La notion de conscience en philosophie

La notion de conscience en philosophie

Bienvenue dans cet article, dans lequel je vais vous présenter la notion de conscience, qui est une des dix-sept notions du programme de philosophie en terminale. Je vais d’abord faire un point sur les définitions possibles du terme conscience. Puis, je vais passer en revue quelques grands problèmes possibles concernant la notion de conscience.

D’abord, nous allons partir de l’étymologie : la conscience vient du latin « cum scientia » qui signifie « avec savoir » ou « avec science ». Faire quelque chose consciemment, par exemple, c’est donc agir en sachant qu’on agit. C’est important car il y a beaucoup de choses que nous faisons sans en avoir conscience.

À partir de là, on peut distinguer trois types de conscience :

Il y a d’abord la conscience perceptive qui consiste à être en état d’éveil, réceptif aux informations concernant notre corps et le monde qui nous entoure. Exemple : j’ai conscience que le chat est entré dans la pièce.

Ensuite, il y a la conscience réflexive, c’est la connaissance que nous avons de nous-mêmes quand nous nous prenons comme objet de perception. Elle repose sur la capacité à réfléchir sur nous-mêmes, sur notre vie intérieure, à s’analyser soi-même, à se poser des questions (ex : Je sais que je suis en train de faire quelque chose. Je sais que je crois en quelque chose…). Plus communément, on l’appelle également conscience de soi.

Enfin, la notion de conscience morale désigne la connaissance que nous avons du bien et du mal, et notre capacité à juger une action selon des critères moraux.

Voilà pour les définitions, j’en profite pour vous rappeler que si vous voulez apprendre à faire une dissertation ou une explication de texte, vous pouvez télécharger tous mes conseils de méthode via le lien juste en dessous de cette vidéo. Vous pourrez également y télécharger 17 fiches de révisions sur le programme de philosophie en terminale.

Bien, à présent, quels sont les grands problèmes philosophiques qui peuvent être posés sur la question de la conscience ? Je vais vous en donner quelques-uns parmi les plus importants avec quelques réponses classiques.

Premier sujet : La conscience de soi est-elle une connaissance de soi ?

Ce sujet me donne l’occasion de mentionner un point important : dans un certain nombre de sujets où la notion de conscience apparaît, il sera nécessaire de mobiliser une autre notion qui lui est liée : celle d’inconscient. C’est le cas ici. Et vous allez voir pourquoi.

Sur ce sujet, on peut d’abord penser à l’histoire de Descartes, qui raconte au début du « Discours de la méthode » comment il a décidé de remettre en question tout ce qu’il pensait être vrai jusque-là. Après avoir constaté qu’il lui arrivait de croire être dans le vrai alors même qu’il se trompait, il décide de douter méthodiquement d’absolument tout afin de repartir sur le chemin de la connaissance avec des bases saines. En d’autres termes, il se force à douter de tout. Il doute alors du monde extérieur, il doute de l’existence de son corps, il doute même des mathématiques. Finalement, la seule chose qui résiste à ce doute méthodique, c’est que même s’il se trompe, cette erreur est encore une pensée et cela il ne peut pas en douter. Le fait qu’il pense est donc une certitude indubitable. Il peut donc affirmer avec certitude qu’il est une chose qui pense et que s’il pense alors il existe. Ce qui donne la fameuse formule du « Discours de la méthode » : « Je pense donc je suis ». Quel rapport avec la conscience me direz-vous ? Eh bien, pour Descartes, c’est la conscience réflexive que nous avons de nous-mêmes, c’est notre capacité à nous prendre nous-mêmes comme objet d’observation et à étudier aussi bien notre corps que nos pensées qui nous permet de nous connaître et d’avoir nos premières certitudes sur ce que nous sommes réellement. On pourrait alors dire que la conscience de soi permet une connaissance de soi.

Pour autant, peut-on parler d’une connaissance effective et complète de soi ? Il faudrait pour cela que nous soyons parfaitement transparents à nous-mêmes, c’est-à-dire que notre conscience de nous-mêmes n’ait aucune limite. Mais, est-ce le cas ?

Freud, médecin autrichien, fondateur de la psychanalyse, fait ainsi l’hypothèse qu’une partie de l’esprit humain reste inconsciente et que tout être humain, qu’il soit sain ou malade, a des désirs, pensées, chocs qui sont refoulés dans l’inconscient si ceux-ci sont en contradiction avec la morale ou émotionnellement intolérables. Il s’agirait donc d’une partie de l’esprit humain qui resterait secrète pour le Sujet lui-même. Cette hypothèse de Freud fait scandale et provoque le rejet d’une grande partie des médecins de son époque car elle remet en question l’idée que les êtres humains sont capables de maîtriser leurs pensées. Avec l’hypothèse de l’inconscient, il faut admettre que nous ne sommes pas totalement maîtres de notre esprit, une partie nous échappe et nous ne sommes pas conscients de tout. Il est donc difficile d’avoir une connaissance complète de soi. Vous voyez qu’il est important de lier la notion de conscience avec la notion d’inconscient.

Deuxième sujet sur la notion de conscience : Suis-je ce que j’ai conscience d’être ?

Ce sujet pose la question de notre identité et de son rapport avec la conscience. Puis-je réellement dire que je suis ce dont j’ai conscience d’être ? Ai-je une conscience claire de mon identité ? Ou bien, au contraire, existe-t-il des aspects de mon être qui m’échappent à moi-même ou à ma conscience ?

Sur cette question, Locke défend que ce qui fait notre identité, ce qui nous permet de savoir qui nous sommes, c’est notre conscience et notre mémoire. En effet, si je sais qui je suis, c’est parce qu’à chaque instant de ma vie, il y a cette conscience, ce « Je » qui accompagne toutes mes expériences et leur donne une unité. C’est à moi (au « Je ») qu’il arrive ceci ou cela au cours de ma vie. Et si je peux dire que c’est la même personne (moi) qui a vécu ceci ou cela, c’est parce que ce « Je » n’a pas changé. Mon « Je », c’est-à-dire ma conscience, est toujours là.

Néanmoins, pour Locke, la seule conscience n’est pas suffisante pour que j’ai une identité ; il faut également que je me souvienne des différentes choses que j’ai vécues consciemment. ((C’est le problème que rencontre le héros du film « Memento » de Christopher Nolan. Comment savoir qui l’on est si l’on oublie tout ? Léonard, le héros du film, qui cherche l’assassin de sa femme, souffre d’amnésie. Il écrit tout sur des papiers et se fait tatouer les choses les plus importantes sur le corps pour s’en souvenir.))

En ce sens, on pourrait dire que pour Locke, je suis bien ce dont j’ai conscience d’être, car précisément, c’est parce que nous sommes conscients de nous-mêmes, de ce que nous faisons et que nous nous en souvenons, que nous avons une identité. Néanmoins, dire que nous sommes ce dont nous avons conscience d’être n’est-ce pas oublier un peu vite que notre conscience est très limitée et que, finalement, beaucoup de choses qui ont lieu en nous sont avant tout inconscientes ?

Sur cette question, le philosophe français Bergson montre qu’en réalité, beaucoup de nos pensées et actions échappent à notre conscience. Il défend ainsi dans « L’Énergie spirituelle » que les moments où nous sommes pleinement conscients de nos pensées et de nos actions sont finalement peu nombreux. Il s’agit, par exemple, des moments où nous avons un choix important à faire et où notre conscience est pleinement focalisée sur les conséquences et les enjeux de ce choix. Il s’agit également, selon lui, des moments où nous devons apprendre quelque chose de nouveau. En effet, comme c’est nouveau, nous devons faire attention et nous concentrer. Nous sommes alors pleinement conscients. On peut prendre comme exemple de cela l’apprentissage de la conduite. Apprendre à conduire une voiture est en général une expérience très fatigante car nous devons justement faire attention à tout, rien n’est encore automatique, rien ne se fait tout seul et coordonner les mouvements des pieds et des bras tout en faisant attention à ce qui se passe autour n’est pas une chose facile au début.

Mais justement, dit Bergson, assez rapidement, quand nos actions et pensées deviennent habituelles, c’est notre inconscient qui prend le relais et cela devient automatique. Nous faisons les choses sans presque y penser, c’est-à-dire sans solliciter notre conscience. On comprend alors que pour Bergson, une grande partie de ce que nous faisons et pensons dans notre vie se fait inconsciemment. Peut-on alors encore dire que nous avons pleinement conscience de ce que nous sommes ?

Troisième sujet : La conscience de ce que nous sommes est-elle un obstacle au bonheur ?

En effet, si être conscient c’est avoir connaissance de ce que nous sommes et notamment de nos caractéristiques d’être humain, limité et mortel, n’est-ce pas plutôt un obstacle au bonheur ? Pascal écrit ainsi dans les « Pensées » : « Mais quand j’ai pensé de plus près, et qu’après avoir trouvé la cause de tous nos malheurs, j’ai voulu en découvrir la raison, j’ai trouvé qu’il y en a une, bien effective, qui consiste dans le malheur naturel de notre condition faible et mortelle, et si misérable que rien ne peut nous consoler, lorsque nous y pensons de plus près. »

En ce sens, pour Pascal, la conscience que nous avons de nous-mêmes est plutôt propre à nous rendre malheureux, car notre mort inéluctable est difficile à accepter.

Et pourtant, nous pourrions au contraire défendre qu’avoir conscience de ce que nous sommes, c’est aussi potentiellement savoir comment nous fonctionnons, quels sont nos penchants, nos tendances, et ainsi pouvoir réfléchir à un moyen de nous rendre plus libres et heureux. On pourrait alors dire avec Épictète qu’avoir conscience de ce que nous sommes, et donc par exemple de ce qui dépend de nous ou non, serait une condition du bonheur.

En effet, selon Épictète, pour être heureux et libre, il faut être conscient de ce qui dépend de nous et de ce qui n’en dépend pas. Car si nous pensons avoir le contrôle sur ce qui, en réalité, ne dépend pas de nous, alors nous allons nécessairement échouer et donc nous sentir impuissants et malheureux. Par exemple, celui qui veut absolument que l’on dise du bien de lui sera malheureux car ce que les autres disent ou pensent ne dépend pas de lui. De même, celui qui souhaiterait ne pas vieillir échouera nécessairement, car ici encore cela ne dépend pas de lui. Pour Épictète, il faut donc focaliser nos actions sur ce qui dépend de nous. Alors seulement, nos actions pourront avoir des résultats positifs et nous pourrons être satisfaits de ce que nous avons accompli. Parmi ces choses qui dépendent de nous, il y a évidemment nos pensées et nos représentations. C’est en maîtrisant nos pensées que nous pouvons rester impassibles et donc, selon lui, rester libres et heureux. Encore faut-il le savoir.

Voilà pour cet article, j’espère qu’il vous permettra de mieux cerner les grandes questions que vous allez rencontrer sur la notion de conscience. Pour davantage de cours de philosophie, rendez-vous sur cette page ici.

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Très bonne journée à vous !

Citation de Descartes

Descartes, philosophe français, va donc entreprendre de trouver une certitude indubitable, dont il sera impossible de douter.

Descartes, philosophe français du 17e siècle, prend conscience qu’il possède finalement peu de connaissances absolument certaines et que beaucoup se révèlent fausses alors qu’il les pensait vraies. Il va donc entreprendre de trouver une certitude indubitable, dont il sera impossible de douter. Mais comment faire ? Pour être sûr de ne pas laisser passer une erreur, Descartes va se forcer à douter même de ce qui lui paraît évident. C’est ce que l’on appelle le doute méthodique chez Descartes. Il va douter méthodiquement de tout. Il va ainsi d’abord douter du monde extérieur car nos sens nous trompent parfois. Puis il va douter de son corps, car il nous arrive de croire que nous sommes en train de bouger alors même que nous sommes dans notre lit. C’est l’argument du rêve. Enfin, il va douter même des mathématiques, en faisant l’hypothèse qu’un malin génie pourrait nous tromper et nous pousser à faire des erreurs même pour les calculs les plus simples.

Descartes a donc réussi à douter du monde extérieur, de son corps, et même des mathématiques. Que reste-t-il alors ? De quoi ne peut-on absolument pas douter ? C’est alors que Descartes va constater : même si ce que je pense est faux, il y a une chose dont je ne peux douter c’est que je pense et si je pense, je suis. Ce que l’on appelle le cogito (je pense en latin) de Descartes est donc la première certitude indubitable à partir de laquelle il veut ensuite refonder toutes les sciences.

Texte de Descartes :

« J’avais dès longtemps remarqué que, pour les mœurs, il est besoin quelquefois de suivre des opinions qu’on sait être fort incertaines, tout de même que si elles étaient indubitables, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, mais, pour ce [parce] qu’alors je désirais vaquer seulement à la recherche de la vérité, je pensai qu’il fallait que je fisse tout le contraire, et que je rejetasse, comme absolument faux, tout ce en quoi je pourrais imaginer le moindre doute, afin de voir s’il ne resterait point, après cela, quelque chose en ma créance, qui fût entièrement indubitable. Ainsi, à cause que nos sens nous trompent quelquefois, je voulus supposer qu’il n’y avait aucune chose qui fût telle qu’ils nous la font imaginer. Et pour ce qu’il y a des hommes qui se méprennent en raisonnant, même touchant les plus simples matières de géométrie, et y font des paralogismes, jugeant que j’étais sujet à faillir, autant qu’aucun autre, je rejetai comme fausses toutes les raisons que j’avais prises auparavant pour démonstrations. Et enfin, considérant que toutes les mêmes pensées, que nous avons étant éveillés, nous peuvent aussi venir quand nous dormons, sans qu’il y en ait aucune, pour lors, qui soit vraie, je me résolus de feindre que toutes les choses qui m’étaient jamais entrées en l’esprit n’étaient non plus vraies que les illusions de mes songes.

Mais, aussitôt après, je pris garde que, pendant que je voulais ainsi penser que tout était faux, il fallait nécessairement que moi, qui le pensais, fusse quelque chose. Et remarquant que cette vérité: je pense donc je suis, était si ferme et si assurée, que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques n’étaient pas capables de l’ébranler, je jugeai que je pouvais la recevoir, sans scrupule, pour le premier principe de la philosophie que je cherchais.»

René Descartes (1596-1650), Discours de la méthode, IV

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Citation de René Descartes

René Descartes souligne ici une des fonctions essentielles de la philosophie. La philosophie est la recherche de la sagesse et consiste donc à se défaire d’abord des préjugés, des illusions et des erreurs. Philosopher c’est chercher à savoir et il faut pour cela prendre d’abord conscience que l’on ne sait pas et douter de ses certitudes.
C’est pourquoi une des compétences du philosophe est de problématiser c’est-à-dire de voir des problèmes là où cela semble évident pour les autres. Vous trouvez davantage d’informations sur la problématisation dans cet article.

Texte de René Descartes :

« Or, c’est proprement avoir les yeux fermés, sans tâcher jamais de les ouvrir, que de vivre sans philosopher ; et le plaisir de voir toutes les choses que notre vue découvre n’est point comparable à la satisfaction que donne la connaissance de celles qu’on trouve par la philosophie ; et, enfin, cette étude est plus nécessaire pour régler nos moeurs et nous conduire en cette vie, que n’est l’usage de nos yeux pour guider nos pas. Les bêtes brutes, qui n’ont que leur corps à conserver, s’occupent continuellement à chercher de quoi le nourrir ; mais les hommes, dont la principale partie est l’esprit, devraient employer leurs principaux soins à la recherche de la sagesse, qui en est la vraie nourriture ; et je m’assure aussi qu’il y en a plusieurs qui n’y manqueraient pas, s’ils avaient espérance d’y réussir, et qu’ils sussent combien ils en sont capables. Il n’y a point d’âme tant soit peu noble qui demeure si fort attachée aux objets des sens qu’elle ne s’en détourne quelquefois pour souhaiter quelque autre plus grand bien, nonobstant qu’elle ignore * souvent en quoi il consiste. Ceux que la fortune * favorise le plus, qui ont abondance de santé, d’honneurs, de richesses, ne sont pas plus exempts de ce désir que les autres ; au contraire, je me persuade que ce sont eux qui soupirent avec le plus d’ardeur après un autre bien, plus souverain que tous ceux qu’ils possèdent. Or, ce souverain bien * considéré par la raison naturelle sans la lumière de la foi, n’est autre chose que la connaissance de la vérité par ses premières causes, c’est-à-dire la sagesse, dont la philosophie est l’étude. Et, parce que toutes ces choses sont entièrement vraies, elles ne seraient pas difficiles à persuader si elles étaient bien déduites. »

DESCARTES
Principes de la philosophie, lettre-préface