Hannah Arendt

Faut-il être un monstre pour faire le mal ? Hannah Arendt

Hannah Arendt, la banalité du mal

Hannah Arendt, philosophe et reporter du XXe siècle, a suivi le procès d’Adolph Eichmann, officier nazi et responsable de la mise en place de la « solution finale ». Philosophe juive réfugiée aux États-Unis pour échapper aux nazis avant la seconde guerre, elle couvre le procès pour le journal The New Yorker.

Hannah Arendt se dit alors frappée par la personnalité de ce criminel qu’elle décrit comme « tout à fait ordinaire ». « Les actes étaient monstrueux, mais le responsable (…) était tout à fait ordinaire, comme tout le monde, ni démoniaque ni monstrueux. ». Ce qui surprend Hannah Arendt c’est que l’on pourrait s’attendre à juger un monstre tant les actes commis sont terribles. Et pourtant, elle remarque qu’il ne semble pas particulièrement mauvais, il n’est pas le diable, mais un individu qui se présente comme ayant juste cherché à bien faire son travail.

C’est alors qu’Hannah Arendt va avancer l’idée de « banalité du mal » qui va faire scandale car les conséquences de la thèse de Arendt sont assez terrifiantes. En effet, si Eichmann était quelqu’un de banal alors cela signifie que ses actes auraient pu être commis par n’importe qui et qu’il n’est pas le démon incarné que veulent voir les journaux.

Mais comment expliquer cela ? Comment expliquer qu’un individu banal ou ordinaire en vienne à commettre de tels crimes ? Hannah Arendt fait alors l’hypothèse que ses actes s’expliquent par un « manque de pensée, signe d’une conscience éteinte ». Selon elle, Eichmann n’est pas un monstre ou un génie du mal, mais simplement il a renoncé à penser par lui-même et se contente de bien faire ce qu’on lui dit de faire. Il se met pour ainsi dire dans une posture d’exécutant et croit renoncer à la responsabilité de ses actes en la rejetant sur ceux qui décident ou ceux qui donnent les ordres.

C’est en cela que la thèse de Hannah Arendt fait scandale à son époque car cela signifie que tout individu qui se soumet à un système ou à un leader en renonçant à réfléchir sur le caractère bon ou mauvais de ce qu’on lui demande de faire peut en venir à commettre des crimes atroces.

A cela il faut ajouter, comme le dit Catherine Vallée dans le second texte ci-dessous, que tout est fait dans le système nazi pour que l’individu puisse ne pas prendre conscience de ce qu’il est réellement en train de faire. D’une part, aucun individu ne commet le crime « à lui tout seul », il ne fait que prendre part à un processus. Il n’a qu’une petite tâche à faire dans ce processus, ce qui lui permet de se cacher sa propre responsabilité car « il n’a fait que conduire le train ». Le système de la solution finale est ainsi un système où l’on morcelle les tâches afin que chaque individu se sente moins responsable et ce, d’autant plus, que son action ne demande pas une expertise particulière. S’il ne le fait pas, n’importe qui d’autre peut le faire à sa place.

Par ailleurs, un autre moyen de dissimuler l’horreur de ce qui est fait consiste à maîtriser le vocabulaire. L’expression « Solution finale » est un bon exemple de cela, rien ne laisse penser que par solution finale, il faut entendre extermination des juifs. De mêmes, dans le vocabulaire administratif, il n’est pas question de cadavre mais de « pièces » et comme la plupart des individus qui participent au processus ne voient pas les exécutions, ils peuvent se cacher la vérité.

Si vous voulez davantage de contenus sur le thème de la morale, vous pouvez consulter cette page.

Texte de Arendt :

« Tout a commencé quand j’ai assisté au procès Eichmann à Jérusalem. Dans mon rapport, je parle de la « banalité du mal ». Le mal, on l’apprend aux enfants, relève du démon ; il s’incarne en Satan (qui « tombe du ciel comme un éclair » (saint Luc, 10,18), ou Lucifer, l’ange déchu dont le péché est l’orgueil (« orgueilleux comme Lucifer »), cette superbia dont seuls les meilleurs sont capables : ils ne veulent pas servir Dieu ils veulent être comme Lui.  […] Cependant, ce que j’avais sous les yeux, bien que totalement différent, était un fait indéniable. Ce qui me frappait chez le coupable, c’était un manque de profondeur évident, et tel qu’on ne pouvait faire remonter le mal incontestable qui organisait ses actes jusqu’au niveau plus profond des racines ou des motifs. Les actes étaient monstrueux, mais le responsable – tout au moins le responsable hautement efficace qu’on jugeait alors – était tout à fait ordinaire, comme tout le monde, ni démoniaque ni monstrueux. Il n’y avait en lui trace ni de convictions idéologiques solides, ni de motivations spécifiquement malignes, et la seule caractéristique notable qu’on décelait dans sa conduite, passée ou bien manifeste au cours du procès et au long des interrogatoires qui l’avaient précédé, était de nature entièrement négative : ce n’était pas de la stupidité, mais un manque de pensée. Dans le cadre du tribunal israélien et de la procédure carcérale, il se comportait aussi bien qu’il l’avait fait sous le régime nazi mais, en présence de situations où manquait ce genre de routine, il était désemparé, et son langage bourré de clichés produisait à la barre, comme visiblement autrefois, pendant sa carrière officielle, une sorte de comédie macabre. Clichés, phrases toute faites, codes d’expression standardisés et conventionnels ont pour fonction reconnue, socialement, de protéger de la réalité, c’est-à-dire des sollicitations que faits et événements imposent à l’attention, de par leur existence même. On serait vite épuisé à céder sans cesse à ces sollicitations ; la seule différence entre Eichmann et le reste de l’humanité est que, de toute évidence, il les ignorait totalement. » Hannah Arendt, La Vie de l’esprit, p.20-21

« Eichmann ne s’approprie jamais ce qu’il dit, il ne parle pas, il répète les paroles des autres. […] La langue de bois de l’administration contribue ainsi à priver Eichmann de la conscience de ses actes. Les « règles de langage » servent essentiellement à protéger les meurtriers contre la réalité de leurs meurtres lorsque Eichmann s’occupe de la « solution finale du problème juif » (et non de l’extermination), de la comptabilisation des « pièces » (et non de celle des cadavres), il n’est pas plus affecté par ce qu’il fait que par un ordinaire travail de bureau. […] Le « crime de bureau » est donc rendu possible par l’absence de proximité physique entre le bourreau et ses victimes, ainsi que par le transfert de la responsabilité sur une autorité reconnue. C’est le triomphe d’une raison technicienne ou gestionnaire qui agence des moyens sans jamais se préoccuper des fins : « Comment gérer la solution finale ? » et jamais : « Cette dernière a-t-elle un sens ?»

La banalité du mal désigne donc l’incapacité d’être affecté par ce qu’on fait, le refus de juger, de prendre un parti à ses risques, à ses frais. C’est, enfin, une cruelle absence d’imagination. L’imagination n’est pas seulement la faculté par laquelle on se représente les choses absentes, mais cette aptitude du cœur à se mettre à la place des autres. Or c’est bien cela qu’Eichmann ne fait jamais.  […] Ainsi Eichmann n’a jamais présent devant les yeux les autres qu’il devrait pourtant se représenter: « Plus on l’écoutait, plus on se rendait à l’évidence que son incapacité à s’exprimer était étroitement liée à son incapacité à penser, à penser notamment du point de vue d’autrui. Il était impossible de communiquer avec lui, non parce qu’il mentait, mais parce qu’il s’entourait de mécanismes de défense extrêmement efficaces contre les mots d’autrui, la présence d’autrui et, partant, contre la réalité même » (Eichmann à Jérusalem, p. 61). »

Catherine Vallée, Hannah Arendt. Socrate et la question du totalitarisme

Exemple d'introduction de dissertation

Exemple d’introduction de dissertation de philosophie

Dans cet article, je vais vous donner un exemple d’introduction de dissertation de philosophie. Le but est que vous compreniez bien la démarche et les différentes étapes à suivre pour arriver au résultat final.

Petit rappel : votre introduction une fois rédigée doit être composée dans l’ordre d’une accroche, d’une problématique incluant une première définition des termes du sujet, d’un rappel du sujet et d’une annonce de plan.

Je vous invite à aller regarder ma vidéo sur comment bien commencer sa dissertation de philosophie si vous ne l’avez pas vu, ou vous pouvez lire la méthode si vous préférez.

Nous allons voir un exemple d’introduction de dissertation avec le sujet : « Un homme libre est-il nécessairement heureux ? ».

Donc première chose à faire : analyser le sujet. Cela signifie que vous devez le décomposer en partie et comprendre le sens de chacune de ces parties. Les éléments les plus identifiables sont les termes qui renvoient à des grandes notions du programme, ici heureux qui renvoie à la notion de bonheur et libre pour la notion de liberté.

Pour ces termes vous devez avoir plusieurs sens possibles en tête. Ici on peut définir le bonheur comme un état de satisfaction durable et global qui provient d’un jugement sur notre existence en générale. Mais  vous pourriez également penser à la définition d’Épicure qui définit le bonheur comme une absence de souffrance dans le corps et d’inquiétude dans l’âme. Ou encore à la conception du bonheur du personnage de Calliclès dans le Gorgias de Platon qui considère qu’être heureux c’est désirer toujours davantage et remplir sa vie de plaisirs.

Puis il faut faire la même chose avec la liberté : Etre libre cela peut d’abord signifier avoir la :

Liberté d’action : c’est-à-dire avoir la possibilité d’aller où on le souhaite sans être contraint par une force physique.

ou avoir le

Libre arbitre : c’est-à-dire avoir la possibilité de choisir entre une chose et son contraire sans être influencé.

Mais la liberté cela peut aussi être

l’Autonomie : c’est-à-dire être capable de se donner ses propres règles sans avoir à suivre les ordres d’un autre.

ou encore être

Maitre de soi-même : c’est-à-dire être capable de ne pas céder à certains de ses désirs ou certaines de ses passions s’ils ne sont pas bons pour nous.

Enfin, il vous faut également préciser le sens des autres éléments du sujet. Ici « nécessairement » signifie que c’est la seule possibilité, un homme libre sera toujours heureux : cela ne peut pas être autrement.

Une fois que vous avez fait cela au brouillon, vous avez normalement des éléments, pour formuler le problème du sujet. Je vous rappelle que le but premier de l’introduction de philo est de montrer que la réponse au sujet n’est pas évidente et qu’elle va faire problème c’est-à-dire que l’on va pouvoir débattre sur ce sujet et que des réponses vont s’opposer.

Formuler le problème du sujet

Donc : il faut vous demander quelles sont les différentes réponses possibles au sujet ? en quoi s’opposent elles ? et comment peut-on les justifier ?

Le sujet est  un homme libre est-il nécessairement heureux ?

De manière assez simple, les deux réponses les plus évidentes sont d’abord :

– oui un homme libre est nécessairement heureux

– et non il semble qu’un homme libre ne soit pas nécessairement heureux.

Donc dans un premier temps vous avez vos deux réponses possibles, et vous vérifiez bien qu’elles s’opposent. Mais ça n’est pas tout à fait suffisant car en philosophie vous devez toujours justifier ce que vous dites. Vous allez donc maintenant chercher à justifier ces réponses de préférence en utilisant des arguments définition car ainsi vous définissez les termes du sujet tout en formulant la problématique.

Je vous rappelle que le deuxième objectif de l’introduction est de commencer à définir les termes.

Utiliser les définitions

Vous allez donc maintenant utiliser les définitions que vous avez trouvé dans l’analyse du sujet.

Vous reprenez vos deux réponses possibles et vous les justifiez : cela donne : oui, on peut penser qu’un homme libre est nécessairement heureux car si être libre cela signifie pouvoir faire ce que l’on souhaite sans contrainte et avoir la possibilité de faire des choix alors être libre nous permettra sans doute d’agir de manière à atteindre un état de satisfaction durable et global.

Puis vous cherchez à justifier la thèse opposée : non, il semble qu’un homme libre ne sera pas nécessairement heureux car même si nous pouvons faire des choix, cela ne signifie pas pour autant que nous allons faire les bons choix. Alors être libre n’est pas une garantie d’atteindre le bonheur.

Une fois cela fait vous n’avez plus qu’à formuler votre problématique en commençant par la réponse qui pourrait sembler la plus évidente. On peut parler de l’opinion commune.

Cela donne donc : A première vue, il semble qu’un homme libre est nécessairement heureux car si être libre cela signifie pouvoir faire ce que l’on souhaite sans contrainte et avoir la possibilité de faire des choix alors être libre nous permettra sans doute d’agir de manière à atteindre un état de satisfaction durable et global. Mais, ne pourrait-on dire au contraire qu’un homme libre n’atteindra pas toujours le bonheur car nous pouvons très bien être libre de faire des choix et pourtant faire de mauvais choix qui vont nous conduire au malheur.

Voilà vous avez fait le plus gros morceau de votre introduction. Il faut ensuite faire un plan au brouillon pour pouvoir ensuite formuler votre annonce de plan à la fin de l’introduction.

Formuler le plan : exemple d’introduction de dissertation

Je ne vais pas rentrer dans les détails ici pour que ça ne soit pas trop long mais disons que vous devez faire trois parties et que ces parties doivent défendre des réponses opposées au sujet. Par exemple, il serait possible de faire un plan comme suit :

I) Un homme libre n’est pas nécessairement heureux car être libre de faire ce que l’on veut ne signifie pas toujours que l’on fait ce qui est bon pour nous.

II) Un homme libre est nécessairement heureux car l’autonomie et la maîtrise de soi sont des garanties de bonheur.

III) La liberté peut être une source d’angoisse et ne garantit pas de ne pas faire d’erreur.

Une fois cela fait il ne vous reste plus qu’à faire une accroche (c’est facultatif mais mieux si vous y arrivez) en prenant un exemple ou une citation qui correspond au sujet. Sur ce point je vous conseille de regarder ma vidéo sur l’accroche si vous ne l’avez pas vu.

Et voilà à présent, vous rédigez en remettant tous les éléments dans l’ordre :

  • Accroche
  • Problématique avec définition des termes
  • Rappel du sujet
  • Annonce de plan.

Exemple d’introduction de dissertation rédigé :

Cela va donc donner :

Dans la pièce Le Cid de Corneille, le personnage principal Don Rodrigue est face à un dilemme : choisir entre son devoir de sauvegarder l’honneur de sa famille et le fait de poursuivre son bonheur. Il choisit finalement de faire son devoir en tuant le père de Chimène sa bien-aimé mais semble renoncer ainsi à son bonheur. Peut-on alors réellement dire que la liberté rend toujours heureux ? A première vue, il semble qu’un homme libre est nécessairement heureux car si être libre cela signifie pouvoir faire ce que l’on souhaite sans contrainte et avoir la possibilité de faire des choix alors être libre nous permettra sans doute d’agir de manière à atteindre un état de satisfaction durable et global. Mais, ne pourrait-on dire au contraire qu’un homme libre n’atteindra pas toujours le bonheur ? En effet, nous pouvons très bien être libre de faire des choix et pourtant faire de mauvais choix qui vont nous conduire au malheur. Nous allons donc nous demander si un homme libre est nécessairement heureux ? Dans un premier temps, nous verrons qu’un homme libre n’est pas nécessairement heureux car être libre de faire ce que l’on veut ne signifie pas toujours que l’on fait ce qui est bon pour nous. Puis, nous nous demanderons si l’autonomie et la maîtrise de soi ne sont pas des garanties de bonheur. Enfin, nous envisagerons que la liberté peut être une source d’angoisse et ne garantit pas de ne pas faire d’erreur.

Voilà pour cet exemple d’introduction de dissertation philosophique. J’espère qu’elle vous aidera à mieux comprendre ce que l’on attend de vous.

Marx

Le travail rend-il heureux ? (Marx)

Bonjour, bienvenue dans cette vidéo d’Apprendre la philosophie, dans cet épisode je vais envisager la réponse de Marx au sujet : « le travail rend-il heureux ?

Marx est un philosophe, historien et économiste allemand du 19e siècle particulièrement connu comme l’auteur du Manifeste du parti communiste qu’il rédige avec Friedrich Engels. Il est également l’auteur d’une oeuvre très riche dont une des pièces centrales est sans doute Le Capital.

Pour Marx le travail n’est pas une mauvaise chose en soi, il reconnait même que c’est quelque chose qui distingue les hommes des animaux. Un travail qui permet à l’humain de développer et d’utiliser ses facultés humaines comme sa raison, son imagination ou son libre arbitre est un travail qui améliore l’homme ou du moins qui lui permet d’être réellement humain.

Le problème vient du type de travail et des conditions de travail qui sont données aux êtres humains. Marx écrit au 19e siècle au moment de la révolution industrielle notamment et il critique le travail à l’usine ou à la chaîne car il s’agit d’un travail qui déshumanise l’homme. Alors le travail rend-il heureux ?

Marx parle d’aliénation du travail

Selon Marx, l’homme est mutilé par la division des tâches excessive c’est-à-dire s’il est amené à effectuer dans son travail un très petit nombre de tâches ou de mouvements de manière répétitive et mécanique. Or, cette spécialisation des tâches ne fait que s’accentuer avec la mécanisation. Nous sommes en effet passés de l’artisanat où un artisan réalise un objet du début à la fin, au modèle de l’usine où le travailleur ne fait plus qu’un ou deux éléments de l’objet final. Cette progression de la division des tâches culmine avec le travail à la chaîne où le travailleur effectue un seul geste répétitif entouré de machines qui amènent à lui l’objet. La tâche est de plus en plus simple, les gestes de plus en plus décomposés et mécaniques. L’homme est alors intégré à la machine et il perd ici son humanité.

C’est alors que Marx parle d’aliénation du travail car alors l’homme devient « autre ». Le terme aliénation est construit à partir du latin alienus qui signifie l’autre ou l’étranger. Alors être aliéné ou subir une aliénation c’est devenir étranger à soi-même. Pour Marx, dès lors que le travailleur ne peut plus développer et épanouir ses capacités proprement humaines telles que l’imagination, la raison, le libre arbitre, dans son travail, alors il devient une machine. Cette forme de travail rend l’homme tel un automate, il le rend stupide. On voit un bon exemple de cette folie que le travail à la chaîne produit dans les Temps modernes de Charlie Chaplin.

Le travailleur est dépossédé du fruit de son travail

Par ailleurs, comme les tâches à effectuer sont de plus en plus standardisées et répétitives, le travailleur ne se sent plus l’auteur de son ouvrage, il perd la satisfaction de son travail car il n’en a fait qu’une infime partie et n’y a pas mis de créativité ou d’habileté particulière. C’est pourquoi Marx dit que l’ouvrier est également dépossédé du fruit de son travail. Il n’en tire plus de fierté d’une part et d’autre part, il n’en est plus le propriétaire. En effet, les propriétaires du résultat de son travail sont ceux qui possèdent les moyens de production c’est-à-dire les machines et le capital.

Le travailleur est alors pour finir exploité car comme son travail est peu qualifié et demande peu d’expertise, il est rémunéré un minimum c’est-à-dire selon Marx, juste assez pour qu’il puisse reconstituer sa force de travail et retourner au travail le lendemain. L’ouvrier touche alors juste assez pour avoir un toit et se nourrir. C’est pourquoi, selon Marx, tout ce qui faisait l’humanité du travailleur disparaît. Il est réduit à l’état animal non seulement pendant son travail qu’il subit mais aussi dans sa vie hors de son travail qui se réduit pour une bonne part à être la reconstitution de sa force de travail.

La valeur d’échange du travail diminue car il requiert de moins en moins de compétence et le produit du travail est tellement morcelé que le travailleur ne peut plus ni y imprimer quoi que ce soit de lui-même, ni s’y reconnaître. Non seulement il ne l’humanise plus mais il l’abrutit. Il n’est plus une manifestation de la vie mais un simple moyen d’existence, un travail forcé que l’on fait uniquement pour gagner sa vie.

Il est évident que dans ces conditions le travailleur ne peut pas tirer son bonheur de son travail, c’est plutôt le contraire, son travail fait son malheur.

Voilà pour cet épisode j’espère qu’il vous aura aidé à comprendre un peu la pensée de Marx sur le travail et à traiter la question : le travail rend-il heureux ? Si vous voulez davantage de contenu sur le thème du travail ou du bonheur, je vous invite à consulter cette page.

Très bonne journée à vous

Commencer la philosophie

Conseils et lectures pour débuter la philosophie

Débuter la philosophie tout seul peut s’avérer difficile car, disons le, beaucoup de textes de philosophie sont difficiles d’accès de part leur langue ou parce qu’il est nécessaire de comprendre plus généralement de quel problème il est question avant de pouvoir bien comprendre ce que dit l’auteur et pourquoi.

Afin de vous aider, je vais vous donner quelques conseils. Il y a plusieurs possibilités selon vos goûts et vos aptitudes de départ pour débuter la philosophie.

➡️ Si vous êtes étudiant, en 1er, terminale ou prépa et que vous voulez apprendre à réussir votre dissertation ou votre explication de texte en philosophie, je vous conseille de lire mon livre. Vous pouvez le demander ici gratuitement.

➡️ Si vous n’êtes plus étudiant mais néanmoins curieux de découvrir la philosophie, je vous invite à vous inscrire ici pour recevoir les épisodes de mon podcast pour débuter la philosophie.

Débuter la philosophie avec des livres généraux

Une première possibilité consiste à lire des ouvrages généraux sur l’histoire de la philosophie ou qui envisagent un peu tous les thèmes que l’on peut voir au programme de Terminale en philosophie. Vous pouvez également regarder des vidéos sur Youtube par exemple.

Voici quelques ouvrages que je trouve accessibles pour un débutant :

  • Apprendre à vivre, Tome 1 : Traité de philosophie à l’usage des jeunes générations, de Luc Ferry
  • Présentations de la philosophie, André Comte-Sponville,

Pour vous familiariser avec des thèmes et thèses de manière plus ludique :

  • La Playlist des philosophes – Marianne Chaillan
  • Le monde de sophie, Jostein Gaarder
Commencer la philosophie
Commencer la philosophie

Choisir un thème en particulier

Une autre façon d’entrer dans la philosophie est sans doute de commencer par un thème qui nous attire. Peut-être avez-vous un intérêt particulier pour les questions liées au bonheur ou à la liberté. Vous vous intéressez alors plus spécifiquement à l’éthique ou à la philosophie pratique qui est cette partie de la philosophie qui se demande comment il faut vivre. Peut-être êtes-vous plutôt intéressés par des thèmes comme la technique, le temps ou le langage.

Personnellement, quand j’ai commencé la philosophie en terminale, j’étais très intéressée par l’éthique et par la question du langage. Une des particularités de la philosophie c’est qu’elle parle de tout et qu’il y a de nombreux domaines distincts à l’intérieur de la philosophie. On peut faire de la philosophie sur l’art (l’esthétique), la liberté, le bonheur, le devoir (l’éthique), les sciences, la vérité (épistémologie), la politique, le langage, l’existence et le temps (la métaphysique)…..

Je vais vous donner quelques conseils en sachant que certains thèmes sont plus accessibles que d’autres.

L’éthique (liberté, bonheur, morale)

Un auteur contemporain accessible :

  • Ruwen Ogien, La panique morale
  • Ruwen Ogien, L’influence de l’odeur des croissants chauds sur la bonté humaine

Les stoïciens peuvent être une bonne entrée :

  • Sénèque, Lettres à Lucilius
  • Epictète, Manuel : pensées sur l’homme, la vie, le bonheur
  • Marc-Aurèle, Pensées pour moi-même

Mais également :

  • Alain, Propos sur le bonheur
  • Epicure, Lettre à Ménécée

La conscience/L’inconscient

  • Freud, Cinq leçons de psychanalyse
  • Bettelheim, « Psychanalyse des contes de fées »

L’existence et le temps

  • Sénèque, Sur la brièveté de la vie
  • Camus, Le mythe de Sisyphe
  • Sartre, L’existentialisme est un humanisme

L’art ou l’esthétique

Thème plus difficile : une chaîne youtube intéressante : https://www.youtube.com/c/SOSART

La politique

  • Thoreau, De la désobéissance civile
  • La Boétie, Discours de la servitude volontaire
  • Marx, Manifeste du parti communiste

Nature/culture

  • Simone de Beauvoir, La femme indépendante (extrait du deuxième Sexe)
  • Thoreau, Walden ou la vie dans les bois
  • Claude Lévi-Strauss, Race et histoire

Le travail/La technique

  • Bertrand Russell, Eloge de l’oisiveté

La religion

  • Freud, L’avenir d’une illusion

Débuter la philosophie avec un auteur

Une autre manière de commencer la philosophie peut consister à choisir un auteur qui vous attire. Cela peut-être une bonne façon de faire, mais veillez à ne pas commencer par Hegel. Personnellement j’aime beaucoup Spinoza, mais c’est également difficile à lire pour un débutant. Si Platon vous intéresse veillez à commencer par des dialogues.

Voilà, j’espère que ces quelques conseils vous aideront à bien débuter la philosophie !

La non-violence selon Gandhi

Gandhi et la non violence

Pour Gandhi, être non-violent est une nécessité car il considère qu’être violent sert finalement le mal ou en d’autres termes encourage la violence des opposants et leur donne des raisons d’être à leur tour violent.

L’attitude de Gandhi est intéressante car on associe généralement la radicalité définie comme le fait d’aller jusqu’au bout des conséquences de ses choix ou principes, à une forme de violence, car aller jusqu’au bout paraît extrême et que l’on associe un peu vite extrême et violent. Or, précisément Gandhi est radical de manière non-violente. Il défend un idéal de justice et veut le faire de manière non-violente car il pense que la violence ne fait qu’entraîner davantage de violence. Il est alors radical dans la mesure où il se dit prêt à désobéir à la loi de manière non-violente et donc à accepter la peine encourue pour sa désobéissance. On peut alors considérer qu’il va jusqu’au bout de ses principes puisqu’il accepte en un sens de se sacrifier pour rester non violent et défendre son idéal. Il renonce à se rebeller violemment contre ce qui est pourtant injuste à ses yeux.

En étant radical, c’est-à-dire en désobéissant tout en acceptant la peine encourue pour cette désobéissance, il adopte une position de résistance pacifique qui met ceux qui doivent le juger devant leurs responsabilités. Ils ne peuvent alors pas justifier sa condamnation par ses actions violentes et doivent le condamner parce qu’ils le considèrent comme une réelle menace pour la société et parce que ses idées sont mauvaises. On peut alors considérer que la radicalité non violente sert l’action révolutionnaire car en faisant cela Gandhi peut amener les autres à réfléchir au bien fondé du système et à la réelle justesse des lois qu’ils doivent appliquer. En faisant cela, il entend éveiller les consciences ce qui est nécessaire pour qu’un réel changement de système ait lieu.

Pour davantage de contenus sur la Politique et la Justice et le droit, vous pouvez consulter cette page.

Texte de Gandhi :

« Le plus grand malheur, c’est que les Anglais et leurs associés indiens qui administrent le pays ignorent qu’ils commettent le crime dont je viens de parler. J’en ai la conviction, nombre de fonctionnaires anglais en Inde croient de bonne foi que le Gouvernement qu’ils représentent est un des meilleurs qui existent et que l’Inde progresse sûrement, si elle progresse lentement. Ils ignorent qu’un système subtil, mais efficace, de terrorisme et un déploiement organisé de forces d’une part, et la privation de tout moyen de défense d’autre part ont émasculé le peuple et l’ont conduit à la dissimulation (…)

Le paragraphe 124* du Code pénal d’après lequel j’ai le bonheur d’être accusé est au premier rang de ceux qui tendent à supprimer la liberté du citoyen. La loi ne peut donner ou régler l’affection. Si l’on n’a pas d’affection pour un homme ou pour un système, on doit être libre d’exprimer sa désaffection dans toute sa force, du moment qu’on n’a pas l’intention de se montrer violent ou d’inciter à la violence (….)

Je suis d’ailleurs convaincu d’avoir rendu service à l’Inde et à l’Angleterre, en leur montrant comment la non-coopération pouvait les faire sortir de l’existence contre nature menée par toutes deux. Àmon humble avis, la non-coopération avec le mal est un devoir tout autant que la coopération avec le bien. Seulement, autrefois, la non-coopération consistait délibérément à user de violence envers celui qui faisait le mal. J’ai voulu montrer à mes compatriotes que la non-coopération violente ne faisait qu’augmenter le mal et, le mal ne se maintenant que par la violence, qu’il fallait, si nous ne voulions pas encourager le mal, nous abstenir de toute violence.

La non-violence demande qu’on se soumette volontairement à la peine encourue pour ne pas avoir coopéré avec le mal. Je suis donc ici prêt à me soumettre d’un cœur joyeux au châtiment le plus sévère qui puisse m’être infligé pour ce qui est selon la loi un crime délibéré et qui me paraît à moi le premier devoir du citoyen. Juge, vous n’avez pas le droit, il vous faut démissionner et cesser ainsi de vous associer au mal si vous considérez que la loi que vous êtes chargé d’administrer est mauvaise et qu’en réalité je suis innocent, ou m’infliger la peine la plus sévère si vous croyez que le système et la loi que vous devez appliquer sont bons pour le peuple et que mon activité par conséquent est pernicieuse pour le bien public.»

Gandhi, Extrait de «Les 100 discours qui ont marqué le XXème siècle», choisis et présentés par Hervé Broquet, Catherine Lanneau et Simpon Petermann ». URL : https://bibliobs.nouvelobs.com/documents/20081202.BIB2573/sur-la-non-violence-par-le- mahatma-gandhi.html

Le déterminisme social selon Bourdieu

Le déterminisme social selon Bourdieu

Dans quelles mesures sommes-nous déterminés par notre milieu social ? Peut-on dire que nous sommes parfaitement libres et que notre réussite à l’école ou le métier que nous faisons dépendent de notre seul mérite ? Pierre Bourdieu, sociologue français de la deuxième moitié du XXe siècle, montre ainsi que chaque individu est déterminé. Attention, ici par déterminé il n’est pas question de comprendre que l’individu est décidé ou résolu.

La thèse du déterminisme social

Le déterminisme en philosophie et en sociologie est une doctrine qui défend que les actions des hommes sont, comme les phénomènes de la nature, soumises à des causes extérieures. Cela signifie que nos décisions et nos actions ne sont pas libres au sens où nous aurions décidé tout seul à l’aide de notre seule raison. Pour un partisan du déterminisme, nos décisions et actions ne sont pas causées par notre seule réflexion détachée de toute influence. En d’autres termes, nous ne sommes pas la seule cause de nos décisions, mais il y a autour de nous et en nous une multitude de causes extérieures (génétiques, sociologiques, psychologiques) qui peuvent expliquer nos choix et nos actions. Nous allons ici nous concentrer principalement sur ce que l’on appelle le déterminisme social qui est un des aspects que peut prendre le déterminisme.

Cette thèse du déterminisme s’oppose à l’idée que nous avons un libre arbitre, c’est-à-dire une capacité à faire des choix et à être cause de ces choix. Au contraire, si nous sommes déterminés alors nos choix ne sont pas causés par nous-mêmes, notre volonté et notre raison, mais par des éléments extérieurs qui agissent sur nous et influencent nos décisions.

Selon Bourdieu, nous sommes déterminés par le milieu social auquel nous appartenons car ce milieu social va décider de notre accès à la culture ou à un certain type de culture, il va décider des personnes que nous connaissons, de notre réseau et il va également décider de notre capital économique. Cela signifie qu’un enfant de milieu modeste aura moins de chance de faire de longues études ou d’avoir un métier très bien rémunéré car son milieu ne l’y encourage pas et même il ne lui en donne ni l’idée ni le goût.

Comme exemple de ce déterminisme social, on peut prendre cet extrait de Retour à Reims, du sociologue Didier Eribon : « Les études de mon père n’allèrent donc pas au-delà de l’école primaire. Nul n’y aurait songé, d’ailleurs. Ni ses parents, ni lui-même. Dans son milieu, on allait à l’école  jusqu’à 14 ans, puisque c’était obligatoire, et on quittait l’école à 14 ans, puisque ça ne l’était plus. C’était ainsi. Sortir du système scolaire n’apparaissait pas comme un scandale. Au contraire ! Je me souviens que l’on s’indigna beaucoup dans ma famille quand la scolarité fut rendue obligatoire jusqu’à 16 ans : « A quoi ça sert d’obliger des enfants à continuer l’école si ça ne leur plaît pas, alors qu’ils préféreraient travailler ? » répétait-on, sans jamais s’interroger sur la distribution différentielle de ce « goût » ou de cette « absence de goût » pour les études.»

Comment expliquer que les inégalités persistent ?

Pierre Bourdieu explique notamment le déterminisme social par la théorie des capitaux. Il distingue trois capitaux différents. Par capital, il faut comprendre ce que l’on possède. Il y a, selon lui :

  • le capital économique, c’est-à-dire l’ensemble des biens que possède une personne.
  • le capital culturel, c’est-à-dire les connaissances, l’accès à la culture, le fait d’avoir des parents cultivés, la fréquentation régulière ou non de lieu de culture.
  • le capital social, c’est-à-dire le réseau de relations auquel il peut faire appel en cas de besoin et qui est souvent issu de notre cercle familial.

Selon Bourdieu, selon que nous sommes riches ou non dans ces différents capitaux, nous allons avoir accès plus facilement à un certain niveau social. Il va, par exemple, être plus difficile pour un enfant de milieu défavorisé de prétendre aller faire de longues études à Paris, car il faut déjà qu’il en ait l’idée et l’envie (capital culturel), cela va demander de l’argent (capital économique) et cela sera beaucoup plus facile si sa famille a des relations à Paris ou dans le domaine où il veut entreprendre des études (capital social).

Ce sont ces différents capitaux qui se transmettent par l’intermédiaire de la famille et qui provoquent ce que Bourdieu appelle la « reproduction sociale ». Par reproduction sociale, il entend que les enfants issus d’un certain milieu social ont tendance à rester dans ce même milieu.

Mais n’est-ce pas le rôle de l’école de lutter contre ce déterminisme social ?

Bourdieu, dans son œuvre La Reproduction, éléments pour une théorie du système d’enseignement, va au contraire montrer que l’école ne résout pas réellement le problème du déterminisme social car elle ne prend pas suffisamment en compte le fait que les élèves vont, par exemple, avoir un appétit pour l’école très différent en fonction de leur milieu social. En d’autres termes, l’école en se prétendant « neutre » et en voulant assurer une égalité des chances, cache le fait que les inégalités qui existent avant l’école subsistent au sein de l’école. Ainsi, en ne mettant pas en place des mesures plus spécifiques pour aider les élèves les plus défavorisés, l’école met les individus les moins aisés en situation d’échec scolaire et perpétue ainsi les inégalités de classe.

Ainsi, aux yeux de Bourdieu, notre liberté est grandement limitée par ce déterminisme social et l’école ne permet pas réellement de le corriger.

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Texte de Didier Eribon :

« A cette époque, mon père était ouvrier- au plus bas de l’échelle ouvrière-depuis longtemps déjà. Il n’avait pas encore 14 ans […] quand il était entré dans ce qui allait constituer le décor de sa vie et le seul horizon qui puisse s’offrir à lui. L’usine l’attendait. Comme elle attendrait ses frères et sœurs, qui l’y suivraient. Comme elle attendait et attend toujours ceux qui naissaient et naissent dans des familles socialement identique à la sienne. Le déterminisme social exerça son emprise sur lui dès sa naissance. […]

Les études de mon père n’allèrent donc pas au-delà de l’école primaire. Nul n’y aurait songé, d’ailleurs. Ni ses parents, ni lui-même. Dans son milieu, on allait à l’école  jusqu’à 14 ans, puisque c’était obligatoire, et on quittait l’école à 14 ans, puisque ça ne l’était plus. C’était ainsi. Sortir du système scolaire n’apparaissait pas comme un scandale. Au contraire ! Je me souviens que l’on s’indigna beaucoup dans ma famille quand la scolarité fut rendue obligatoire jusqu’à 16 ans : « A quoi ça sert d’obliger des enfants à continuer l’école si ça ne leur plaît pas, alors qu’ils préféreraient travailler ? » répétait-on, sans jamais s’interroger sur la distribution différentielle de ce « goût » ou de cette « absence de goût » pour les études. L’élimination scolaire passe souvent par l’autoélimination, et par la revendication de celle-ci comme s’il s’agissait d’un choix : la scolarité longue, c’est pour les autres, ceux « qui ont les moyens » et qui se trouvent être les mêmes que ceux à qui « ça plaît ».

Didier ERIBON, Retour à Reims, 2009

Pour davantage de contenus sur la question de la liberté et du déterminisme, vous pouvez consulter cette page ou regarder cette vidéo :

L’art est-il le fruit du génie ? Kant/Nietzsche

L'art est-il le fruit du génie ?

Vous est-il déjà arrivé d’entendre parler de génie pour qualifier tel ou tel artiste ? Par ce terme, on désigne souvent un artiste extrêmement talentueux qui aurait un « don naturel ». On suppose alors que le génie n’a pas besoin de travailler ou presque, qu’il réussit facilement ce qu’il entreprend et cela sans effort.  Mais, est-il réellement légitime de parler de génie ?

Il y aurait, d’une part, les génies et, de l’autre, les laborieux, c’est-à-dire la plupart des autres, car le génie est supposé rare. On pourrait classer dans les génies Mozart, Shakespeare ou encore Michel-Ange, autant d’artistes qui seraient des êtres naturellement doués pour faire de l’art et sans que ce don puisse être expliqué autrement que par leur heureuse nature.  

Dans le cas de Mozart, il est vrai que comme il composait des Menuets dès l’âge de six ans, on peut penser qu’il s’agit d’un don inné. Mais est-ce réellement le cas ?

Mozart génie

L’origine de l’idée de génie

Cette idée qu’il y aurait des individus ayant un don naturel pour l’art, nous vient de Kant. Emmanuel Kant, philosophe du 18e siècle, défend dans la Critique de la faculté de juger, que le génie est un don naturel qui donne à l’art ses règles. Il veut dire par là que le génie introduit de nouvelles manières de faire de l’art qui lui sont dictées par la nature en lui ou par son don naturel.

Le compositeur Beethoven, pourrait ainsi être considéré comme un génie car il rompt avec le style galant en vogue à l’époque et introduit des innovations formelles. Par exemple, pour la première fois, il introduit un cœur dans sa neuvième symphonie. Pour Kant, le génie devient alors un modèle pour les autres qui vont s’en inspirer, il est donc original, mais également inexplicable. Le génie ne peut pas lui même expliquer comment il a trouvé ces nouvelles règles de l’art.

Beethoven correspond bien à l’idée que Kant se fait du génie car il va ainsi inspirer de nombreux autres compositeurs (Brahms, Bruckner) et comme il commence à composer dès l’âge de 12 ans, on peut croire que son talent est effectivement inné.

Néanmoins, quand Kant parle de génie, il désigne le don naturel et pas l’individu. C’est par un glissement de sens que nous en sommes venus aujourd’hui à parler de génie pour qualifier ceux qui auraient ce don naturel.

La critique de l’idée de génie par Nietzsche

Nietzsche va s’opposer fermement à cette vision d’un talent inné de l’artiste. A ses yeux, on ne peut absolument pas parler de don naturel, mais il faut plutôt envisager l’immense travail que fournit l’artiste pour développer son talent.

Il dit ainsi : « Comme nous avons bonne opinion de nous-mêmes, mais sans aller jusqu’à nous attendre à jamais pouvoir faire même l’ébauche d’une toile de Raphaël ou une scène comparable à celles d’un drame de Shakespeare, nous nous persuadons que pareilles facultés tiennent d’un prodige vraiment au-dessus de la moyenne, représentent un hasard extrêmement rare, ou, si nous avons encore des sentiments religieux, une grâce d’en haut. C’est ainsi notre vanité, notre amour-propre qui nous poussent au culte du génie : car il nous faut l’imaginer très loin de nous, en vrai miraculum, pour qu’il ne nous blesse pas (même Goethe, l’homme sans envie, appelait Shakespeare son étoile des altitudes les plus reculées ; on se rappellera ce vers : « Les étoiles, on ne les désire pas »). »

Ainsi, pour Nietzsche, si nous usons de l’idée de génie c’est d’abord par vanité, pour ne pas avoir à nous comparer à l’artiste. Si nous ne sommes pas capables de faire aussi bien, ça n’est pas notre faute c’est simplement que lui a un don naturel. Pour Nietzsche, c’est une manière de préserver notre ego car, en réalité, l’artiste n’a pas un don naturel, il s’est simplement énormément exercé. Il nous faudrait donc au contraire avoir l’humilité de reconnaître que si un autre réussit très bien c’est parce qu’il a davantage travaillé.

Par ailleurs, Nietzsche remarque que le processus de création nous encourage aussi dans ce penchant à croire au génie car les artistes ne montrent que leurs œuvres achevées et seulement les meilleures. « Autre chose : on admire tout ce qui est achevé, parfait, on sous-estime toute chose en train de se faire ; or, personne ne peut voir dans l’œuvre de l’artiste comment elle s’est faite ; c’est là son avantage car, partout où l’on peut observer une genèse, on est quelque peu refroidi ».

Alors, peut-on contester que Mozart fût un génie doté d’un don naturel ? Certainement, car si l’on observe davantage la vie de Mozart, on observe qu’il a appris la musique dès ses premières années sous l’influence de son père, Leopold, qui était compositeur et professeur de violon. Celui-ci lui a appris la musique très tôt et l’on sait aujourd’hui grâce aux études sur le cerveau que ce que l’on apprend très jeune s’apprend très facilement et reste durablement inscrit en nous. Peut-on alors encore parler de don naturel ? L’apprentissage précoce et la situation familiale de Mozart ont sans doute joué un très grand rôle dans sa réussite, si bien que l’idée de don naturel semble plutôt cacher une grande quantité de travail.

Pour d’autres contenus sur l’art, vous pouvez consulter cette page ou vous rendre sur ma chaîne Youtube.

Textes de Kant et de Nietzsche sur le génie :

Le génie est le talent (don naturel), qui donne les règles à l’art. Puisque le talent, comme faculté productive innée de l’artiste, appartient lui-même à la nature, on pourrait s’exprimer ainsi : le génie est la disposition innée de l’esprit (ingenium) par laquelle la nature donne les règles à l’art. On voit par là que le génie : 1° est un talent, qui consiste à produire ce dont on ne saurait donner aucune règle déterminée ; il ne s’agit pas d’une aptitude à ce qui peut être appris d’après une règle quelconque ; il s’ensuit que l’originalité doit être sa première propriété ; 2. que l’absurde aussi pouvant être original, ses produits doivent en même temps être des modèles, c’est-à-dire exemplaires et par conséquent, que sans avoir été eux-mêmes engendrés par l’imitation, ils doivent toutefois servir aux autres de mesure ou de règle du jugement ; 3. qu’il ne peut décrire lui-même ou exposer scientifiquement comment il réalise son produit, et qu’au contraire c’est en tant que nature qu’il donne la règle ; c’est pourquoi le créateur d’un produit qu’il doit à son génie, ne sait pas lui-même comment se trouvent en lui les idées qui s’y rapportent et il n’est en son pouvoir ni de concevoir à volonté ou suivant un plan de telles idées, ni de les communiquer à d’autres dans des préceptes, qui les mettraient à même de réaliser des produits semblables. (C’est pourquoi aussi le mot génie est vraisemblablement dérivé de genius, l’esprit particulier donné à un homme […] à sa naissance pour le protéger et le diriger, et qui est la source de l’inspiration dont procèdent ces idées originales). Emmanuel Kant, Critique de la faculté de juger (1790).

« [On fait souvent] comme si l’idée de l’oeuvre d’art, du poème, la pensée fondamentale d’une philosophie tombaient du ciel tel un rayon de la grâce. En vérité, l’imagination du bon artiste, ou penseur, ne cesse de produire, du bon, du médiocre et du mauvais, mais son jugement, extrêmement aiguisé et exercé, rejette choisit, combine ; on voit ainsi aujourd’hui, par les carnets de Beethoven, qu’il a composé ses plus magnifiques mélodies petit à petit, les tirant pour ainsi dire d’esquisses multiples. […] Tous les grands hommes étaient de grands travailleurs, infatigables quand il s’agissait d’inventer, mais aussi de rejeter, de trier, de remanier, d’arranger » Nietzsche, (Humain, trop humain, §155)

« Comme nous avons bonne opinion de nous-mêmes, mais sans aller jusqu’à nous attendre à jamais pouvoir faire même l’ébauche d’une toile de Raphaël ou une scène comparable à celles d’un drame de Shakespeare, nous nous persuadons que pareilles facultés tiennent d’un prodige vraiment au-dessus de la moyenne, représentent un hasard extrêmement rare, ou, si nous avons encore des sentiments religieux, une grâce d’en haut. C’est ainsi notre vanité, notre amour-propre qui nous poussent au culte du génie : car il nous faut l’imaginer très loin de nous, en vrai miraculum, pour qu’il ne nous blesse pas (même Goethe, l’homme sans envie, appelait Shakespeare son étoile des altitudes les plus reculées ; on se rappellera ce vers : « Les étoiles, on ne les désire pas »). Mais, compte non tenu de ces insinuations de notre vanité, l’activité du génie ne paraît vraiment pas quelque chose de foncièrement différent de l’activité de l’inventeur mécanicien, du savant astronome ou historien, du maître en tactique ; toutes ces activités s’expliquent si l’on se représente des hommes dont la pensée s’exerce dans une seule direction, à qui toutes choses servent de matière, qui observent toujours avec la même diligence leur vie intérieure et celle des autres, qui voient partout des modèles, des incitations, qui ne se lassent pas de combiner leurs moyens. Le génie ne fait rien non plus que d’apprendre d’abord à poser des pierres, puis à bâtir, que de chercher toujours des matériaux et de toujours les travailler; toute activité de l’homme est une merveille de complication, pas seulement celle du génie : mais aucune n’est un « miracle ». – D’où vient alors cette croyance qu’il n’y a de génie que chez l’artiste, l’orateur et le philosophe ? Qu’eux seuls ont de l’« intuition » ? (Ce qui revient à leur attribuer une sorte de lorgnette merveilleuse qui leur permet de voir directement dans 1’« être » !) Manifestement, les hommes ne parlent de génie que là où ils trouvent le plus de plaisir aux effets d’une grande intelligence et où, d’autre part, ils ne veulent pas éprouver d’envie. Dire quelqu’un « divin » signifie : « Ici, nous n’avons pas à rivaliser. » Autre chose : on admire tout ce qui est achevé, parfait, on sous-estime toute chose en train de se faire ; or, personne ne peut voir dans l’oeuvre de l’artiste comment elle s’est faite ; c’est là son avantage car, partout où l’on peut observer une genèse, on est quelque peu refroidi ; l’art achevé de l’expression écarte toute idée de devenir ; c’est la tyrannie de la perfection présente. Voilà pourquoi ce sont surtout les artistes de l’expression qui passent pour géniaux, et non pas les hommes de science ; en vérité, cette appréciation et cette dépréciation ne sont qu’un enfantillage de la raison. » Nietzsche, Humain, trop humain (1878), § 162

Vidéos de philosophie

Le bonheur – Programme de philosophie – Terminale

Bienvenue dans cette vidéo, dans laquelle je vais vous présenter la notion de bonheur qui est une des dix-sept notions du programme de philosophie terminale.

Je vais d’abord faire un point sur la définition du bonheur et les principaux termes proches dont il faut le distinguer. Puis, je vais passer en revue quelques grandes questions possibles sur le bonheur. 

On peut définir le bonheur comme un état de satisfaction durable et global.

Cet état de satisfaction durable sera à différencier du plaisir qui est un état de satisfaction éphémère. Par exemple, si vous mangez du chocolat, cela peut vous faire plaisir, mais ça n’est pas cela qui va vous apporter le bonheur au sens strict.

De même, on peut distinguer le bonheur de la joie, car la joie est plutôt un état de satisfaction intense et éphémère. La joie c’est par exemple l’état dans lequel vous êtes quand vous réussissez un examen difficile. Cette explosion de joie est intense et heureusement éphémère car vous seriez très vite totalement épuisé.

Une fois ces bases posées, quels sont les grands problèmes philosophiques qui peuvent être posés sur le bonheur ? Je vais vous en donner quelques uns parmi les plus importants.

– Premier sujet : Faut-il satisfaire tous ses désirs pour être heureux ?

La notion de bonheur est souvent liée à celle du désir car on peut communément penser que satisfaire tous nos désirs va nous permettre d’atteindre le bonheur. En d’autres termes, être heureux ce serait satisfaire ses désirs. Le personnage de Calliclès dans le Gorgias de Platon défend ainsi que pour être heureux il faut désirer beaucoup et chercher à satisfaire tous ses désirs car c’est ainsi que l’on se sent vivant.

A cela Socrate répond que l’on se comporte alors comme un tonneau percé c’est-à-dire que dès que l’on a satisfait un désir, un nouveau apparaît et ainsi de suite. Or, le désir est un manque, tant que nous ne l’avons pas satisfait il nous fait souffrir et comme le désir renaît sans cesse, Alors on peut se demander s’il faut vraiment désirer beaucoup et chercher à satisfaire tous ses désirs pour être heureux.

– Deuxième sujet : Le bonheur est-il un idéal inaccessible ?

En effet, le bonheur si on le définit comme un état de satisfaction durable et global semble être plutôt difficile à atteindre. On peut alors raisonnablement se demander si cet état est véritablement accessible.

Sur cette question, Kant répondra par exemple que le bonheur est bien inaccessible car c’est une idée qui relève de notre imagination et qui est pour cette raison souvent vague et imprécise. Nous avons une vague idée de ce qui nous rendra heureux, mais aucune définition claire et surtout aucune méthode pour y arriver. C’est pourquoi Kant a tendance à considérer le bonheur comme inaccessible.

Néanmoins, on pourrait lui opposer des auteurs, comme Epicure ou encore Epictète qui envisagent justement comment nous pourrions rationnellement modifier nos pensées et nos comportements pour être plus heureux.

–  Troisième sujet : Le bonheur dépend-il de nous ?

Une question classique sur le bonheur consiste en effet à s’interroger sur l’impact réel que nos choix et actions peuvent avoir sur notre bonheur. Faut-il penser comme le suggère l’étymologie que le bonheur est plutôt une question de chance ? Et que finalement nous avons peu d’impact sur notre bonheur car il dépend plutôt d’événements extérieurs. Ou bien peut-on défendre comme le fait Epicure, que nous pouvons appliquer une méthode rationnelle pour être heureux ? Il s’agirait notamment, selon lui, de classer nos désirs afin de nous défaire des désirs nuisibles pour ne garder que les plus simples et sains. Je vous renvoie sur cette question à cette vidéo sur Epicure et le bonheur.

– Quatrième sujet : Le bonheur est-il le bien suprême ?

En effet, on peut penser que le bonheur est ce que chacun recherche le plus. Pourtant cela ne va pas tout à fait de soi en réalité. N’y a t -il pas des choses auxquelles nous allons donner plus de valeur que le bonheur ? Par exemple ne peut-on par dire que s’il faut choisir entre être heureux et être libre, nous préférons être libre ? 

Plus encore ne peut-on pas donner davantage d’importance au devoir moral qu’au bonheur ? Si bien que si notre devoir devait s’opposer à notre bonheur, nous choisirions de faire quand même notre devoir.

On peut sur cette question prendre l’exemple de la thèse de John Stuart Mill qui dit « Il vaut mieux être Socrate insatisfait qu’un imbécile satisfait ». John Stuart Mill défend, en effet, que même s’il est plus difficile d’être heureux quand on est un être doté de facultés supérieures, aucun être supérieur ne consentirait pour autant à être changé en un être moins intelligent pour être plus heureux. Par exemple, un étudiant en philosophie trouvant de grandes satisfactions dans les lectures parfois difficiles et la découverte de philosophes n’acceptera jamais d’être changé en vache s’il est admis qu’une vache atteint le bonheur beaucoup plus facilement en broutant de l’herbe. 

De même, et pour prendre un autre exemple, un être humain doté d’une grande conscience morale qui se désespère de la destruction de la nature et des espèces animal, n’acceptera pas d’être changé en climato-sceptique juste parce que cela lui permettrait d’être plus heureux.

Le bonheur est-il alors vraiment ce que nous recherchons le plus ?

Voilà pour cette vidéo, j’espère qu’elle vous permettra de mieux cerner les grandes questions que vous allez rencontré sur la notion de bonheur et le programme de philosophie terminale. Si vous voulez davantage de contenu sur la notion de bonheur, n’hésitez pas à vous rendre sur mon blog apprendre la philosophie.

Pour une présentation de l’ensemble du programme de philosophie terminale vous pouvez consulter cet article. Je présente également les autres notions du programme sur ma chaîne Youtube.

John Stuart Mill : « Il vaut mieux être Socrate insatisfait, qu’un imbécile satisfait ».

John Stuart Mill, "Il vaut mieux être Socrate insatisfait, qu'un imbécile satisfait".

Quand John Stuart Mill écrit dans l’Utilitarisme : « Il vaut mieux être Socrate insatisfait qu’un imbécile satisfait », il présente une objection à la tradition philosophique qui fait des désirs un obstacle au bonheur.

En effet, si l’on suit plutôt la thèse d’Epicure, pour être heureux, il faut chercher à limiter ses désirs à ses besoins vitaux, car ainsi, on est certain de pouvoir les satisfaire et nous ne risquons pas d’être constamment frustrés de ne pas avoir ce que nous voulons. Vous pouvez trouver la thèse d’Epicure expliquée ici en vidéo ou dans cet article. Pour Epicure, il faut désirer le moins possible pour être heureux car tout désir est d’abord un manque et donc une souffrance.

On retrouve cette idée dans la tradition stoïcienne ou le bouddhisme qui, eux, conseillent de se défaire d’absolument tous ses désirs.

Certains désirs sont vains et ne rendent pas réellement heureux

On peut, sans doute, s’accorder sur le fait que certains désirs sont effectivement vains et inutiles pour être réellement heureux. Je pense notamment aux désirs qui concernent des biens matériels superflus qui peuvent apporter une certaine satisfaction pendant quelques temps, mais dont on se lasse assez rapidement. Par exemple, cette nouvelle paire de chaussures, ce nouveau téléphone, cette nouvelle voiture, peut-on dire que les posséder va nous rendre plus heureux ? Acquérir ces objets nous donne du plaisir mais cela nous apporte-t-il du bonheur sur le long terme ? Cela paraît d’autant plus difficile qu’une fois le désir satisfait, nous nous habituons à ce que nous avons et désirons autre chose et ainsi de suite. Ces désirs ont donc pour particularité d’être insatiables et de ne pas nous rendre réellement heureux.

Mais, peut-on en dire autant s’il s’agit de désirs qui concernent l’être ? Peut-on dire qu’il faudrait renoncer au désir d’être plus instruit, plus curieux, plus consciencieux ou plus compatissant ? Car, en effet, ces désirs nous exposent à des déconvenues, si nous désirons progresser, nous n’allons pas y arriver nécessairement ou pas toujours y arriver aussi vite que nous le voudrions.

Nous ne recherchons pas le bonheur à tout prix

C’est pourquoi, selon Mill, il n’est pas vrai de dire que l’on recherche le bonheur à tout prix car un être intelligent n’acceptera jamais d’être changé en un être moins évolué même si cela lui permet d’être constamment heureux. Les formes de bonheur ne se valent pas, et peu d’être humains accepteraient d’être changé en vache s’ils étaient assurés d’être heureux en broutant de l’herbe.

Pour John Stuart Mill, il est vraisemblable qu’un individu qui a une intelligence aiguisée ou une haute conscience morale a des désirs plus difficiles à satisfaire car plus complexes ou demandant d’avantages d’efforts. De même, il est sans doute plus facilement révolté et frustré par l’état du monde qu’un individu égoïste qui ne s’intéresse pas aux autres ou au monde.

Ainsi, il est vraisemblable qu’un individu soucieux de l’état de la planète, refusera d’être changé en climato-sceptique, même si cela lui permet d’être plus heureux car débarrassé du désir de préserver la nature et donc moins inquiet.

C’est pourquoi, pour John Stuart Mill, on peut dire que tous les désirs ne sont pas à exclure et que le bonheur n’est pas toujours le bien suprême que l’on recherche à tout prix. Comme il le dit ensuite « Il vaut mieux être un homme insatisfait qu’un porc satisfait », il place ainsi l’intelligence et les facultés intellectuelles supérieures au dessus du bonheur simple et leur donne plus de valeur.

Texte de John Stuart Mill

« C’est un fait indiscutable que ceux qui ont une égale connaissance de deux genres de vie, qui sont également capables de les apprécier et d’en jouir, donnent résolument une préférence très marquée à celui qui met en oeuvre leurs facultés supérieures. Peu de créatures humaines accepteraient d’être changées en animaux inférieurs sur la promesse de la plus large ration de plaisir de bêtes; aucun être humain intelligent ne consentirait à être un imbécile, aucun homme instruit à être un ignorant, aucun homme ayant du coeur et une conscience à être égoïste et vil, même s’ils avaient la conviction que l’imbécile, l’ignorant ou le gredin sont, avec leurs lots respectifs, plus complètement satisfait qu’eux même avec le leur. (…) Un être pourvu de faculté supérieure demande plus pour être heureux, est probablement exposé à souffrir de façon plus aiguë, et offre certainement à la souffrance plus de points vulnérables qu’un être de type inférieur; mais en dépit de ces risques, il ne peut jamais souhaiter réellement tomber à un niveau d’existence qu’il sent inférieur. (…)

Croire qu’en manifestant une telle préférence, on sacrifie quelque chose de son bonheur, croire que l’être supérieur – dans des circonstances qui seraient équivalentes à tous égards pour l’un et pour l’autre n’est pas plus heureux que l’être inférieur, c’est confondre les deux idées très différentes de bonheur et de satisfaction. Incontestablement, l’être dont les facultés de jouissance sont d’ordre inférieur, a les plus grandes chances de les voir pleinement satisfaites; tandis qu’un être d’aspirations élevées sentira toujours que le bonheur qu’il peut viser, quel qu’il soit, le monde étant fait comme il l’est, est un bonheur imparfait.  Mais il peut apprendre à supporter ce qu’il y a d’imperfections dans ce bonheur, pour peu que celles-ci soient supportables; et elles ne le rendront pas jaloux d’un être qui, à la vérité, ignore ces imperfections, mais ne les ignore que parce qu’il ne soupçonne aucunement le bien auquel ces imperfections sont attachées. Il vaut mieux être un homme insatisfait qu’un porc satisfait; il vaut mieux être Socrate insatisfait qu’un imbécile satisfait. Et si l’imbécile ou le porc sont d’un avis différent, c’est qu’ils ne connaissent qu’un côté de la question : le leur. L’autre partie, pour faire la comparaison, connaît les deux côtés. »

John Stuart Mill, 1871, L’Utilitarisme, traduction Georges Tanesse

Epicure : le bonheur dépend il de nous ?

Epicure : le bonheur dépend-il de nous ?

Bonjour, bienvenu dans cette vidéo dans laquelle nous allons parler d’Epicure et répondre à la question : le bonheur dépend-il de nous ?

Tout d’abord nous pouvons remarquer que la réponse ne va pas de soi. Si l’on se réfère à l’étymologie, le bonheur semble d’abord lié à la chance. En effet, bonheur, vient de « bon » d’une part et  « heur » d’autre part, qui en ancien français signifie la chance ou la fortune. Le terme français « heur » vient lui-même du latin augurium qui signifie « augure » ou « présage ». Alors si l’on s’en tient à l’origine du mot, atteindre le bon heur c’est avoir une bonne chance ou être favorisé par les circonstances.

« Nul ne peut être dit heureux avant sa mort » disait Solon

Un sage de l’antiquité En effet, si le bonheur est tributaire de la chance et que celle-ci est fluctuante, alors un malheur est toujours susceptible de nous arriver sans prévenir. Et on ne peut pas dire que le bonheur dépend tout à fait de nous. En ce sens, le bonheur, que l’on peut d’abord définir comme un état de satisfaction durable, semble donc dépendre du hasard plutôt que de nous-mêmes et des actions que nous pourrions entreprendre pour y arriver.

Cependant, Epicure, dans La Lettre à Ménécée s’oppose à cette thèse et entend montrer que le bonheur dépend bien de nous, c’est-à-dire de nos choix et de nos actions. Selon lui, Il est possible d’atteindre le bonheur notamment grâce à une méthode rationnelle.

Le plaisir n’est pas l’excès pour Epicure

Première précision importante, pour Epicure, le bonheur c’est le plaisir, mais il faut ici faire attention aux contresens. La pensée d’Epicure a souvent été mal comprise, ses contemporains le traitaient de pourceau et il a pu avoir la réputation d’un jouisseur On assimile alors l’épicurien au bon vivant, qui profite de la vie et fait beaucoup d’excès. Or, en réalité Epicure est à l’opposé de cette conception car par plaisir Epicure entend la suppression de la douleur. Le plaisir c’est ce que je ressens quand je ne souffre pas. Or, pour épicure le bonheur ne peut pas être atteint dans l’excès, car l’excès risque de nous donner des douleurs. Par exemple trop manger ou trop boire risque de nous rendre malade.

Il le dit très clairement dans la lettre à Ménécée :

« Quand donc nous disons que le plaisir est la fin, nous ne parlons pas des plaisirs des débauchés ni de ceux qui consistent dans les jouissances – comme le croient certains qui, ignorant de quoi nous parlons, sont en désaccord avec nos propos ou les prennent dans un sens qu’ils n’ont pas –, mais du fait, pour le corps, de ne pas souffrir et, pour l’âme, de ne pas être troublée. En effet, ce n’est ni l’incessante succession des beuveries et des parties de plaisir, ni les jouissances que l’on trouve auprès des jeunes garçons et des femmes, ni celles que procurent les poissons et tous les autres mets qu’offre une table abondante, qui rendent la vie agréable: c’est un raisonnement sobre, qui pénètre les raisons de tout choix et de tout refus et qui rejette les opinions à partir desquelles une extrême confusion s’empare des âmes. Or le principe de tout cela et le plus grand bien, c’est la prudence. »

Il ne s’agit donc pas de dire qu’il faut multiplier les désirs et les plaisirs et que cela nous rendra heureux. Pas du tout. Il faut plutôt être prudent et réfléchir pour faire ce qui nous rendra réellement heureux c’est-à-dire ce qui nous permettra de ne pas souffrir. Epicure le dit en ces termes : « La santé du corps, la tranquillité de l’âme sont la perfection de la vie heureuse ». Etre heureux pour Epicure c’est donc être en bonne santé physique et atteindre une certaine tranquillité d’esprit, c’est-à-dire ne pas être constamment inquiet ou dans la peur.

Cette conception du bonheur peut sembler étrange car elle est en opposition avec une conception plus commune du bonheur comme succession de plaisirs. Qu’est-ce qui explique cette vision du bonheur d’Epicure ? il faut d’abord dire qu’Epicure était quelqu’un de malade, il souffrait dans son corps, on comprend donc que pour lui le plaisir soit l’absence de souffrance.

Mais cela ne signifie pas que la thèse d’Epicure n’a rien à nous apprendre car nombreux sont les hommes qui en cherchant le bonheur se trompent et paradoxalement souffrent dans leur corps et dans leur âme alors même qu’ils cherchent à être heureux.

Pourquoi cela ?  Pourquoi tant d’hommes cherchent le bonheur et n’y parviennent pas pour Epicure ?

Pour Epicure, c’est parce que nous n’utilisons pas suffisamment notre raison. Il nous faut davantage réfléchir au type de désirs et de plaisirs qui peuvent être bon et éviter ceux qui vont en réalité nous rendre malheureux. ceux qui ne sont que des plaisirs illusoires ou de courtes durées.

En d’autres termes dans notre quête du bonheur : il y a des pièges à éviter :

1er piège : nous pouvons avoir tendance à mal anticiper les effets secondaires de la satisfaction d’un désir : Par exemple, si nous désirons boire de l’alcool, boire un verre ne nous fera pas beaucoup de mal, mais si nous en buvons 10. Alors le plaisir ressenti sur le moment va laisser place à un mal être et à une douleur. Epicure recommande donc de réfléchir afin d’avoir en tête les effets secondaires de la satisfaction d’un désir : l’idée est évidemment de plutôt éviter les plaisirs qui vont ensuite causer une douleur.

2e piège : Nous avons tendance à privilégier le plaisir immédiat, même s’il est peu intense par rapport à la possibilité d’un plaisir plus intense mais qui va demander plus de temps.

Par exemple, si je cède tous les soirs à mon désir de faire la fête, ce qui me donne un plaisir immédiat, je renonce rapidement au plaisir de réussir mes études. Pourtant, le plaisir de pouvoir faire le travail que je souhaite faire est sans doute supérieur car plus durable, au plaisir immédiat que j’ai en faisant la fête.

Epicure conseille donc de réfléchir et de se demander si un plaisir plus intense et durable ne vaut pas mieux qu’un plaisir immédiat mais éphémère. 

3e piège : Nous cherchons à satisfaire des désirs vains qui sont inutiles, voire nuisibles au bonheur car ils ne satisfont pas réellement nos besoins et ne sont en réalité jamais rassasiés.

Par exemple, nous pouvons croire parce que la société nous y pousse que pour être heureux il faut être riche, vivre dans une demeure luxueuse, manger les mets les plus raffinés. Mais en réalité, ces désirs sont inutiles, nous n’avons pas besoin de vivre dans une très riche demeure pour être heureux. Pour Epicure, avoir un toit sous lequel s’abriter est nécessaire mais également suffisant pour satisfaire notre besoin de protection.

Plus encore, ces désirs peuvent devenir un obstacle à notre bonheur car ce sont des désirs excessifs qui ne sont jamais satisfait. Si nous désirons avoir beaucoup d’argent et que nous l’obtenons, il nous en faudra ensuite encore plus, ou il nous faudra encore une plus grande maison etc … En d’autres termes ces désirs excessifs ont comme caractéristique principale d’être insatiables. Nous ne nous sentirons jamais satisfait. Nous voudrons toujours plus et donc nous ne serons jamais heureux.  

Ainsi pour Epicure, être heureux, demande de mesurer ses désirs voir de se défaire des désirs les plus inutiles. Epicure insiste en effet sur l’idée que le désir est un manque de quelque chose, c’est quelque chose que l’on a pas encore, mais que l’on souhaite obtenir. c’est donc d’abord une douleur.  

Et Si l’on désire quelque chose de difficile à obtenir cela sera plus douloureux encore car nous ne sommes pas sûrs de l’atteindre ou cela va prendre du temps. Le désir excessif va donc nous rendre inquiet et nous faire souffrir longuement. et quand bien même nous arriverions finalement à le satisfaire, nous nous y habituerons rapidement et il nous faudra encore autre chose de plus ou de mieux.  

Selon Epicure, Si nous sommes perpétuellement inquiets car nous voulons absolument des biens de luxe et n’y arrivons pas alors nous ne sommes pas heureux. Epicure préconise donc de trouver le bonheur dans des plaisirs simples et liés à des besoins naturels : être en bonne santé, avoir de bonnes relations avec les autres, avoir l’esprit tranquille etc

Il nous conseille d’utiliser notre raison pour distinguer les désirs naturels et nécessaires (boire, manger, avoir un toit, un ami, être libre) des désirs qui sont non naturels et non nécessaires. C’est-à-dire inutiles et illusoires. (être riche, avoir du pouvoir, être connu etc )

Les désirs naturels et nécessaires sont faciles à satisfaire, en les recherchant nous serons facilement satisfaits et donc heureux. Au contraire, les désirs non naturels et non nécessaire sont difficiles à satisfaire et ils vont donc nous rendre malheureux car ils vont nous empêcher d’atteindre l’ataraxie c’est-à-dire l’absence de souffrance dans le corps et dans l’âme.

Aux yeux d’Epicure, les hommes ont tendance à ne pas savourer suffisamment les plaisirs simples de la vie, ceux là même qui peuvent les rendre heureux et ne sont pas difficile à satisfaire. Au lieu de cela, nous avons tendance à ne pas avoir conscience de notre bonheur et à nous focaliser sur des choses finalement inutiles. C’est seulement quand nous perdons ce bonheur que nous prenons conscience que ce que nous avions nous permettait déjà d’être heureux.

Le sage, pour Epicure, est donc tempérant il désire peu et il est raisonnable c’est à dire qu’il réfléchie et anticipe les conséquences de ses choix. Il se contente de satisfaire ses désirs naturels et nécessaires et ainsi attend le bonheur. C’est pourquoi pour Epicure on peut dire que le bonheur dépend de nous, car nous pouvons apprendre à distinguer entre les bons désirs que nous allons pouvoir satisfaire et les mauvais désirs qui eux nous font souffrir.

Voilà pour cette vidéo j’espère qu’elle vous aura aidé à comprendre la thèse d’Epicure sur le bonheur.  Si cette question vous intéresse et que vous voulez davantage de contenu sur le thème du bonheur, vous pouvez regarder d’autres vidéos sur ma chaîne Youtube ici et pour d’autres articles de philosophie c’est ici.

Très bonne journée à vous