Hédonisme

Philosophie : qu’est-ce que l’hédonisme ?

L’hédonisme est une doctrine philosophique et morale qui affirme que la recherche du plaisir et l’évitement de la souffrance sont les buts de l’existence humaine. Cette conception peut sembler naturelle, car notre corps cherche spontanément le plaisir et évite la douleur. Pourtant, les philosophes hédonistes ont souvent eu une mauvaise réputation et étaient considérés comme des philosophes de moindre envergure tant on considérait que la philosophie devait aller avec une forme d’austérité. Pourtant, hédonisme et austérité ne s’opposent pas toujours et cette philosophie est plus complexe qu’on ne le croit souvent.

Le père de l’hédonisme : Aristippe de Cyrène

La paternité de l’hédonisme est attribuée à Aristippe de Cyrène, un philosophe grec de l’antiquité et fondateur de l’école cyrénaïque. Sa philosophie consiste en la recherche active de la jouissance pour trouver le bonheur. Aristippe cherche la jouissance et les plaisirs de manière positive, de manière calculée et rationnelle, afin de maximiser les plaisirs et minimiser les déplaisirs. Pour lui, aucun plaisir n’est à proscrire tant qu’il n’entraîne pas de conséquences désagréables. Il soulignait également l’importance de la maîtrise de soi, affirmant que même si l’on doit savourer les plaisirs, il faut rester maître de ses désirs pour ne pas devenir esclave de ceux-ci.

En revanche, chez Calliclès, un personnage du Gorgias de Platon – dont on ne sait pas s’il a réellement existé ou s’il est une création littéraire de Platon -, le plaisir réside dans la satisfaction de tous les désirs, quels qu’ils soient. Selon Calliclès, la véritable nature de l’humanité réside dans la poursuite du plaisir et le rejet des conventions sociales qui contraignent cette quête. Il soutient que les lois et les normes morales sont des constructions artificielles imposées par les faibles pour contrôler les forts, et que la vie la plus épanouie est celle où les désirs sont pleinement satisfaits sans restriction.

L’hédonisme d’Épicure :

L’hédonisme d’Épicure est une philosophie qui se concentre sur la recherche du plaisir, mais diffère sensiblement de celle des autres hédonistes. Pour Épicure, le plaisir véritable et durable réside non pas dans la satisfaction de tous les désirs, mais dans l’atteinte de la tranquillité de l’âme (ataraxie) et l’absence de douleur. Il propose une vie simple et vertueuse, où l’on cherche à satisfaire les désirs naturels et nécessaires, comme la nourriture et l’amitié, tout en évitant les désirs vains et illimités qui mènent à l’insatisfaction et à l’anxiété. Épicure valorise également la réflexion philosophique comme moyen de comprendre le monde et de vaincre les peurs, particulièrement celle des dieux et de la mort, qui troublent la paix intérieure. Si vous voulez aller plus loin sur la philosophie d’Epicure, j’ai fait une vidéo sur sa conception du bonheur ici.

Jeremy Bentham : un hédonisme utilitariste

Bentham, philosophe anglais du 19e siècle, défend lui un hédonisme utilitariste. Selon Bentham, l’action morale est celle qui maximise le bonheur du plus grand nombre. Il propose ainsi le « principe d’utilité », qui mesure les conséquences des actions en termes de « quantité » de plaisir ou de souffrance qu’elles génèrent. Son approche met l’accent sur le fait de penser aux conséquences de nos actions pour déterminer ce qui est moralement juste, en cherchant toujours à maximiser le bien-être collectif. Cette approche utilitariste a eu une influence considérable en philosophie morale et politique car elle propose une méthode apparemment rationnelle et quantifiable pour évaluer la moralité des actions, ce qui la rend attrayante pour ceux qui cherchent une éthique « scientifique ».

Cependant, la théorie de Bentham a aussi fait l’objet de nombreuses critiques. Certains philosophes ont souligné la difficulté de réellement quantifier et comparer les plaisirs et les souffrances. D’autres ont défendu que l’utilitarisme pourrait justifier des actions moralement répréhensibles si elles maximisaient le bonheur du plus grand nombre, au détriment d’une minorité.

John Stuart Mill, disciple de Bentham, a par la suite cherché à affiner la théorie utilitariste en introduisant une distinction qualitative entre les plaisirs, certains étant considérés comme « supérieurs » à d’autres. Il a également mis l’accent sur l’importance des droits individuels et de la liberté, cherchant ainsi à répondre à certaines critiques adressées à la théorie de Bentham. J’ai écrit un article sur Mill ici si vous voulez en savoir davantage.

Malgré ses limites, l’utilitarisme reste une théorie éthique influente, notamment dans les domaines de l’économie du bien-être et des politiques publiques.

Un hédoniste contemporain : Michel Onfray

Michel Onfray est un philosophe contemporain français qui défend une forme d’hédonisme qu’il qualifie d’hédonisme ascétique. Contre la conception d’un hédonisme qui consiste uniquement à rechercher le plaisir immédiat, il défend une approche plus réfléchie et équilibrée. Pour lui, l’hédonisme ne se limite pas aux plaisirs corporels, mais inclut aussi l’épanouissement intellectuel et spirituel. Onfray encourage ses lecteurs à cultiver une sensibilité aux plaisirs simples et authentiques de l’existence. Cela peut inclure l’appréciation de la beauté naturelle, la joie d’une conversation stimulante, ou le contentement trouvé dans la création artistique. En parallèle, il souligne l’importance de nourrir l’esprit par la connaissance, l’exploration des arts et de la culture, et le développement de relations humaines significatives.

Onfray s’oppose directement aux excès de la société de consommation moderne. Il critique vivement la tendance à rechercher le plaisir à travers l’accumulation de biens matériels ou la satisfaction de désirs artificiellement créés par la publicité et le marketing. Selon lui, ces comportements dénaturent le concept même de plaisir et éloignent les individus d’une vie véritablement épanouissante.

Cette approche philosophique s’inscrit dans la tradition épicurienne, tout en l’adaptant au contexte contemporain. Comme Épicure, Onfray valorise l’amitié, la simplicité et la recherche de l’ataraxie (absence de troubles). Cependant, il actualise ces concepts pour répondre aux défis spécifiques de notre époque, marquée par la surconsommation et la surcharge d’informations.

Epicure, dans La lettre à Ménécée, entend montrer que le bonheur dépend de nous et que l'on peut l'atteindre grâce à la philosophie.

Epicure : Le bonheur dépend-il de nous ?

Si l’on se réfère à l’étymologie, le bonheur semble d’abord lié à la chance. En effet, bonheur, vient de « heur » en ancien français qui signifie la chance ou la fortune. Le terme français « heur » vient lui-même du latin augurium qui signifie « augure », « présage ». Alors avoir le bon heur c’est avoir une bonne chance, être favorisé par les circonstances. En ce sens, le bonheur, que l’on peut d’abord définir comme un état durable de satisfaction, semble d’abord dépendre du hasard plutôt que de nous-mêmes et des actions que nous pourrions entreprendre pour y arriver. Cependant, Epicure, dans La lettre à Ménécée, s’oppose à cette thèse et entend montrer que le bonheur dépend de nous et que l’on peut l’atteindre grâce à la philosophie.

Le bonheur c’est le plaisir

Epicure, dans la Lettre à Ménécée, donne plusieurs recommandations pour atteindre le bonheur. A ses yeux, le bonheur c’est le plaisir, mais il faut ici faire attention aux contresens, car par plaisir Epicure entend la suppression de la douleur. Je vous rappelle qu’en philosophie préciser en quel sens on prend tel ou tel mot est très important (voir cet article) . Il ne s’agit donc pas de dire qu’il faut multiplier les plaisirs et que cela rendra heureux comme peut le faire un hédoniste. Au contraire, pour Epicure, on est heureux quand on ne souffre pas ! Il le dit en ces termes : « La santé du corps, la tranquillité de l’âme sont la perfection de la vie heureuse ». La question est donc de déterminer comment ne pas souffrir ni dans son corps ni dans son âme.

Epicure propose de limiter ses désirs pour être heureux

Pour Epicure, le désir peut être considéré comme un manque de quelque chose que l’on a pas encore, mais que l’on souhaite obtenir. Alors, le désir apparaît d’abord comme un manque, une douleur. Si l’on désire quelque chose de difficile à obtenir cela sera plus douloureux encore car nous ne sommes pas sûrs de l’atteindre ou cela va prendre du temps. C’est pourquoi, pour Epicure, le bonheur c’est l’absence de troubles dans l’âme. Si nous sommes perpétuellement inquiets car nous voulons absolument des biens de luxe et n’y arrivons pas alors nous ne sommes pas heureux. Atteindre le bonheur c’est donc d’abord limiter ses désirs pour ne garder que les désirs les plus simples à satisfaire. Il dit ainsi dans la Lettre à Ménécée : « C’est un grand bien à notre avis que de se suffire à soi-même, non qu’il faille toujours vivre de peu, mais afin que si l’abondance nous manque, nous sachions nous contenter du peu que nous aurons ».

Le bonheur c’est aussi l’absence de souffrance dans le corps

Par ailleurs, Epicure considère que pour être heureux, nous devons également atteindre l’absence de souffrance dans le corps (aponie en grec). Cela n’est possible que si nous menons une vie réglée sans faire trop d’excès. C’est donc faire un contresens sur Epicure que de penser qu’il invite à multiplier les plaisirs et désirs de toutes sortes et à vivre dans la débauche. Les plaisirs excessifs et l’intempérance conduisent à des douleurs et à des maladies. Ainsi, il dit : « Quand donc nous disons que le plaisir est le but de la vie, nous ne parlons pas des plaisirs des voluptueux inquiets, ni de ceux qui consistent dans les jouissances déréglées, ainsi que l’écrivent des gens qui ignorent notre doctrine, ou qui la combattent et la prennent dans un mauvais sens. Le plaisir dont nous parlons est celui qui consiste, pour le corps, à ne pas souffrir et, pour l’âme, à être sans trouble. »  

La classification des désirs d’Epicure

Epicure fût un ascète, il mène une vie austère en se contentant de peu. Il défend que le bonheur peut s’atteindre ainsi car celui qui ne souffre pas de ses excès et n’a pas l’âme troublée par des désirs futiles vit paisiblement. Cela suppose de distinguer entre les bons désirs qui vont pouvoir être satisfaits aisément et répondent à un besoin naturel et les mauvais désirs qui vont nous rendre malades et sont difficiles à satisfaire. Epicure considère alors qu’il nous faut renoncer à tous les désirs non naturels et non nécessaires comme par exemple manger des mets luxueux, pour préférer les désirs naturels et nécessaires, par exemple, manger simplement, boire, avoir un toit, philosopher…

Vous pouvez également écouter le podcast ici.