Doit-on redouter ou se réjouir de l’avènement de la démocratie ? Le premier tome de De la démocratie en Amérique est publié en 1835. Il s’agit du compte rendu réfléchi du voyage aux Etats-Unis qu’accomplit Alexis de Tocqueville de mai 1831 à février 1832. Officiellement Tocqueville et son ami Beaumont doivent y examiner les institutions pénitentiaires américaines. C’est ce qu’ils feront, mais les questions qui occupent Tocqueville sont bien plus vastes. Ce voyage est d’abord le voyage d’un citoyen français qui voit son pays déchiré entre ceux qui redoutent l’avancée de la démocratie en France et ceux qui espèrent que la démocratie continue à progresser. Or, paradoxalement, aux yeux de Tocqueville, l’avènement de la démocratie et l’égalisation des conditions sont inévitables. L’enjeu n’est pas tant de déterminer si la démocratie adviendra que de savoir si celle-ci est compatible avec la liberté. Il part animé de cette question centrale : la démocratie peut-elle être un danger pour la liberté et notamment pour la liberté politique ? A première vue, cette interrogation semble paradoxale. Comment un régime que l’on peut définir comme le type d’organisation politique où c’est le peuple qui détient, ou qui contrôle, le pouvoir politique pourrait-il ne pas être compatible avec la liberté des citoyens ?
Il s’agit alors pour Tocqueville de montrer comment la démocratie, entendue d’abord d’un point de vue sociale dans le sens d’un état social où les conditions s’égalisent, pourrait, dans certaines conditions, conduire à une nouvelle forme de tyrannie ou à un genre nouveau de despotisme. Il se définit comme un éducateur politique qui doit montrer ce que l’on doit craindre de l’égalisation des conditions et du régime démocratique. Il entend précisément montrer à quelles conditions la démocratie restera compatible avec la liberté et cela implique de s’intéresser particulièrement aux institutions américaines et aux mœurs (idées, croyances, sentiments, habitudes) des américains. Néanmoins, il ne s’agit pas pour lui de proposer un modèle qu’il faudrait imiter scrupuleusement, mais de proposer une réflexion sur la démocratie dans le but d’instruire ses concitoyens français.
La nature de la démocratie
Dans l’œuvre de Tocqueville, le terme « démocratie » a deux significations différentes. Dans un premier sens, plus courant, il désigne par démocratie un type d’organisation politique dans laquelle c’est le peuple qui détient ou qui contrôle le pouvoir politique. Il s’agit donc du régime démocratique. En un second sens, beaucoup plus original, Tocqueville désigne par « démocratie » une certaine condition sociale ou un certain état de la société caractérisé par ce qu’il appelle « l’égalisation des conditions ». En effet, pour Tocqueville, on peut même dire que la démocratie c’est avant tout l’égalisation des conditions avant d’être un régime spécifique. Tout son propos dans De la démocratie en Amérique vise à étudier quelles sont les conséquences de l’égalisation des conditions sur les institutions politiques, les coutumes, les mœurs et les habitudes intellectuelles des citoyens. Il s’agit notamment de montrer que l’égalisation des conditions, donc la démocratie entendue comme état social, ne conduit pas nécessairement à l’instauration d’un régime démocratique où le peuple détient la souveraineté et où il se trouve donc libre politiquement.
L’égalisation des conditions n’est pas toujours compatible avec la liberté, elle peut aussi mener à la tyrannie, tel est l’enjeu. Selon lui, l’égalisation des conditions est inévitable et il suffit d’observer le mouvement de l’histoire pour constater qu’elle va en progressant constamment si bien que Tocqueville aperçoit dans ce triomphe de l’égalité l’expression d’une volonté divine. Mais, selon lui, l’homme reste néanmoins libre et il est de sa responsabilité de faire en sorte que l’égalité ne conduise pas à l’esclavage, mais à la liberté. Cela suppose de s’intéresser à certaines caractéristiques notables de l’état social démocratique qui sont des conséquences de l’égalisation des conditions : l’individualisme, la soif de conforts matériels et l’adoucissement des mœurs.
L’individualisme selon Tocqueville
Dans la société démocratique, les relations hiérarchiques fixes entre les classes (noblesse, bourgeoisie, ouvriers) et les fortes inégalités caractéristiques de la société aristocratique ont disparu. La propriété a été divisée et égalisée. Cela a des conséquences extrêmement positives, car chaque individu sans distinction de classe peut prétendre à se réaliser socialement, intellectuellement ou encore politiquement. Chaque individu cherche en lui-même ses opinions et croyances et refuse de se soumettre à un autre. Mais, selon Tocqueville, cela a aussi des conséquences plus ennuyeuses, car, paradoxalement, l’égalisation des conditions dissout le lien entre les individus au lieu de les rapprocher.
« L’individualisme est un sentiment réfléchi et paisible qui dispose chaque citoyen à s’isoler de la masse de ses semblables et à se retirer à l’écart avec sa famille et ses amis ; de telle sorte que, après s’être ainsi crée une petite société à son usage, il abandonne volontiers la grande société à elle-même. […] L’individualisme est d’origine démocratique, et il menace de se développer à mesure que les conditions s’égalisent. » (DA, II, 2, chap.2, p. 125)
En effet, chaque individu se considére comme l’égal de son voisin et n’a pas de compte social et politique à rendre à un membre d’une classe hiérarchiquement supérieure ou inférieure. De ce fait les liens sociaux du Moyen Âge sont rompus. Une des tâches majeures de la société démocratique est donc de recréer des liens entre les individus afin de remplacer les liens hiérarchiques perdus, car sans cela il n’y a plus une société, mais une multitude de petites sociétés privées. Nous verrons que cette tendance à l’individualisme peut devenir un danger pour la démocratie aux yeux de Tocqueville.
La soif pour le confort matériel
Dans la société démocratique, on voit également apparaître selon Tocqueville, un attrait prononcé pour les conforts matériels. En effet, dans la société aristocratique, les différences de bien-être matériel n’étaient pas mises en question, chacun en fonction de sa classe trouvait sa situation normale, car c’était là un ordre social solidement ancré dans les mentalités. Au contraire, dans la société démocratique, chacun sait pouvoir améliorer sa condition et s’en préoccupe presque exclusivement car il n’a plus d’obligation envers les nobles ou l’église. Si l’on peut se féliciter de cette égalisation des conditions, dans le même temps, Tocqueville craint que les individus adoptent ce qu’il appelle un « matérialisme honnête », c’est-à-dire qu’ils en viennent à ne plus se préoccuper que des plaisirs matériels et à se désintéresser de toutes affaires politiques par exemple. Plus encore, il redoute que ces plaisirs restent de petits plaisirs dénués de passion et d’ambition.
« Ce que je reproche à l’égalité, ce n’est pas d’entraîner les hommes à la poursuite de jouissances défendues ; c’est de les absorber entièrement dans la recherche des jouissances permises. Ainsi il pourrait bien s’établir dans le monde une sorte de matérialisme honnête qui ne corromprait pas les âmes, mais qui les amollirait et finirait par détendre sans bruit tous leurs ressorts. » (DA, II, 2, chap.XI, p. 167)
En un sens, Tocqueville regrette qu’avec l’égalisation des conditions les grandes âmes au passions excessives et aux grandes idées ne disparaissent pour ne laisser qu’une masse de petits individus aux préoccupations médiocres. Ce faisant, il montre clairement sa préférence pour le caractère de l’homme aristocratique sur celui de l’homme démocratique et s’inquiète que le goût de l’homme démocratique pour le bien-être ne le pousse à accepter que l’on limite sa liberté pour peu qu’on ne mette pas en danger ses possessions matérielles. Néanmoins, il ne s’agit pas là d’une fatalité et nous verrons qu’il est possible, selon Tocqueville, de limiter ce penchant des peuples démocratiques.
Tocqueville produit donc une description détaillée de l’état social démocratique des américains. Il montre quelles sont les conséquences de l’égalisation des conditions sur les mœurs, habitudes, idées des américains. Or, ces nouvelles habitudes si elles ne sont pas néfastes en elles-mêmes peuvent néanmoins si on n’y prend pas garde présenter un risque pour la liberté et le maintien effectif d’un régime démocratique. L’égalisation des conditions pourrait, en définitive, présenter un danger pour la démocratie.
Les problèmes de la démocratie
Aux yeux de Tocqueville, la démocratie américaine ne parvient pas à éviter l’écueil de la tyrannie de la majorité. En effet, un des dangers de la démocratie consiste à croire qu’en donnant la souveraineté au peuple, on se garantit contre toute forme de tyrannie. Or, selon Tocqueville, la démocratie, si elle est le règne d’une majorité toute puissante, n’est rien d’autre qu’un régime tyrannique. Si la majorité peut tout imposer à la minorité alors il ne s’agit plus d’un régime libéral, c’est-à-dire respectueux de la liberté et des droits de chaque individu que celui-ci fasse partie de la majorité ou de la minorité.
« Lors donc que je vois accorder le droit et la faculté de tout faire à une puissance quelconque, qu’on appelle peuple ou roi, démocratie ou aristocratie, qu’on l’exerce dans une monarchie ou dans une république, je dis : là est le germe de la tyrannie, et je cherche à aller vivre sous d’autres lois. Ce que je reproche le plus au gouvernement démocratique, tel qu’on l’a organisé aux Etats-Unis, ce n’est pas sa faiblesse, mais au contraire sa force irrésistible. Et ce qui me répugne le plus en Amérique ce n’est pas l’extrême liberté qui y règne, c’est le peu de garantie qu’on y trouve contre la tyrannie. » (DA, I, 2, chap.VII, p. 350)
C’est pourquoi, pour Tocqueville, il faut que le gouvernement du peuple soit limité. Or, tel n’est pas le cas aux Etats-Unis car tous les pouvoirs émanent d’une manière ou d’une autre de la majorité. Non seulement le corps législatif représente la majorité, mais le pouvoir exécutif est lui aussi nommé par la majorité et les juges eux-mêmes sont, dans certains Etats, élus par la majorité. Afin de remédier à cela, Tocqueville, en fidèle lecteur de Montesquieu, suggère de distribuer les pouvoirs, c’est-à-dire de donner davantage d’indépendance au pouvoir exécutif et au pouvoir judiciaire vis-à-vis de la majorité. Il faudrait, selon lui, que ceux-ci ne soient pas dépendants de la majorité afin de pouvoir éventuellement s’opposer au pouvoir législatif si celui-ci prend des décisions néfastes pour les minorités.
Tocqueville s’inquiète donc du peu de garantie contre la tyrannie dans le système démocratique des Etats-Unis, mais plus encore, il redoute que les citoyens ne renoncent finalement à l’exercice de leurs droits politiques.
Les risques pour la liberté politique
Pour Tocqueville, la passion de l’homme démocratique pour l’égalité l’emporte sur toute autre, même sur celle pour la liberté. Ceci tient au fait que la liberté demande des efforts et de la vigilance alors que dans le même temps ses bienfaits peuvent passer inaperçus. En revanche, les bienfaits de l’égalité se font immédiatement sentir et n’exigent aucun effort. Les individus sont libres de se soucier de leurs affaires particulières et si les affaires communes demandent trop de leur temps, ils les abandonnent volontiers au soin de l’Etat.
« Lorsque le goût des jouissances matérielles se développe chez un de ces peuples plus rapidement que les lumières et que les habitudes de la liberté, il vient un moment où les hommes sont emportés et comme hors d’eux-mêmes, à la vue de ces biens nouveaux qu’ils sont prêts à saisir. Préoccupés du seul soin de faire fortune, ils n’aperçoivent plus le lien étroit qui unit la fortune particulière de chacun d’eux à la prospérité de tous. Il n’est pas besoin d’arracher à de tels citoyens les droits qu’ils possèdent; ils les laissent volontiers échapper eux-mêmes.
L’exercice de leurs devoirs politiques leur paraît un contretemps fâcheux qui les distrait de leur industrie. S’agit-il de choisir leurs représentants, de prêter main-forte à l’autorité, de traiter en commun la chose commune, le temps leur manque; ils ne sauraient dissiper ce temps si précieux en travaux inutiles. Ce sont là jeux d’oisifs qui ne conviennent point à des hommes graves et occupés des intérêts sérieux de la vie. Ces gens-là croient suivre la doctrine de l’intérêt, mais ils ne s’en font qu’une idée grossière, et, pour mieux veiller à ce qu’ils nomment leurs affaires, ils négligent la principale qui est de rester maîtres d’eux-mêmes. » (D.A. II, p.176)
C’est en ce sens, que l’individualisme est un danger pour la liberté politique, aux yeux de Tocqueville, car les hommes oublient que leur liberté n’est jamais totalement acquise et qu’elle doit être défendue. Les devoirs politiques des hommes démocratiques sont ce qui garantit la pérennité de la souveraineté du peuple et par devoirs politiques, Tocqueville n’entend pas seulement le fait de voter de temps à autre pour un représentant, mais le fait de participer à la vie commune par la participation aux institutions citoyennes : les jurys, les associations, la force publique…
En définitive, si les hommes démocratiques se désintéressent de la vie politique, Tocqueville prédit l’avènement d’une nouvelle forme de despotisme : un despotisme doux.
Un nouveau despotisme : le despotisme doux que craint Tocqueville
Le nouveau despotisme que redoute Tocqueville n’est pas le despotisme tel que Montesquieu le définissait. Il ne s’agit pas d’un pouvoir arbitraire faisant régner l’ordre par la crainte et la violence, mais d’un pouvoir absolu et doux. Le despotisme que doivent craindre les démocraties est celui d’un Etat qui petit à petit, profitant du désintérêt des citoyens pour la vie politique et de leur penchant à centraliser le pouvoir, étenderait son administration de manière à contrôler absolument tout.
« Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde : je vois une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. […] Au-dessus de ceux-là s’élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternel si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l’âge viril ; mais il ne cherche au contraire qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance. » (D.A. II, p. 385)
Selon Tocqueville, les citoyens des démocraties ont tendance à donner le pouvoir à l’Etat, car soucieux avant tout d’égalité, ils n’aiment pas avoir des supérieurs et préfèrent s’en remettre à l’Etat, seul apte à diriger des individus égaux. Ce nouveau despotisme est d’autant plus dangereux pour Tocqueville que n’étant pas violent, on ne le voit pas advenir et qu’on ne peut donc se révolter contre lui. L’Etat organiserait alors tout dans l’intérêt des citoyens, organisant à leur place leur bonheur, décourageant leurs actions par une multitudes de règles contraignantes, allant presque finalement, selon la formule de Tocqueville jusqu’à leur « ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ». Ainsi, Tocqueville met en garde les citoyens des sociétés démocratiques contre leur amour de la tranquillité, s’ils ne restent pas vigilants, s’ils n’exercent pas effectivement leurs droits politiques alors ils risquent de se trouver tels des mineurs sous la tutel d’un Etat bienveillant, mais liberticide.
Néanmoins, si Tocqueville envisage qu’un tel despotisme puisse avenir, il ne s’agit pas d’une fatalité. Des solutions existent et c’est précisément dans le but de mettre au jour ces solutions que Tocqueville écrit De la démocratie en Amérique.
Solutions des problèmes selon Tocqueville
Si les sociétés démocratiques sont susceptibles de devenir despotiques pour Tocqueville, c’est notamment à cause de l’individualisme. En effet, le despotisme profite du désintéressement des citoyens pour les affaires communes pour les isoler. Une fois seul, le citoyen se trouve faible et démuni devant un Etat tutélaire et ne peut lui résister.
« L’égalité place les hommes à côté les uns des autres, sans lien commun qui les retienne. Le despotisme élève des barrières entre eux et les sépare. Elle les dispose à ne point songer à leurs semblables et il leur fait une sorte de vertu publique de l’indifférence. » (D.A. II, p. 131)
La grande sagesse des américains, aux yeux de Tocqueville, tient donc au fait qu’ils ont su lutter contre l’individualisme en forçant d’une certaine manière les citoyens à s’occuper des affaires communes. Il faut que les citoyens soient de temps à autre arrachés de leurs préoccupations strictement individuelles et amenés à sentir qu’ils dépendent aussi des autres. C’est pourquoi on a confié aux citoyens l’administration des petites affaires communes afin que chacun se rende compte qu’il existe un rapport entre les petites affaires publiques et ses plus grandes affaires privées. L’intérêt particulier et l’intérêt général sont liés. Ainsi, les américains ont de multiples façons faient en sorte que les citoyens développent des habitudes et des idées politiques et ce, en les incitant ou en les obligeant à prendre part à des institutions politiques.
Les habitudes politiques des américains
Si les américains sont encore libres, pour Tocqueville, c’est parce qu’ils ont su créer des liens entre les citoyens. Ceux-ci ne sont plus liés hiérarchiquement certes, mais ils s’unissent artificiellement dans des associations pour défendre des idées ou des pratiques. Le rôle des associations, qu’elles soient politiques ou civiles, est très important, aux yeux de Tocqueville, car d’une part elles permettent le développement d’intérêts communs et d’autre part, elles sont un contre-poids nécessaire au pouvoir de l’Etat.
« Ce sont les associations qui, chez les peuples démocratiques, doivent tenir lieu des particuliers puissants que l’égalité des conditions a fait disparaître. Sitôt que plusieurs des habitants des États-Unis ont conçu un sentiment ou une idée qu’ils veulent produire dans le monde, ils se cherchent, et, quand ils se sont trouvés, ils s’unissent. Dès lors, ce ne sont plus des hommes isolés, mais une puissance qu’on voit de loin, et dont les actions servent d’exemple qui parle, et qu’on écoute. » (D.A. II, p.140-141)
Par ailleurs, selon Tocqueville, il faut absolument encourager le développement des associations notamment politiques car elles sont la condition du pluralisme et donc du maintien d’une démocratie effective. Ainsi, loin de considérer comme Rousseau que les associations peuvent être dangereuses, Tocqueville considère qu’elles sont nécessaires. Enfin, la pratique du jury permet d’inspirer aux citoyens l’habitude de se soucier de leurs droits et de les défendre. Chaque citoyen est susceptible d’être convoqué pour faire partie d’un jury et cette expérience participe à sa formation de citoyen.
« Le jury, et surtout le jury civil, sert à donner à l’esprit de tous les citoyens une partie des habitudes de l’esprit du juge; et ces habitudes sont précisément celles qui préparent le mieux le peuple à être libre. Il répand dans toutes les classes le respect pour la chose jugée et l’idée du droit. Ôtez ces deux choses, et l’amour de l’indépendance ne sera plus qu’une passion destructive. » (D.A. II, p.101)
Ces diverses institutions sont ainsi autant de moyens d’éduquer les citoyens afin qu’ils se sentent concernés par les affaires publiques et détenteurs de droits précieux garants de leur liberté.
A travers son étude de la démocratie en amérique, Tocqueville montre donc que l’égalisation des conditions et la disparition des rapports hiérarchiques de classes, ne va pas nécessairement de pair avec l’instauration d’un régime politique libre et démocratique. Les américains ne vivent en démocratie que parce qu’ils ont été capables de lutter contre certains effets de l’égalisation des conditions tels que l’individualisme et la soif de biens matériels. Pour Tocqueville, la démocratie ne saurait être réduite à une procédure comme l’élection, un peuple n’est pas libre parce qu’il élit des représentants ponctuellement, mais parce qu’il participe aux décisions, parce qu’il s’intéresse à l’intérêt général, parce qu’il a une vie politique. Sans cette vie politique, les citoyens ne sont que des individus isolés et faibles face à un Etat bientôt despotique.