en est-il de même du mensonge par omission ou plus généralement du fait de cacher la vérité sans pour autant dire le faux ?

Le mensonge peut-il être moral ?

La question du mensonge et de sa moralité est une question philosophique abordée notamment par des auteurs comme Kant, Rousseau ou Benjamin Constant. Je vais ici vous présenter certains éléments du problèmes et arguments sur cette question.

Le mensonge peut-il être moral  si c’est pour une bonne raison ? Ou bien doit-on dire que mentir est toujours moralement condamnable quelque soit la raison pour laquelle nous pourrions être amené à mentir ? Mais si l’on admet que mentir est toujours immoral, en est-il de même du mensonge par omission ou plus généralement du fait de cacher la vérité sans pour autant dire le faux ? Pour plus de précisions sur la manière de formuler une problématique en philosophie, je vous renvoie à cet article sur le sujet.

Le mensonge est traditionnellement condamné

Le mensonge est généralement très largement condamné dans notre culture judéo-chrétienne qui suit en cela les principes de Saint Augustin d’Hippone, philosophe et théologien du IIIe-IVe siècle après J-C. En effet, Saint Augustin contre Saint Jérôme, condamne dans Du mensonge toute idée qu’il pourrait y avoir de « bons mensonges». A ses yeux, le mensonge est mauvais par nature quelque soit la situation ou la fin du mensonge car il consiste à « parler contre sa pensée avec l’intention de tromper ». Ce faisant, le menteur est donc un homme au cœur double qui sait le vrai et dit le faux. Ainsi, pour Augustin, le menteur pèche contre Dieu du fait de sa duplicité et pèche contre son semblable par son désir de le tromper. 

Néanmoins, si Saint Augustin condamne le mensonge sans équivoque, il distingue le mensonge du secret au sens strict car « cacher la vérité n’est pas mentir ». Ainsi, quand le devoir de dire vrai et la charité chrétienne entrent en conflit le devoir est de déclarer : « Je sais mais je ne parlerai pas ». Il admet néanmoins que cette solution est extrêmement risquée et coûteuse pour celui qui garde le secret et indique donc qu’il est possible d’avoir recours à des expressions équivoques afin d’induire l’interlocuteur malintentionné en erreur sans que cela soit un mensonge franc. Ce procédé peut être utilisé dès lors que ce qui est dit est en partie vrai. Saint Augustin prend ainsi l’exemple d’Abraham qui craignant pour la vie de Sarah déclare au Pharaon que Sarah est sa sœur et non sa femme. La réponse n’est pas fausse car Sarah est bien sa demi-sœur, mais elle est aussi son épouse. Saint Augustin distingue ainsi le mensonge franc du fait de garder un secret en utilisant l’ambiguïté.

Le mensonge met en danger la société

La question de savoir si l’on peut ou non ne pas dire toute la vérité à un homme est traitée notamment dans une controverse qui oppose Emmanuel Kant à Benjamin Constant.

Kant condamne tout mensonge délibéré. Selon lui, il n’est absolument pas moral de mentir même pour garder un secret. L’homme a pour devoir de dire la vérité ou plus exactement de dire ce qu’il croit vrai. Si le Sujet vient à mentir alors il enfreint le premier impératif catégorique exposé en ces termes  par Kant dans les Fondements de la métaphysique des mœurs : « Agis de telle sorte que la maxime de ton action puisse être érigée en loi universelle de la nature ». Cela signifie que l’individu doit pouvoir rationnellement vouloir que chacun agisse comme lui de telle sorte que cela devienne la norme. Or, selon Kant, nous ne pouvons pas rationnellement vouloir que tout le monde mente car cela rendrait toute vie en société impossible. Il n’y aurait, en effet, plus aucun lien entre des personnes qui se mentent constamment et mutuellement. De plus, selon Kant, celui qui ment doit ensuite endosser la responsabilité morale de tout ce qui peut arriver du fait de son mensonge car il est intervenu dans le cours des événements.

« Si je dis quelque chose de faux dans des affaires d’importance où le mien et le tien sont en jeu, dois-je répondre de toutes les conséquences qui peuvent suivre de mon mensonge ? Par exemple, un maître a donné l’ordre de répondre, si quelqu’un le demandait, qu’il n’est pas à la maison. Le domestique suit la consigne reçue, mais il est cause par-là que son maître, après être sorti, commet un grand crime, ce qui aurait été empêché par la force armée envoyée pour l’appréhender. Sur qui retombe ici la faute, selon les principes de l’éthique ? A n’en pas douter sur le domestique également qui, par le mensonge a enfreint un devoir envers lui-même : sa propre conscience doit lui reprocher les conséquences. » (Kant ; Doctrine de la vertu Ch. 1, Art. 1 Du mensonge, 1797)

Aux yeux de Kant, il n’est donc pas moral de mentir pour garder un secret même si cela semble être dans l’intérêt d’autrui. C’est sur ce point notamment que Benjamin Constant s’oppose à la thèse de Kant dans ses Réactions politiques.

Doit-on mentir à un assassin ?

Le débat entre Kant et Constant porte notamment sur la situation suivante : si un assassin vient vous demander si votre ami s’est réfugié chez vous, n’est-il pas moral de lui mentir ? Un ami ne peut-il pas attendre légitiment de vous que vous gardiez son secret si sa vie est menacée ? Pour Kant, le mensonge est toujours condamnable car vous prenez alors la responsabilité de ce qui va se passer ensuite. Si vous mentez en disant que votre ami n’est pas là, et que l’assassin retournant dans la rue y trouve votre ami qui était sorti de la maison entre temps, alors c’est votre faute. Constant remarque lui, au contraire, que le lien social et la moralité même se trouvent menacés si l’on ne peut faire confiance à personne même pas à un ami pour garder un secret vital. Il va donc chercher à trouver une règle qui permette de justifier le mensonge dans ce cas.

« Dire la vérité est un devoir. Qu’est-ce qu’un devoir ? L’idée de devoir est inséparable de celle de droits : un devoir est ce qui, dans un être, correspond aux droits d’un autre. Là où il n’y a pas de droits, il n’y a pas de devoirs. Dire la vérité n’est donc un devoir qu’envers ceux qui ont droit à la vérité. Or nul homme n’a droit à la vérité qui nuit à autrui. » (Benjamin Constant, Des réactions politiques, Paris, Flammarion, 2013)

Benjamin Constant voit donc les conséquences terribles que pourrait avoir l’obligation morale de toujours dire la vérité et cherche à montrer que l’idée qu’il y aurait un devoir de dire la vérité est infondée car il n’existe pas de droit à la vérité dès lors que cette vérité peut nuire à autrui. En effet, dans un Etat de droit, chaque individu peut faire usage de sa liberté dès lors que celle-ci ne menace pas la liberté d’autrui. En d’autres termes, chacun a des libertés garanties par l’Etat que l’on appelle des droits et donc des devoirs car il doit respecter les droits des autres. Par exemple, si un individu a le droit de s’exprimer alors les autres ont le devoir de le laisser s’exprimer et s’ils ne le font pas, ils peuvent être sanctionnés par la loi. Ainsi, avoir un droit c’est avoir l’autorisation de faire quelque chose que les autres n’ont pas le droit de m’empêcher de faire. Constant défend ici l’idée que ce système de droits et devoirs ne peut fonctionner et être respecté que si les droits qui sont donnés aux individus sont des droits qui ne nuisent pas à autrui. En effet, l’objectif du droit en général est bien la coexistence pacifique des individus. Or, si l’on donne des droits à certains qui sont nuisibles pour les autres alors il semble légitime d’en dénoncer l’injustice.

Pour conclure, on pourrait en suivant Constant défendre que garder un secret en mentant est même un devoir moral si la personne qui demande la vérité a pour but de nuire à autrui et n’a donc pas droit à la vérité. On pourrait alors nous objecter avec Saint Augustin qu’il est préférable de refuser de répondre plutôt que de mentir ou de donner une réponse équivoque qui trompe l’interlocuteur, mais comme lui-même l’admet c’est là s’exposer soi-même à biens des risques sans certitude d’aider notre ami car notre interlocuteur peut interpréter notre silence comme un aveu. Ainsi, par notre silence, nous pouvons aussi trahir autrui. En revanche, mentir délibérément à autrui si la réponse ne présente pas de danger pour les autres, reste sans nul doute une faute morale.

Doit-on redouter ou se réjouir de l’avènement de la démocratie ? Le premier tome de De la démocratie en Amérique est publié en 1835. Il s’agit du compte rendu réfléchi du voyage aux Etats-Unis qu’accomplit Alexis de Tocqueville de mai 1831 à février 1832.

Tocqueville : De la démocratie en Amérique

Doit-on redouter ou se réjouir de l’avènement de la démocratie ? Le premier tome de De la démocratie en Amérique est publié en 1835. Il s’agit du compte rendu réfléchi du voyage aux Etats-Unis qu’accomplit Alexis de Tocqueville de mai 1831 à février 1832. Officiellement Tocqueville et son ami Beaumont doivent y examiner les institutions pénitentiaires américaines. C’est ce qu’ils feront, mais les questions qui occupent Tocqueville sont bien plus vastes. Ce voyage est d’abord le voyage d’un citoyen français qui voit son pays déchiré entre ceux qui redoutent l’avancée de la démocratie en France et ceux qui espèrent que la démocratie continue à progresser. Or, paradoxalement, aux yeux de Tocqueville, l’avènement de la démocratie et l’égalisation des conditions sont inévitables. L’enjeu n’est pas tant de déterminer si la démocratie adviendra que de savoir si celle-ci est compatible avec la liberté. Il part animé de cette question centrale : la démocratie peut-elle être un danger pour la liberté et notamment pour la liberté politique ? A première vue, cette interrogation semble paradoxale. Comment un régime que l’on peut définir comme le type d’organisation politique où c’est le peuple qui détient, ou qui contrôle, le pouvoir politique pourrait-il ne pas être compatible avec la liberté des citoyens ?

Il s’agit alors pour Tocqueville de montrer comment la démocratie, entendue d’abord d’un point de vue sociale dans le sens d’un état social où les conditions s’égalisent, pourrait, dans certaines conditions, conduire à une nouvelle forme de tyrannie ou à un genre nouveau de despotisme. Il se définit comme un éducateur politique qui doit montrer ce que l’on doit craindre de l’égalisation des conditions et du régime démocratique. Il entend précisément montrer à quelles conditions la démocratie restera compatible avec la liberté et cela implique de s’intéresser particulièrement aux institutions américaines et aux mœurs (idées, croyances, sentiments, habitudes) des américains. Néanmoins, il ne s’agit pas pour lui de proposer un modèle qu’il faudrait imiter scrupuleusement, mais de proposer une réflexion sur la démocratie dans le but d’instruire ses concitoyens français.

La nature de la démocratie

Dans l’œuvre de Tocqueville, le terme « démocratie » a deux significations différentes. Dans un premier sens, plus courant, il désigne par démocratie un type d’organisation politique dans laquelle c’est le peuple qui détient ou qui contrôle le pouvoir politique. Il s’agit donc du régime démocratique. En un second sens, beaucoup plus original, Tocqueville désigne par « démocratie » une certaine condition sociale ou un certain état de la société caractérisé par ce qu’il appelle « l’égalisation des conditions ». En effet, pour Tocqueville, on peut même dire que la démocratie c’est avant tout l’égalisation des conditions avant d’être un régime spécifique. Tout son propos dans De la démocratie en Amérique vise à étudier quelles sont les conséquences de l’égalisation des conditions sur les institutions politiques, les coutumes, les mœurs et les habitudes intellectuelles des citoyens. Il s’agit notamment de montrer que l’égalisation des conditions, donc la démocratie entendue comme état social, ne conduit pas nécessairement à l’instauration d’un régime démocratique où le peuple détient la souveraineté et où il se trouve donc libre politiquement.

L’égalisation des conditions n’est pas toujours compatible avec la liberté, elle peut aussi mener à la tyrannie, tel est l’enjeu. Selon lui, l’égalisation des conditions est inévitable et il suffit d’observer le mouvement de l’histoire pour constater qu’elle va en progressant constamment si bien que Tocqueville aperçoit dans ce triomphe de l’égalité l’expression d’une volonté divine. Mais, selon lui, l’homme reste néanmoins libre et il est de sa responsabilité de faire en sorte que l’égalité ne conduise pas à l’esclavage, mais à la liberté. Cela suppose de s’intéresser à certaines caractéristiques notables de l’état social démocratique qui sont des conséquences de l’égalisation des conditions : l’individualisme, la soif de conforts matériels et l’adoucissement des mœurs.


L’individualisme selon Tocqueville

Dans la société démocratique, les relations hiérarchiques fixes entre les classes (noblesse, bourgeoisie, ouvriers) et les fortes inégalités caractéristiques de la société aristocratique ont disparu. La propriété a été divisée et égalisée. Cela a des conséquences extrêmement positives, car chaque individu sans distinction de classe peut prétendre à se réaliser socialement, intellectuellement ou encore politiquement. Chaque individu cherche en lui-même ses opinions et croyances et refuse de se soumettre à un autre. Mais, selon Tocqueville, cela a aussi des conséquences plus ennuyeuses, car, paradoxalement, l’égalisation des conditions dissout le lien entre les individus au lieu de les rapprocher.

« L’individualisme est un sentiment réfléchi et paisible qui dispose chaque citoyen à s’isoler de la masse de ses semblables et à se retirer à l’écart avec sa famille et ses amis ; de telle sorte que, après s’être ainsi crée une petite société à son usage, il abandonne volontiers la grande société à elle-même. […] L’individualisme est d’origine démocratique, et il menace de se développer à mesure que les conditions s’égalisent. » (DA, II, 2, chap.2, p. 125)

En effet, chaque individu se considére comme l’égal de son voisin et n’a pas de compte social et politique à rendre à un membre d’une classe hiérarchiquement supérieure ou inférieure. De ce fait les liens sociaux du Moyen Âge sont rompus. Une des tâches majeures de la société démocratique est donc de recréer des liens entre les individus afin de remplacer les liens hiérarchiques perdus, car sans cela il n’y a plus une société, mais une multitude de petites sociétés privées. Nous verrons que cette tendance à l’individualisme peut devenir un danger pour la démocratie aux yeux de Tocqueville. 

La soif pour le confort matériel

Dans la société démocratique, on voit également apparaître selon Tocqueville, un attrait prononcé pour les conforts matériels. En effet, dans la société aristocratique, les différences de bien-être matériel n’étaient pas mises en question, chacun en fonction de sa classe trouvait sa situation normale, car c’était là un ordre social solidement ancré dans les mentalités. Au contraire, dans la société démocratique, chacun sait pouvoir améliorer sa condition et s’en préoccupe presque exclusivement car il n’a plus d’obligation envers les nobles ou l’église. Si l’on peut se féliciter de cette égalisation des conditions, dans le même temps, Tocqueville craint que les individus adoptent ce qu’il appelle un « matérialisme honnête », c’est-à-dire qu’ils en viennent à ne plus se préoccuper que des plaisirs matériels et à se désintéresser de toutes affaires politiques par exemple. Plus encore, il redoute que ces plaisirs restent de petits plaisirs dénués de passion et d’ambition.

« Ce que je reproche à l’égalité, ce n’est pas d’entraîner les hommes à la poursuite de jouissances défendues ; c’est de les absorber entièrement dans la recherche des jouissances permises. Ainsi il pourrait bien s’établir dans le monde une sorte de matérialisme honnête qui ne corromprait pas les âmes, mais qui les amollirait et finirait par détendre sans bruit tous leurs ressorts. » (DA, II, 2, chap.XI, p. 167)

En un sens, Tocqueville regrette qu’avec l’égalisation des conditions les grandes âmes au passions excessives et aux grandes idées ne disparaissent pour ne laisser qu’une masse de petits individus aux préoccupations médiocres. Ce faisant, il montre clairement sa préférence pour le caractère de l’homme aristocratique sur celui de l’homme démocratique et s’inquiète que le goût de l’homme démocratique pour le bien-être ne le pousse à accepter que l’on limite sa liberté pour peu qu’on ne mette pas en danger ses possessions matérielles. Néanmoins, il ne s’agit pas là d’une fatalité et nous verrons qu’il est possible, selon Tocqueville, de limiter ce penchant des peuples démocratiques.

Tocqueville produit donc une description détaillée de l’état social démocratique des américains. Il montre quelles sont les conséquences de l’égalisation des conditions sur les mœurs, habitudes, idées des américains. Or, ces nouvelles habitudes si elles ne sont pas néfastes en elles-mêmes peuvent néanmoins si on n’y prend pas garde présenter un risque pour la liberté et le maintien effectif d’un régime démocratique. L’égalisation des conditions pourrait, en définitive, présenter un danger pour la démocratie.

Les problèmes de la démocratie

Aux yeux de Tocqueville, la démocratie américaine ne parvient pas à éviter l’écueil de la tyrannie de la majorité. En effet, un des dangers de la démocratie consiste à croire qu’en donnant la souveraineté au peuple, on se garantit contre toute forme de tyrannie. Or, selon Tocqueville, la démocratie, si elle est le règne d’une majorité toute puissante, n’est rien d’autre qu’un régime tyrannique. Si la majorité peut tout imposer à la minorité alors il ne s’agit plus d’un régime libéral, c’est-à-dire respectueux de la liberté et des droits de chaque individu que celui-ci fasse partie de la majorité ou de la minorité.

« Lors donc que je vois accorder le droit et la faculté de tout faire à une puissance quelconque, qu’on appelle peuple ou roi, démocratie ou aristocratie, qu’on l’exerce dans une monarchie ou dans une république, je dis : là est le germe de la tyrannie, et je cherche à aller vivre sous d’autres lois. Ce que je reproche le plus au gouvernement démocratique, tel qu’on l’a organisé aux Etats-Unis, ce n’est pas sa faiblesse, mais au contraire sa force irrésistible. Et ce qui me répugne le plus en Amérique ce n’est pas l’extrême liberté qui y règne, c’est le peu de garantie qu’on y trouve contre la tyrannie. » (DA, I, 2, chap.VII, p. 350)

C’est pourquoi, pour Tocqueville, il faut que le gouvernement du peuple soit limité. Or, tel n’est pas le cas aux Etats-Unis car tous les pouvoirs émanent d’une manière ou d’une autre de la majorité. Non seulement le corps législatif représente la majorité, mais le pouvoir exécutif est lui aussi nommé par la majorité et les juges eux-mêmes sont, dans certains Etats, élus par la majorité. Afin de remédier à cela, Tocqueville, en fidèle lecteur de Montesquieu, suggère de distribuer les pouvoirs, c’est-à-dire de donner davantage d’indépendance au pouvoir exécutif et au pouvoir judiciaire vis-à-vis de la majorité. Il faudrait, selon lui, que ceux-ci ne soient pas dépendants de la majorité afin de pouvoir éventuellement s’opposer au pouvoir législatif si celui-ci prend des décisions néfastes pour les minorités.

Tocqueville s’inquiète donc du peu de garantie contre la tyrannie dans le système démocratique des Etats-Unis, mais plus encore, il redoute que les citoyens ne renoncent finalement à l’exercice de leurs droits politiques.


Les risques pour la liberté politique

Pour Tocqueville, la passion de l’homme démocratique pour l’égalité l’emporte sur toute autre, même sur celle pour la liberté. Ceci tient au fait que la liberté demande des efforts et de la vigilance alors que dans le même temps ses bienfaits peuvent passer inaperçus. En revanche, les bienfaits de l’égalité se font immédiatement sentir et n’exigent aucun effort. Les individus sont libres de se soucier de leurs affaires particulières et si les affaires communes demandent trop de leur temps, ils les abandonnent volontiers au soin de l’Etat.

« Lorsque le goût des jouissances matérielles se développe chez un de ces peuples plus rapidement que les lumières et que les habitudes de la liberté, il vient un moment où les hommes sont emportés et comme hors d’eux-mêmes, à la vue de ces biens nouveaux qu’ils sont prêts à saisir. Préoccupés du seul soin de faire fortune, ils n’aperçoivent plus le lien étroit qui unit la fortune particulière de chacun d’eux à la prospérité de tous. Il n’est pas besoin d’arracher à de tels citoyens les droits qu’ils possèdent; ils les laissent volontiers échapper eux-mêmes.

L’exercice de leurs devoirs politiques leur paraît un contretemps fâcheux qui les distrait de leur industrie. S’agit-il de choisir leurs représentants, de prêter main-forte à l’autorité, de traiter en commun la chose commune, le temps leur manque; ils ne sauraient dissiper ce temps si précieux en travaux inutiles. Ce sont là jeux d’oisifs qui ne conviennent point à des hommes graves et occupés des intérêts sérieux de la vie. Ces gens-là croient suivre la doctrine de l’intérêt, mais ils ne s’en font qu’une idée grossière, et, pour mieux veiller à ce qu’ils nomment leurs affaires, ils négligent la principale qui est de rester maîtres d’eux-mêmes. » (D.A. II, p.176)

C’est en ce sens, que l’individualisme est un danger pour la liberté politique, aux yeux de Tocqueville, car les hommes oublient que leur liberté n’est jamais totalement acquise et qu’elle doit être défendue. Les devoirs politiques des hommes démocratiques sont ce qui garantit la pérennité de la souveraineté du peuple et par devoirs politiques, Tocqueville n’entend pas seulement le fait de voter de temps à autre pour un représentant, mais le fait de participer à la vie commune par la participation aux institutions citoyennes : les jurys, les associations, la force publique…

En définitive, si les hommes démocratiques se désintéressent de la vie politique, Tocqueville prédit l’avènement d’une nouvelle forme de despotisme : un despotisme doux.

Un nouveau despotisme : le despotisme doux que craint Tocqueville

Le nouveau despotisme que redoute Tocqueville n’est pas le despotisme tel que Montesquieu le définissait. Il ne s’agit pas d’un pouvoir arbitraire faisant régner l’ordre par la crainte et la violence, mais d’un pouvoir absolu et doux. Le despotisme que doivent craindre les démocraties est celui d’un Etat qui petit à petit, profitant du désintérêt des citoyens pour la vie politique et de leur penchant à centraliser le pouvoir, étenderait son administration de manière à contrôler absolument tout.

« Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde : je vois une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. […] Au-dessus de ceux-là s’élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternel si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l’âge viril ; mais il ne cherche au contraire qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance. » (D.A. II, p. 385)

Selon Tocqueville, les citoyens des démocraties ont tendance à donner le pouvoir à l’Etat, car soucieux avant tout d’égalité, ils n’aiment pas avoir des supérieurs et préfèrent s’en remettre à l’Etat, seul apte à diriger des individus égaux. Ce nouveau despotisme est d’autant plus dangereux pour Tocqueville que n’étant pas violent, on ne le voit pas advenir et qu’on ne peut donc se révolter contre lui. L’Etat organiserait alors tout dans l’intérêt des citoyens, organisant à leur place leur bonheur, décourageant leurs actions par une multitudes de règles contraignantes, allant presque finalement, selon la formule de Tocqueville  jusqu’à leur « ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ». Ainsi, Tocqueville met en garde les citoyens des sociétés démocratiques contre leur amour de la tranquillité, s’ils ne restent pas vigilants, s’ils n’exercent pas effectivement leurs droits politiques alors ils risquent de se trouver tels des mineurs sous la tutel d’un Etat bienveillant, mais liberticide.

Néanmoins, si Tocqueville envisage qu’un tel despotisme puisse avenir, il ne s’agit pas d’une fatalité. Des solutions existent et c’est précisément dans le but de mettre au jour ces solutions que Tocqueville écrit De la démocratie en Amérique.

Solutions des problèmes selon Tocqueville

Si les sociétés démocratiques sont susceptibles de devenir despotiques pour Tocqueville, c’est notamment à cause de l’individualisme. En effet, le despotisme profite du désintéressement des citoyens pour les affaires communes pour les isoler. Une fois seul, le citoyen se trouve faible et démuni devant un Etat tutélaire et ne peut lui résister.

« L’égalité place les hommes à côté les uns des autres, sans lien commun qui les retienne. Le despotisme élève des barrières entre eux et les sépare. Elle les dispose à ne point songer à leurs semblables et il leur fait une sorte de vertu publique de l’indifférence. » (D.A. II, p. 131)

La grande sagesse des américains, aux yeux de Tocqueville, tient donc au fait qu’ils ont su lutter contre l’individualisme en forçant d’une certaine manière les citoyens à s’occuper des affaires communes. Il faut que les citoyens soient de temps à autre arrachés de leurs préoccupations strictement individuelles et amenés à sentir qu’ils dépendent aussi des autres. C’est pourquoi on a confié aux citoyens l’administration des petites affaires communes afin que chacun se rende compte qu’il existe un rapport entre les petites affaires publiques et ses plus grandes affaires privées. L’intérêt particulier et l’intérêt général sont liés. Ainsi, les américains ont de multiples façons faient en sorte que les citoyens développent des habitudes et des idées politiques et ce, en les incitant ou en les obligeant à prendre part à des institutions politiques.

Les habitudes politiques des américains

Si les américains sont encore libres, pour Tocqueville, c’est parce qu’ils ont su créer des liens entre les citoyens. Ceux-ci ne sont plus liés hiérarchiquement certes, mais ils s’unissent artificiellement dans des associations pour défendre des idées ou des pratiques. Le rôle des associations, qu’elles soient politiques ou civiles, est très important, aux yeux de Tocqueville, car d’une part elles permettent le développement d’intérêts communs et d’autre part, elles sont un contre-poids nécessaire au pouvoir de l’Etat. 

« Ce sont les associations qui, chez les peuples démocratiques, doivent tenir lieu des particuliers puissants que l’égalité des conditions a fait disparaître. Sitôt que plusieurs des habitants des États-Unis ont conçu un sentiment ou une idée qu’ils veulent produire dans le monde, ils se cherchent, et, quand ils se sont trouvés, ils s’unissent. Dès lors, ce ne sont plus des hommes isolés, mais une puissance qu’on voit de loin, et dont les actions servent d’exemple qui parle, et qu’on écoute. » (D.A. II, p.140-141)

Par ailleurs, selon Tocqueville, il faut absolument encourager le développement des associations notamment politiques car elles sont la condition du pluralisme et donc du maintien d’une démocratie effective. Ainsi, loin de considérer comme Rousseau que les associations peuvent être dangereuses, Tocqueville considère qu’elles sont nécessaires. Enfin, la pratique du jury permet d’inspirer aux citoyens l’habitude de se soucier de leurs droits et de les défendre. Chaque citoyen est susceptible d’être convoqué pour faire partie d’un jury et cette expérience participe à sa formation de citoyen.

« Le jury, et surtout le jury civil, sert à donner à l’esprit de tous les citoyens une partie des habitudes de l’esprit du juge; et ces habitudes sont précisément celles qui préparent le mieux le peuple à être libre. Il répand dans toutes les classes le respect pour la chose jugée et l’idée du droit. Ôtez ces deux choses, et l’amour de l’indépendance ne sera plus qu’une passion destructive. » (D.A. II, p.101)

Ces diverses institutions sont ainsi autant de moyens d’éduquer les citoyens afin qu’ils se sentent concernés par les affaires publiques et détenteurs de droits précieux garants de leur liberté.

A travers son étude de la démocratie en amérique, Tocqueville montre donc que l’égalisation des conditions et la disparition des rapports hiérarchiques de classes, ne va pas nécessairement de pair avec l’instauration d’un régime politique libre et démocratique. Les américains ne vivent en démocratie que parce qu’ils ont été capables de lutter contre certains effets de l’égalisation des conditions tels que l’individualisme et la soif de biens matériels. Pour Tocqueville, la démocratie ne saurait être réduite à une procédure comme l’élection, un peuple n’est pas libre parce qu’il élit des représentants ponctuellement, mais parce qu’il participe aux décisions, parce qu’il s’intéresse à l’intérêt général, parce qu’il a une vie politique. Sans cette vie politique, les citoyens ne sont que des individus isolés et faibles face à un Etat bientôt despotique. 

Epicure, dans La lettre à Ménécée, entend montrer que le bonheur dépend de nous et que l'on peut l'atteindre grâce à la philosophie.

Epicure : Le bonheur dépend-il de nous ?

Si l’on se réfère à l’étymologie, le bonheur semble d’abord lié à la chance. En effet, bonheur, vient de « heur » en ancien français qui signifie la chance ou la fortune. Le terme français « heur » vient lui-même du latin augurium qui signifie « augure », « présage ». Alors avoir le bon heur c’est avoir une bonne chance, être favorisé par les circonstances. En ce sens, le bonheur, que l’on peut d’abord définir comme un état durable de satisfaction, semble d’abord dépendre du hasard plutôt que de nous-mêmes et des actions que nous pourrions entreprendre pour y arriver. Cependant, Epicure, dans La lettre à Ménécée, s’oppose à cette thèse et entend montrer que le bonheur dépend de nous et que l’on peut l’atteindre grâce à la philosophie.

Le bonheur c’est le plaisir

Epicure, dans la Lettre à Ménécée, donne plusieurs recommandations pour atteindre le bonheur. A ses yeux, le bonheur c’est le plaisir, mais il faut ici faire attention aux contresens, car par plaisir Epicure entend la suppression de la douleur. Je vous rappelle qu’en philosophie préciser en quel sens on prend tel ou tel mot est très important (voir cet article) . Il ne s’agit donc pas de dire qu’il faut multiplier les plaisirs et que cela rendra heureux comme peut le faire un hédoniste. Au contraire, pour Epicure, on est heureux quand on ne souffre pas ! Il le dit en ces termes : « La santé du corps, la tranquillité de l’âme sont la perfection de la vie heureuse ». La question est donc de déterminer comment ne pas souffrir ni dans son corps ni dans son âme.

Epicure propose de limiter ses désirs pour être heureux

Pour Epicure, le désir peut être considéré comme un manque de quelque chose que l’on a pas encore, mais que l’on souhaite obtenir. Alors, le désir apparaît d’abord comme un manque, une douleur. Si l’on désire quelque chose de difficile à obtenir cela sera plus douloureux encore car nous ne sommes pas sûrs de l’atteindre ou cela va prendre du temps. C’est pourquoi, pour Epicure, le bonheur c’est l’absence de troubles dans l’âme. Si nous sommes perpétuellement inquiets car nous voulons absolument des biens de luxe et n’y arrivons pas alors nous ne sommes pas heureux. Atteindre le bonheur c’est donc d’abord limiter ses désirs pour ne garder que les désirs les plus simples à satisfaire. Il dit ainsi dans la Lettre à Ménécée : « C’est un grand bien à notre avis que de se suffire à soi-même, non qu’il faille toujours vivre de peu, mais afin que si l’abondance nous manque, nous sachions nous contenter du peu que nous aurons ».

Le bonheur c’est aussi l’absence de souffrance dans le corps

Par ailleurs, Epicure considère que pour être heureux, nous devons également atteindre l’absence de souffrance dans le corps (aponie en grec). Cela n’est possible que si nous menons une vie réglée sans faire trop d’excès. C’est donc faire un contresens sur Epicure que de penser qu’il invite à multiplier les plaisirs et désirs de toutes sortes et à vivre dans la débauche. Les plaisirs excessifs et l’intempérance conduisent à des douleurs et à des maladies. Ainsi, il dit : « Quand donc nous disons que le plaisir est le but de la vie, nous ne parlons pas des plaisirs des voluptueux inquiets, ni de ceux qui consistent dans les jouissances déréglées, ainsi que l’écrivent des gens qui ignorent notre doctrine, ou qui la combattent et la prennent dans un mauvais sens. Le plaisir dont nous parlons est celui qui consiste, pour le corps, à ne pas souffrir et, pour l’âme, à être sans trouble. »  

La classification des désirs d’Epicure

Epicure fût un ascète, il mène une vie austère en se contentant de peu. Il défend que le bonheur peut s’atteindre ainsi car celui qui ne souffre pas de ses excès et n’a pas l’âme troublée par des désirs futiles vit paisiblement. Cela suppose de distinguer entre les bons désirs qui vont pouvoir être satisfaits aisément et répondent à un besoin naturel et les mauvais désirs qui vont nous rendre malades et sont difficiles à satisfaire. Epicure considère alors qu’il nous faut renoncer à tous les désirs non naturels et non nécessaires comme par exemple manger des mets luxueux, pour préférer les désirs naturels et nécessaires, par exemple, manger simplement, boire, avoir un toit, philosopher…

Vous pouvez également écouter le podcast ici.

Le bonheur est-il un idéal inaccessible ?

Le bonheur est-il un idéal inaccessible ?

Qui n’a pas déjà eu le sentiment de vouloir le bonheur, de le rechercher mais sans savoir précisément ce qui le rendrait heureux ? Selon Kant, le bonheur est un idéal inaccessible car c’est une idée indéterminée c’est-à-dire que les hommes ont en général une idée très vague de ce qui pourrait faire leur bonheur si bien qu’ils n’ont aucun plan ni aucune méthode pour y parvenir.

🚀🚀🚀 Pour davantage de contenus et méthodes en vidéos consultez ma chaîne Youtube Apprendre la philosophie.

Pour Kant, le bonheur désigne « un maximum de bien-être dans mon état présent et dans toute ma condition future », le problème étant de déterminer ce qui nous permettra d’atteindre ce maximum de bien-être. Or, la tâche n’est pas simple car, selon lui, il n’y a pas de méthode générale que l’on pourrait appliquer pour être heureux. C’est en ce sens qu’il dit que « le bonheur est un idéal non de la raison, mais de l’imagination », nous n’avons pas de définition précise du bonheur et de la manière dont n’importe quel humain pourrait l’atteindre.

On pourrait lui objecter que pourtant de grandes sagesses comme par exemple le stoïcisme ou l’épicurisme donnent des règles de vie qui ont précisément pour but d’aider les hommes à être plus heureux. Limiter ses désirs et ne pas tomber dans la consommation à outrance n’est-ce pas une règle de vie intéressante quand on souhaite être heureux ?  Contrôler ses pensées et ne plus être négatif n’est-ce pas une bonne manière d’atteindre le bonheur ? A cela Kant répond que ces conseils et ces règles peuvent effectivement participer à nous rendre heureux mais qu’on ne peut pas être absolument sûr que nous serons heureux si nous les suivons car seule l’expérience pourra nous dire ce qui nous rendra réellement heureux.

Le bonheur est difficile à atteindre

En somme, pour Kant, il est très difficile d’atteindre le bonheur avec certitude car même si nous imaginons que quelque chose nous rendra heureux, il se pourrait que dans les faits cela nous procure plutôt de la souffrance.

On peut prendre comme exemple le personnage de Christopher dans le film Into The Wild. Christopher sait très bien ce qu’il ne veut pas, en l’occurrence, vivre dans le même bonheur matérialiste et consumériste que ses parents. Il considère que leur bonheur est une illusion et qu’ils ne sont pas réellement heureux car ils ne font que se conformer à l’idée que la société dans laquelle ils vivent se fait du bonheur et de la réussite. Ils sont donc uniquement préoccupés de renvoyer une image de réussite aux autres.

Mais sait-il pour autant ce qui le rendra heureux ? Il croit le savoir et choisit de partir loin de la société en pleine nature pour trouver le bonheur. Mais finalement il se rend compte que la vie en pleine nature qu’il avait idéalisée n’est pas complètement le bonheur non plus et finalement il meurt empoisonné car il a consommé des baies non comestibles.

L’argument de Kant est donc qu’en réalité l’homme étant un être fini et non omniscient, il ne peut pas prévoir toutes les conséquences qu’auront ses choix. De même, Chris ne pouvait pas prévoir que partir vivre seul dans la nature, le conduirait finalement à la mort.

On ne peut donc pour Kant être absolument sûr d’atteindre le bonheur. Néanmoins, même si l’on admet que nous ne pouvons pas être certains d’atteindre le bonheur, nous pouvons du moins chercher à l’atteindre en suivant les règles de vie qui font le bonheur du plus grand nombre des hommes le plus souvent. Ce que proposent de faire notamment des stoïciens comme Sénèque, Epictète, Marc Aurèle ou d’autres sages comme Epicure.

🚀🚀🚀 Pour plus de conseils de méthode et des fiches sur les grandes notions suivez-moi sur Instagram ici.

Texte de Kant :

«  Le concept de bonheur est un concept si indéterminé, que, malgré le désir qu’a tout homme d’arriver à être heureux, personne ne peut jamais dire en termes précis et cohérents ce que véritablement il désire et il veut. La raison en est que tous les éléments qui font partie du concept du bonheur sont dans leur ensemble empiriques, c’est-à-dire qu’ils doivent être empruntés à l’expérience, et que cependant pour l’idée du bonheur un tout absolu, un maximum de bien-être  dans mon état présent et dans toute ma condition future, est nécessaire. Or il est impossible qu’un être fini, si  perspicace et en même temps si puissant qu’on le suppose, se fasse un concept déterminé de ce qu’il veut ici véritablement. Veut-il la richesse ? Que de soucis, que d’envie, que de pièges ne peut-il pas par là attirer sur sa tête ! Veut-il beaucoup de connaissance et de lumières ? Peut-être cela ne fera-t-il que lui donner un regard plus pénétrant pour lui représenter d’une manière d’autant plus terrible les maux qui jusqu’à présent se dérobent encore  à sa vue et qui sont pourtant inévitables, ou bien que charger de plus de besoins encore ses désirs qu’il a déjà bien assez de peine à satisfaire. Veut-il une longue vie ? Qui lui répond que ce ne serait pas une longue souffrance ?  Veut-il du moins la santé ? Que de fois l’indisposition du corps a détourné d’excès où aurait fait tomber une santé parfaite, etc… Bref, il est incapable de déterminer avec une entière certitude d’après quelque principe ce qui le rendrait véritablement heureux : pour cela il lui faudrait l’omniscience. On ne peut donc pas agir, pour être heureux, d’après des principes déterminés, mais seulement d’après des conseils empiriques, qui recommandent, par exemple, un régime sévère, l’économie, la politesse, la réserve,  etc…,  toutes choses qui, selon les enseignements de l’expérience, contribuent en thèse générale pour la plus grande part au bien être. Il suit de là que les impératifs de la prudence, à parler exactement, ne peuvent commander en rien, c’est-à-dire représenter des actions de manière objective comme pratiquement nécessaires, qu’il faut les tenir plutôt pour des conseils (consilia) que pour des commandements (praecepta) de la raison : le problème qui consiste à déterminer de façon sûre et générale quelle action peut favoriser le bonheur d’un être raisonnable est un problème tout à fait insoluble ; il n’y a donc pas à cet égard d’impératif qui puisse commander, au sens strict du mot, de faire ce qui rend heureux, parce que le bonheur est un idéal non de la raison mais de l’imagination, fondé uniquement sur des principes empiriques, dont on attendrait vainement qu’ils puissent déterminer une action par laquelle serait atteinte la totalité d’une série de conséquences en réalité infinie. »

Kant, Fondements de la métaphysique de mœurs (1785)